Une autre journée avec la mer - Franck Castellani

Franck Castellani trouve l’apaisement des douleurs dues au confinement dans la contemplation de la mer.

  

  

 Une autre journée avec la mer

  

Il est trop tôt. Encore. Ce matin sur la terrasse fleurie, je suis terrassé. L’étendue bleue et cette île d’Elbe devant mes yeux accompagnent cet autre café presque amer.
Cette présente dislocation lente de nos quotidiens résolument construits, de nos repères contraints, de ces présences lointaines mais subies, m’assassine presque. J’entends qu’on meure partout. Classique. J’écoute le peu de gens dans la rue qui pètent les plombs. Mes heures, des milliers finalement, filent ardues et je passe la plupart de ce temps à regarder le monde qui s’écroule, en demeurant impassible, paisible, quasiment centré sur moi-même et pour ainsi dire sans remord véritable. Je ne prévois plus rien pour le lendemain. Je n’envisage plus rien de bien sérieux. 

L’air fait du bruit dehors, un petit bruit comme subliminal qui épaissit toutes les nuits anxieuses. Ma voisine fait l’amour les fenêtres ouvertes et ses râles résonnent dans la cour. Ces chats qui n'appartiennent jamais à personne également. Et les sirènes des ambulances qui résonnent. Tous les sons se mélangent et les sensations se dissolvent en une seule. Mais laquelle ?
Je ne sais plus comment me tenir debout, tant cet état de fait est pesant. Je rêve d’ailleurs. Toujours.
La seule réalité qui soit est lourde. Je n’ai pas dormi, ou si peu. Ce confinement hante ma vie. Je touche les confins de mon esprit tourmenté. Ma vie défile lentement, perpétuellement. Serais-je un con fini ? Serai-je à la fin meilleur ou pire ? Ces états changeants viennent et reviennent comme l’onde marine face à moi qui est là depuis le début et que je ne voyais plus avant tout cela.
Avec chance, ma femme continue de mettre du rouge à ses lèvres tous les matins comme un rite et son parfum habite la maison. Mon fils joue partout et m’embrasse avec déraison.
Cela me fait tenir. C’est une de mes richesses ! Vivre ici avec la mer à perte de vue en est une autre…
Je vis avec la mer face à moi. Je la respire et ses embruns me droguent. Je la regarde. On s’évade ensemble. On crie ensemble. Chaque journée nouvelle, la mer y aime le ciel et en prend ses reflets, ses éclats profonds sans arrêt. Je m’en nourris pour survivre.

Soudain, je ressens un petit vent. J’entends le tumulte des éléments qui patientent et qui préparent un vacarme. Heureusement, il y a la mer, maternel réconfort…
Les rougeurs de l’aurore allument des éclairs or et des flammes mêlés. Ses couleurs contrastées se font de plus en plus intenses et vague sur vague dense, la houle devient écumante et dansante. Le grand soleil bientôt à son zénith, orgueilleux, deviendra aveuglant. Il chauffera les peaux de bakélite que de jeunes femmes laisseront découvertes pendant leurs courtes promenades dans la ville blafarde. Il irradiera. Il s’intensifiera, devenant brûlant. Les heures passent inexorablement. S’éveille alors paisiblement une tendre tempête électrique et je me dis qu’on aime souvent sentir les frasques d’Eole sur nos corps de feu tellurique.
Elle s’excite au vent, se déchaîne ardemment. Comme ascendante, elle provoque et se fait fantasque dans le choc. L’eau bouillonne et bondit dans un fracas répété et infini. Sur les corps de grands rochers, elle vient puissante se briser. Elle nous transporte au cœur de sa tourmente et sait que c’est elle qui veille, qu’elle est omniprésente, occupant notre espace et en somme qu’elle demeure la véritable dominante.
Cette autre journée avec la mer résonne sans cesse comme une métaphore. Je ne cesse de vivre avec, de vivre comme elle, forte entité inspirante.

 Je le savais au début de cette réclusion. Je me le répétais. Je préfère l’écrire aujourd’hui. Cet enfermement, confortable malgré tout dans cette cité balnéaire, chamboulera tout mon être et laissera cours aux prémices de ma liberté.
Mettre des mots sur mes maux et engloutir ce vague à l’âme : voilà ce que je voudrais ! Et toujours il y a cette voix intérieure qui chuchote…
Ce jour viendra où la mer t’emportera. Le ciel sera austère et les volets fermés, toutes les rues vidées désertes par l’élan amer, les étoiles solitaires sur des milliers de pavés seront ton décor.  Cette mer jaillira des utopies, de très loin et elle plongera tous les idéaux dans ses vagues de fièvre, effacera tout ce qui restera et scellera alors inconsciemment les viles lèvres, baisant folle les yeux clos de son souffle marin.

Elle viendra des ailleurs cette marée invisible, de ces si longs ébats à travers les mémoires qui dans l’infini, des heures rôdent. Elle se montrera paisible avec l’espoir de retrouver enfin ici-bas une menaçante forme tangible. 

Pour toi seule, ô ma petite folie, elle déferlera en murmurant ton nom que l’écho du grand vent renverra cynique au néant. La mer chimérique t’emportera au son de musiques lourdes et alors tu danseras sourde dans la poussière des grands fonds.
La journée va encore passer comme celle d’hier et des autres jours. Je devrai encore combattre.

Mais le soleil dégressif tire enfin sa révérence pour aller se cacher et l’imaginaire devant ce spectacle se laisse transcender. Je m’apaise.

Lasse, progressivement la mer se détend et se calme. Elle prend un effet de miroir pour contempler notre âme. Ses plaintes ronflantes et bruyantes tout à coup se meurent et peu à peu font place à un murmure berceur.
Les vagues roulent sans cesse et se brisent sur la petite dune au loin entreprenant leur chant harmonieux, magique rituel marin en liesse devant les terres brunes, alors que s’accordent au mieux une brise caressante arrivée et le souffle chuchoteur du prochain étrange été.
Le soleil s’est éteint avec grâce dans sa fuite redondante, s’efface et cède sa place à la grande lune qui habitera les songes nocturnes. Demain, la mer sera toujours fidèle…

  

  

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