Pierre Pasqualini - Une vie parmi les autres

De l’enfant assoiffé de liberté à l’adulte sauvé par l’amour, de la Méditerranée à la mer d’Irlande et retour, un long voyage sous haute tension... Une nouvelle de Pierre Pasqualini bâtie comme une mélopée.

   

  

Une vie parmi les autres

 

NAISSANCE

Dans le tumulte du liquide amniotique, je me débattais, impatient de découvrir la vie non confinée que j’aimais déjà comme la promesse d’émotions à l’air libre.

Je prenais le temps de l’état embryonnaire, protégé des bactéries, à l’affût du col de la première colline de ma vie.

Je naquis vieux de quelques mois et débutant dans le grand champ à peine ensemencé de l’existence.

Je riais, je riais de tout. Je souriais, je souriais à tout.

J'exultais de vivre.

Je suis né émerveillé et les témoins étaient présents et encore si innocents, et encore si patients, et ne pouvant être autre chose qu’aimants.

Mes jambes ont pris l’importance de la responsabilité précoce. Jamais, je ne resterai en place.

Ma spécialité : disparaître furtivement laissant les géants de papier dans cette nouvelle inquiétude qui naît de la parentalité assumée.

Déjà l'envie furieuse de découvrir le monde, de voir derrière le talus, de sourire, assoiffé, à la source de toute eau , d'errer tel un héros brimant les injustices sans même encore imaginer la permanence de leur existence, de courir dans les champs à perte de vue, d'explorer la félicité de la fausse solitude, celle qui est en communion avec la fleur qui s'ouvre, les fougères qui tressaillent au passage de l'animal inconnu et le ciel qui met en scène des oiseaux chantant la liberté, non encore connotée par les expériences de la vie.

Une envie de mordre le paysage à pleines dents sans renoncer jamais au voyage intérieur.

La disparition n’était pas encore une fuite, mais une animalité qui s’était perdue dans la nuit des temps et mélangée dans le ventre de la femme. Elle s’exprimait avec la fougue et l’innocence des rires et des larmes spontanées.

L’identité était et ne s’interrogeait pas. Elle était au mieux une illusion, mais sans les artifices pompeux du pire.

Les apprentissages, la fraternité, l’amour de la vie étaient très simples et ne consultaient aucun des psychiatres qui de temps à autre s’aventuraient, curieux, dans le champ où les semences avaient osé se montrer, belles et fières de chaque enjambée permise.

La responsabilité naquit bienheureuse avec la venue du frangin sur lequel il fallait désormais veiller avec l’œil du premier né, préfiguration encore tranquille de l'homme torturé à venir.

Le papillon volait et se posait, le lézard ne rimait pas avec lézarder, le milan servait à l'envol léger de l'âme et les fourmis offraient leur spectacle de chorégraphie entreprenante et collective.

Tout semblait écrit pour continuer sur la voie du sourire éclatant de l'enfance innocente.

 

CHOC

Le choc laissa la place à la sidération qui figera pour très longtemps un pan de la mémoire.

L’injustice deviendra un ressort qui ne cessera de rebondir dans les méandres émotionnels de l’âme, un ressort qui se rouillera avec le temps, mélangeant cette sensibilité là avec l'ego autodestructeur.

L'injustice devrait permettre l'action salvatrice mais elle laisse bien souvent le trop-plein de sensibilité en désarroi.

Quelle chance de ressentir le moindre bruissement de feuille mais qui peut en sortir indemne, qui peut survivre en se fabriquant sans cesse des boucliers ?

L’innocent voulait se faire sauveur mais ses poings étaient trop petits pour grimper sur le ring encore insoupçonné de la noirceur de l’humanité jusqu’alors si accueillante.

La colère et la peur lâcheront leurs petites graines appelées à faire des ravages sur d’autres contrées lointaines et pas encore visibles, où d'autres innocents seront amenés à entrecroiser leur destin.

La tristesse et le désarroi des adultes feront voler en éclat les promesses de l’aube. Les torrents du pacte rompu s’alimenteront des larmes de tous les coupables de cette terre.

- La terre donne sans compter et la terre reprend sans voler. Certains êtres sont comme ça, on les appelle les vivants -

Le champ ne put empêcher de voir débarquer quelques pesticides que l’on disait inoffensifs. J'empoignai mon baluchon et prenant mon courage à deux mains, je pris ma première indépendance, sans savoir qu’au milieu des jouets et de mes objets précieux, traînaient ça et là quelques mauvaises graines appelées à germer dans l’amnésie protectrice.

Les escapades continuèrent avec l'envie furieuse de trouver mon refuge, mon havre de sérénité.

Je ne pouvais plus me satisfaire du balcon de l'immeuble de ma conception.

La nature s'infiltrait dans chaque atome de la vie urbaine, comme une évidence, comme une promesse, comme une destinée.

J’avais 6 ans

 

LÉGENDE

Pris dans la tourmente, je me débattais dans les banalités du couple qui se déchire et dont la géographie viendra prendre un malin plaisir à ajouter de la complexité inutile.

Le refus de l’évidence, le refus du choix, l’injustice inacceptable et la volonté de délier mes poings trop petits mais qui étaient déjà prêts à déambuler par ces contrées des ruelles de l’Angleterre parsemée de ruines ouvrières et ravagée par la dame de fer.

Les premières insultes en dialecte mancunien fusaient et j’essayais d’apprendre à tenir droit sur ma bicyclette, poussée par les mains de l’homme en visite préparant son action clandestine.

Tout alla très vite et je disparus de la circulation qui se frayait un chemin au milieu des briques rouges, pour entreprendre la grande aventure qui devint légende au fil du temps pour protéger mon âme déjà meurtrie.

Le passage de la douane, caché sous une valise posée sur la banquette arrière, là où il m’était donné à voir l’image d’une moitié ou plutôt du tiers milieu d’un policier parlant la langue des policiers.

Je retrouvai la Méditerranée, mais je rejetai déjà la France dont je rêverai un peu plus tard de la voir se prendre une rouste mémorable contre l'Angleterre au mondial de football de l’année 1982. Ça n'arriva pas.

Les Français étaient tristes à mes yeux et moi j’étais encore à ce moment-là plein d’une joie débordante et fier de mes aventures, entretenues par les contes de l’homme.

Je repartis très vite sur les routes des banlieues des retraités de la vie ouvrière, qui parsemaient les anciens champs entre les grandes agglomérations de Manchester et de Liverpool.

Les petites maisonnettes entourées de pelouse impeccable faisaient la joie des locataires du dernier refuge de leur vie.

Mon grand-père avait été gardien d'usine et s'habillait toujours de manière impeccable, tel un bourgeois endimanché, un chapeau toujours enfoncé sur le crâne. Il était de ces gens fiers de leur pays, de sa guerre, celle contre les nazis et plus tard, fier de la première ministre qui liquidait les siens, les damnés de la terre ou plutôt les damnés des plus vieux vestiges du capitalisme. Il aimait marcher...

J’appris un autre dialecte, sorte de mélange entre le mancunien de ma famille et le parler de Liverpool, ville qui deviendra mon phare footballistique, regardant non pas la télé, mais le paternel de ma mère, se balançant sur son rocking-chair au rythme des passes magiques de ces joueurs qui étaient si éloignés, dans leur style majestueux et rude, des autres frappeurs de ballon de la planète.

J’appris à lire et écrire en anglais, après avoir commencé en français il y avait déjà si longtemps, lors de ma première indépendance. Les bagarres étaient vives, les enfants n’étaient pas rois dans leurs familles et il subsistait un parfum de 19e siècle dans les yeux clairs de ces enfants aux taches de rousseur effrontées.

Faire mon année de CP dans trois classes et deux pays différents me laissera très dubitatif, arrivé à l’âge adulte, dans le débat sur les méthodes d’apprentissage de la lecture. J’en tirai la conclusion qu’en pédagogie, la bienveillance et la transmission d’une confiance en soi importent le plus.

Je connus ma deuxième indépendance, celle qui rimait avec ma deuxième clandestinité, cette fois-ci au risque qu'Interpol vienne terminer ma légende que j’aurais voulue être chantée sur les collines de mon enfance pour permettre à l’amnésie salvatrice de jouer davantage son rôle.

La chanson aurait raconté comment, rebondissant de terre gaélique en terre celtique, nous passâmes du pays de Galles des ancêtres à l'Irlande pas encore envahie par les hordes de touristes.

C'est ainsi que je débarquai pour la première fois dans mon pays de cœur.

Avais-je retenu un accent autre ?

Avais-je distingué une ambiance particulière ?

Nous étions bien loin de Belfast et des grévistes de la faim qui s'étaient fait connaître au monde quelques mois auparavant, mais dans ce Dublin de l'hiver finissant de 1982, devant les flammes de l'âtre de notre hôte, sans doute une femme, j'apprenais que le monde était vaste et que le voyage n'était pas de simples allers-retours du nord au sud.

L'ouest existait et il serait désormais celtique. Plus tard ma fille sera baptisée Erin, prénom dissimulé derrière la lumière de son nom latin.

 

RUPTURE

Je ne fus plus jamais le même. Tout en entretenant ma légende, je devins plus ténébreux à certaines occasions.

Mais le champ de la vie, malgré les mauvaises herbes, était prometteur.

J’étais si riche déjà de mon passé mais pas encore conscient du risque de mon avenir. Quelque chose s’était perdu en route, mais quand je regardais derrière moi je ne regardais pas à côté du petit garçon, quelque part entre ses pieds, pour y voir la trace honteuse et humide de la peur.

Je voyais grand et je l’avais décidé. Je jouais à l’infini dans ma tête, arrivant à vaincre toutes les injustices du monde. Mais ce n’était pas un jeu. C’était sérieux et vital.

Après la grande traversée où j’acquis mes galons d’aventurier, les désillusions devinrent réelles, démontrant que la géographie créatrice du début de ma légende était un prétexte.

Ce ne sont pas les kilomètres qui éloignent les gens, ce sont les manquements à l'amour.

Je pris ma troisième indépendance, commençant l’émancipation familiale pour me tourner vers le groupe ; la corsitude qui se construisit au fil des saisons hivernales pour laisser la place au village, une partie de l’été, village dont les habitants étaient toujours aussi roux et hargneux mais où je pouvais jouer de mon personnage légendaire, dont la photo avait trouvé une place dans le journal local, et où mes poings s’étaient enfin fait une place, entre deux ou trois poursuites à vélo ou baignades dans les étangs noirs parsemés de caddies de supermarchés.

 

ADOLESCENCE

Le magma en fusion depuis si longtemps commença à déborder du cratère de mes émotions si intenses, mais dont je ne connaissais pas le nom.

Les premières amours... et les premières ruptures à 14 ans, s’embarquèrent sur des mobylettes lancées à toute allure et cherchant déjà à flirter avec la mort, comme un James Dean de Castigniccia, élevé dans le Bogside à Derry.

Les mécanismes de l’autodestruction étaient là, tapis dans l’ombre, prêts à surgir si la moindre contrariété pointait le bout de son nez.

La passion et l’amour profond de la vie, toujours présents depuis le franchissement de la première colline, étaient toujours là, se renforçant, développant un côté solaire, mais dont l’éclat cachait le côté sombre qui se nourrissait chaque jour de sa proie si généreuse dans l’énergie qu’elle lui fournissait.

Tout cela prenait son sens à l’écoute de l’album entier The Wall des Pink Floyd, comme un tragédie mille fois dansée, en rêvant de décrocher des accords de guitare à la David Gilmour, mais en me délectant de la souffrance contenue dans les cordes vocales de Roger Waters qui m'interpellaient à chaque fois « Hey you out there in the cold, getting lonely, getting old, can you help me ? »...

...prémonition ou avertissement ?

L’adolescence se termina dans le chaos de l’échec par deux fois au bac, couronnée par un service militaire qui me faisait déjà vomir, dès que ceux qui jouaient aux adultes promettaient que les militaires allaient me mater.

Un refus du salut de drapeau tricolore, puis une quatrième indépendance, la dernière, celle qui me mènerait au combat, à la volonté de reprendre les rênes de mon existence comme je le voulais alors.

Les réussites à coup de tête dans les entraves de la vie me donnèrent l’illusion que je pouvais tout maîtriser. Un bac en candidat libre, décroché entre deux bagarres avec les fantômes de mon passé.

- Il y avait un côté Robert Carlyle dans Trainspotting, vous savez le seul qui ne se drogue pas mais trouve sa dose en éclatant des pintes sur des crânes transportant des regards trop aventureux. Sauf que Robert était quand même plus efficace et que moi je finissais souvent aux urgences -

Une grande confiance en soi acquise au fil du temps mais le début de la vaste tromperie.

Tout n’avait été que gestation, rien n’avait encore commencé.

 

FAMILLE

Je commençais à comprendre que l’amour était le but de ma vie mais les modèles étaient défaillants, sauf la force et le courage d’une mère élevant ses deux fils, toute seule, sans aucune aide, loin de ses repères culturels et de ses assises humaines.

Le "sauf" doit ici se transformer en "chance" car ce sera le fil conducteur de ma propre force et confiance.

Des racines solides et l’envie de faire pousser des ailes.

Pas de cordon ombilical nocif. Une adversité qu'il faut ici saluer. Un courage, une empathie, une mère.

Pas à pas, à la fois rebelle et conformiste, j’entrepris de construire la famille que je voulais m’inventer.

Je rentrais en amour, à l’âge attendu et je profitais de mon énergie mais les dérapages étaient nombreux.

Les premiers téléphones portables eurent une vie assez brève, finissant régulièrement en mille morceaux sur l’asphalte de mes virées alcoolisées.

Mais quelque chose se construisit peu à peu équilibrant de manière troublante les deux faces d’un même drame.

Puis vint la responsabilité avant le rêve qui ne s’était pas encore manifesté.

La recherche de l’emploi sécurisé me faisant entrer comme une mauvaise blague dans le monde détesté des profs.

Mais les enfants étaient là et je restais un enfant tantôt rieur, tantôt meurtri sous mon costume qui ne tarderait pas à me gratter de manière furieuse.

È po un ghjornu... bullia u mo stumacu da u sintimu novu. Sunnava un antru versu, l'andatura di u mondu. Passati i mesi, l'attesa fù impaziente ma semper allegra. Mi si paria di rinnasce à a vita. Di capisce infine u veru scopu di a vita, senza murale, senza i « Ci vole à fà ». L'ascultera di quelli chì avianu digià francatu u passu diventò insuppurtevule. Chì sapianu elli di ciò chì era per accade. Ghjera a mo stonda. Poca primura, ch'avia eiu, di i so detti strazi. A vedia affaccà digià bella assestata, bella figurata, bella persunificata. I sogni di a vita futura lacavanu e so fette ind'a mio mente accesa da mille lumi, ciambuttendu l'ordine bellu infiliratu di i neuròni. Cumu serà ? Cumu ùn serà ? L'imminenza di a so vinuta creò, affiancu à quellu sintimu natu qualchì mesu fà, un antru sintimu più pisìu, arradicatu per u sempre, necessariu per a vita à vene ma ch'ùn venia faciule à ammaistrà à principiu ; u penseru, quellu maiò, quellu di l'amore assulutu. Quellu vintottu, ùn erà da cuntinuà sta passata trà sognu finiscendu è realità da nasce. Era custì cù a so boccarisa. Mi sò dettu ch'ella ùn pudia esse altrimenti. Si chjamava digià Lucia.

 

DÉMONS

Navigant tant bien que mal dans les champs de miroirs cachés ou brisés, l’armure bien accrochée, j’avançais plein de certitudes en pensant savoir comment faire le bien, alors que je n’avais pas appris à explorer mes maux planqués à l'abri de mon courage si dérisoire.

Alors je fis le mal autour de moi, par manque d’attentions, par maltraitance verbale, par centrage sur mes démons intérieurs et je refusais de voir mes erreurs, m’enlisant par entêtement dans ma légende personnelle, du combattant qui a réussi à s’extirper des champs de bataille, franchissant les entraves le fusil à la main et l’obstination chevillée au corps. Et ne prenant pas le temps de regarder autour de moi et de juste observer.

Le coup d’arrêt fut brutal.

Le rappel de la famille brisée et du rêve inachevé car irréalisable furent destructeurs et salvateurs.

J’avais 40 ans.

Quand on se réveille un jour en plein cauchemar, on dérive assez longtemps en haute mer pensant trouver la liberté dans l’onde tourmentée mais sentant ses chaînes qui nous rattachent depuis presque toujours à la grotte hantée des souvenirs cristallisés.

La grotte est hantée mais les souvenirs sont imprimés dans le corps, se mêlant aux phrases construites et déconstruites sans que la syntaxe ne s’en rende compte et en se jouant de la parole impeccable.

D’île en île j’ai navigué en essayant d’apprendre des bribes de mon histoire, des volumes de mes erreurs, cherchant la rédemption dans l’action.

Alors je construisis mon radeau me permettant d’oublier mes esclavages pour aller vers des contrées plus accueillantes où la sérénité serait plus facile à trouver.

Je prenais toute ma part de responsabilité sans chercher dans mes souvenirs, comme si réparer une anomalie d’humanité pouvait se faire avec des rustines et l’envie de pédaler haut et fort.

Et puis, j’étais ce que j’étais, je l’avais décidé et je devais en affronter seul les conséquences, cherchant et cherchant encore à faire de mon radeau à la dérive, une arche de Noé, où tous les gens pourraient  trouver un refuge.

Prétention.

Et puis j’ai essayé l’étapisme et le cloisonnement. D’abord être apaisé dans mon action, puis serein dans mes propos pour enfin apprendre à faire des câlins.

Foutaises.

Comme le disait assez bien un de ces fameux panneaux bombardés sur les réseaux sociaux à longueur de journée comme s'ils allaient enseigner quelque chose au monde : « L'ego dit, quand tout sera en place je trouverai la paix, l'âme dit trouve la paix et tout se mettra en place ».

Quelle vérité personnelle !

Mais qu'est-ce qu'ils peuvent m'emmerder ces panneaux qui viennent parler à notre place, pas au bon moment, pas au bon endroit et en plus, en mauvaise compagnie !

Je décide que j'irai désormais porter ces maximes... dans les bistrots de mes vagabondages.

Puis je me suis nourri de ma douleur, pensant que le bonheur ne pouvait naître que des cendres.

Egoïsme. Car sous les cendres certains peuvent y laisser leur peau. Et qui a envie de laisser les gens qu'il aime sous les braises agonisantes ?

Je ne le voulais pas, mais ma part sombre se levait de son lit d'insomnies et allumait néanmoins le feu, le jerrican à la main et le regard de la folie incrustée au plus profond des pupilles. Le manque de sommeil me faisait peur et me poussait vers la solitude. Un point sensible. Un nœud. Une vérité à dénouer.

Après avoir récolté ici et là des bribes de ma souffrance, tout en pouvant être capable du plus sincère des sourires, comme du plus angoissant sourcil froncé de la planète Terre, je cherchais des voies nouvelles quand un jour les éléments se déchaînèrent.

- La tempête a béni les éveils maritimes. Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots. Qu’on appelle rouleurs éternels des victimes, dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots !* -

Puis je suis revenu du cauchemar et je t’ai vue dans mon rêve éveillé me sauver la vie, me secouer et être en attente d’une affection, que la première des femmes sur les terres encore arides de sentiments n’aurait pas mieux méritée.

Je t’ai vue dans les plis de mon âme cherchant de manière incessante les endroits où déposer des caresses, des soins et de tendres baisers.

Je t’ai vue inquiète, le front plissé par des rides d’amour véritable qui essayaient de se frayer un passage pour devenir des sillons d’espoir dans mon cœur malade.

Je t'ai vue dans ta folie d'amour absolu et dans tes exigences, d'une honnêteté qui se perdait dans les premiers balbutiements de la vie, bien avant que le vivant soit manipulé.

J'ai vu ton âme me pousser à écrire encore plus de mots, plus de mots que les premiers qui t'avaient touchés, pour finir par écrire trop de mots, toujours empreints de maux non affrontés.

Tout ce que j’avais fait ou pas fait je l’avais choisi, je l'avais subi mais je le rangeais au fil du temps dans ma valise à secrets, alors qu'elle avait été conçue pour être une valise de cadeaux, une valise de découvertes de chemins intérieurs.

J’avais appris, beaucoup, mais j’étais resté prisonnier de mon handicap et on mérite tout ce qui arrive lorsqu’on refuse d’accepter, de comprendre et d’imaginer comment l’amour peut délier ses chaînes.

Il n'y a que l'amour qui peut guérir vraiment et il n'y a que l'amour qui se délite si l'on refuse la guérison.

Le reste n'existe pas.

Les heures passent et le doute grandit, les heures passent et tout retourne à la mer, diluant le sel de la terre nourricière.

Et puis non, on ne mérite pas tout, car mériter c'est maîtriser et la maîtrise c'est comme l'identité ; on peut prendre le contrôle de sa vie mais le croire est tellement prétentieux et dangereux.

On peut juste aimer, de la manière la plus imparfaite qui soit, mais on peut juste aimer, en laissant ça et là des débris sur les rives de la rivière des sentiments.

On peut juste être vigilants, à ce que les débris ne viennent obstruer l'écoulement du fleuve amoureux.

On peut juste se pardonner et s'asseoir sur la rive, nous aussi, au milieu de ces débris, regarder l'onde en cherchant à y déceler le pardon de l'autre.

Et puis il faut se lever, choisir non pas l'amont ou l'aval... mais l'ouest... car quand il est trop tard, c'est vers l'ouest que l'on part.

C'est à l'ouest que l'on se confronte à soi-même, sans les musiques d'Ennio Morricone, trop belles pour arriver à déceler sa noirceur et enfin l'accepter.

Il n y a que la mort qui arrivera à l’heure... peut-être.

Il serait temps de dormir en laissant ses rêves en paix et de se réveiller enfin sans le poids du cauchemar.

La vie est ici et maintenant. Il faut la vivre dans la simplicité de l'éternité qui n'est jamais figée.

 

*Arthur Rimbaud (passage du bateau ivre)

 

    

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