[ Écrire pour JP Santini ] Yves Rebouillat – Lettre à…

  

Jean-Pierre Santini, l’écrivain-éditeur est emprisonné depuis le 10 octobre sous le régime de la détention « préventive ». Contre l’arbitraire et pour servir de chambre d’écho à l’émotion partagée par de très nombreux auteurs de Corse ou d’ailleurs, Le Nouveau Décaméron ouvre ses colonnes.

   

   

Lettre à...

   

Monsieur Jean-Pierre Santini,

Albiana a chaleureusement invité les contributeurs au Blog "Le Nouveau Décaméron", à écrire un "mot", chacun à sa manière, en solidarité envers votre personne.

Ma sympathie vous est acquise. Spontanément. Parce que je ne supporte pas qu’un homme, y serait-il acculé, mette sa vie en danger. Une grève de la faim, par delà la noblesse des causes dont elle se réclame, me rappelle trop de mauvais, de funestes souvenirs.

Je souhaite faire plaisir à "mes" amis de mots, de récits, de poésie, auteurs, écrivains, éditeurs, libraires, qui vous aiment, le clament haut et fort et qu’un puissant écho relaie, loin. J’aurais bien aimé vous apporter un "soutien" en toute connaissance de cause.

Mais je ne vous connais pas - vous, l’homme privé, l’homme public aux parcours militants et aux  théories politiques habiles et incisives, l'homme de lettres et de cultures - ni la Corse depuis suffisamment longtemps pour plus aller loin dans une sorte de complicité éclairée.

Et puis, il y a ce que l’État vous reproche. Je ne m’autoriserai jamais à dire des "vérités", des "évidences" à propos de ce que j’ignore, à énoncer les faits, le juste, à la place des intéressés, là, vous et ceux qui sont chargés de dire la bonne application du droit.

L’emprisonnement à titre préventif d’un délinquant dangereux ne me paraît pas attentatoire aux libertés fondamentales d’un peuple, et je vous crois, après la lecture de fragments de vos prises de positions politiques et de morceaux de votre œuvre littéraire, solide argumenteur, écrivain talentueux, poète, artiste, plutôt que dangereux délinquant. Qu’Albiana et son instigateur principal "me" le disent avec des mots puissants et une grande détermination, me convainc surabondamment.

Je reconnais avoir "secoué" un peu "la toile" pour recueillir, avant de m’adresser à vous, quelques informations sur votre personne, vos activités, vos idées et votre travail littéraire. La lecture des bribes de vos écrits ont aiguisé ma curiosité.

Jeunes, à quelque distance l'un de l'autre, nous avons, je crois, été habités par de semblables rêves d’un nouveau monde. La prévalence, dans les bouts glanés de vos textes, des notions de "Peuple" et "d'Institutions démocratiques alternatives à celles qui ont failli", ont réveillé de vieilles idées de jeunesse, des souvenirs de ces âpres débats qui se déroulaient dans des pièces enfumées que nous quittions nuitamment à regrets parce que s’achevait une façon trop sérieuse de faire la fête qui n’était pas celle que majoritairement notre génération avait choisie. Il y eut cependant d'authentiques et d'ordinaires réjouissances et des bals. Populaires.

J'ai lu vos contributions au "Décaméron". J'ai bien aimé vos histoires et votre langue, vos narrations croisées avec d’autres auteurs.

Voyez-vous Monsieur Santini, en parcourant ces pages virtuelles et en réagissant à l’exposé de vos thèses, il m’est venu l’envie de discuter avec vous autour d'une bouteille d’un bon vin - du domaine de Saparale, par exemple, un Sartenais dont je raffole et qu’à des occasions comptées, je sors de ma cave et offre à boire à mes plus proches -. Aussi de vous rendre visite dans votre repaire corse.

Mais pour qu’un futur désirable advienne, faut-il que vous ne compromettiez pas votre vie. Employez-vous à faire jaillir la vérité, à inventer des alternatives politiques, à tisser de la littérature, à faire plaisir à vos proches et à vos amis, à rencontrer de nouvelles personnes.

Gardez vous sain et sauf pour le moment où la justice passera. Nourrissez-vous et écrivez-nous... vous savez, sur "Le Nouveau Décaméron", la plus belle initiative de littérature populaire du premier cinquième du siècle en cours.

Peut-être ne devrais-je pas dire ce qui suit et en fâcherais-je certains en avouant une "mauvaise pensée", mais une image est comme vrillée dans mon esprit : l'action commise à laquelle il vous est reproché d'être mêlé, ressemble bigrement à une pantalonnade : ce n’est pas l’attaque révolutionnaire ni la prise du camp Raffalli de la Légion étrangère à Calvi !

Merde alors ! Qu’on puisse confondre dans une même opprobre cette curiosité carnavalesque et l’homme des mots de géant et des alternatives démocratiques, non ! L’État est à coté de la plaque et vous, de grâce, ne vous faites pas de mal pour cela !

Vous écriviez : "Ne portez pas mon deuil". Personne n’en a l’envie !

Pensez à tous vos rendez-vous des prochains jours et à tous les autres, les immanquables des années à venir.

Vous ne me connaissez pas non plus, alors qui suis-je donc pour oser de tels conseils ? Juste un homme qui croit en la communauté fraternelle de gens qui pensent que la démocratie est un combat de tous les jours, qui écrivent et apprécient toutes les littératures, que le suicide effraie, et qui estime que la perspective de la mort d’une personne n’ébranlera pas un État puissant et sûr de lui.

J'y pense, nous essayons d’écrire un roman à plusieurs mains, je ne sais pas si l’initiative va fonctionner, mais vous pourriez vous amuser avec nous, cette fois-ci ou une prochaine. Non ?

Bien à vous.

   

Yves Rebouillat - Corcitanie - le 31 octobre 2020

 

  

    

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