- LND 2021 - Mars
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Toutes les quêtes finissent un jour… mais se perpétuent de génération en génération ! Suite et fin du roman d’aventure archéologique de Jean-Louis Pieraggi.
« Malgré la surdité et l’ignorance,
le temps qui fut continue à battre à l’intérieur du temps qui est. »
Edouardo Galeano
U Pianu di Cucuruzzu
Le sentiment de liberté qu’avaient ressenti les deux jeunes femmes en remontant la vallée de l’Ortolu ne les avait pas quittées. Elles avaient rejoint Bocca di Mela par les crêtes et avaient entamé la descente vers le village de Carbini. Une vue plongeante sur l’Alta Rocca s’offrait à elles avec, sur l’horizon, les aiguilles de Bavedda qui se découpaient majestueusement et semblaient régner sur toute la région.
« Ça c’est quand même unique !
- Qu’est-ce qui est unique, Ghjù ?
- On marche depuis plus d’une journée et nous n’avons rencontré qu’un petit hameau. Sinon, c’est le maquis, la forêt, les rivières et les montagnes. On pourrait tout aussi bien être au néolithique, ce serait le même paysage.
- C’est certain que la nature sauvage devient rare en Méditerranée. On a cette chance mais aussi la responsabilité de la préserver.
- C’est vrai, En Corse on a cette chance et ce devoir !
Le sentier pénétra de nouveau dans la forêt et un grondement caractéristique se fit entendre au loin. Un orage de montagne, commun aux après-midi d’été, se faisait de plus en menaçant. Le phénomène n’alarma pas outre-mesure les deux randonneuses qui sortirent tranquillement leurs vestes de pluie de leur sac. Elles savaient que loin des sommets, elles ne craignaient pas grand-chose mis à part le risque de se faire abondamment arroser. Un autre coup de tonnerre, plus proche que le premier, les renseigna sur l’arrivée imminente de la pluie.
« Moi, j’adore quand il pleut en forêt, c’est vraiment différent.
-Tu vas être servie, alors, Ghjù !
Les prévisions de Stella se confirmèrent rapidement et la pluie s’invita comme par enchantement. Il ne fallut que quelques instants pour que toute la forêt se gorge d’eau.
Tandis que le parfum particulier du sous-bois embaumait le chemin, les mousses qui recouvraient les arbres et les rochers affichaient un vert intense du plus bel effet. Des ruisseaux coulaient de toutes parts et transformaient le moindre passage en cours d’eau sauvage. Les grands chênes, tels d’antiques sentinelles, semblaient surveiller le sentier où deux nouveaux pèlerins cheminaient sur le sol détrempé. Les salamandres, elles-aussi, avaient profité de l’averse pour arpenter la forêt en toute tranquillité. Stella, en bonne naturaliste, prit le temps de s’arrêter pour les observer et les photographier.
« Je n’en avais jamais vu autant dans un même endroit, remarqua Ghjulia.
- C’est normal, les salamandres font partie, avec les autres amphibiens*, des animaux les plus menacés dans le monde.
- On connait les raisons de cette extinction ?
- C’est malheureusement la triade classique : pollution du milieu naturel, disparition des habitats et maladies.
- C’est quoi leur habitat, Stella, les sous-bois ?
- En fait, les salamandres ont deux milieux de vie. Les ruisseaux quand elles sont au stade de larves aquatiques et la forêt après leur métamorphose.
- C’est pour cela qu’elles possèdent cette dualité symbolique !
- Explique-toi, Ghjù.
- Depuis l’antiquité, la salamandre est connue pour incarner à la fois le feu et la glace. Elle fut associée à la déesse Isthar pour les deux aspects antagonistes de sa divinité : l’amour et la guerre, la vie et la mort, ainsi qu’à Vénus, qui comme tu le sais, est l’astre de l’aube comme celui du crépuscule.
- Je ne savais pas que notre petit amphibien était un animal aussi légendaire.
- La nature a toujours véhiculé des symboles forts. Elle imprègne tous les mythes et toutes les légendes de l’histoire humaine.
- Il serait temps, alors, de créer une nouvelle mythologie et d’inciter les gens à s’inspirer de la nature plutôt que de la détruire.
- Là c’est de l’utopie, Stella, mais pourquoi pas, après tout !
Les deux jeunes femmes poursuivirent leur débat pendant que la pluie tombait sans discontinuer jusqu’à ce qu’elles arrivent à Carbini. De là, elles continuèrent sur la strada antica jusqu’à Livia, et enfin, Cucuruzzu. Lorsqu’elles arrivèrent sur le site, les derniers visiteurs, trempés, rejoignaient leurs voitures. Elles se présentèrent à la maison d’accueil où l’archéologue connaissait toute l’équipe pour avoir effectué plusieurs campagnes de fouilles sur place.
« Bonjour tout le monde !
- Ghjulia ! Comment vas-tu depuis tout ce temps ? Quel bon vent ou plutôt quelle vilaine averse t’amène ?
- Ah ce n’est que de la pluie et puis ça régénère la nature ! Je vous présente Stella, mon amie d’enfance qui m’accompagne pour une expérience archéologique.
- Ça, c’est tout toi ! C’est quoi ta nouvelle lubie ?
- Les anciennes transhumances ! On est parties de la vallée de l’Ortolu pour rejoindre le Cuscionu comme le faisaient les bergers préhistoriques.
- Et vous faites tout ça à pied ? Vous êtes de grandes malades, les filles !
- Disons que les grandes découvertes obligent à de grands sacrifices.
- Ça c’est dans Spiderman, non ? »
Tout le monde éclata de rire, la macagna avait fait mouche. Après ces journées isolées dans la nature, les jeunes femmes appréciaient de retrouver l’humour insulaire et la chaleur humaine.
« Les amis, on voudrait passer un peu de temps sur le site. Cela ne vous dérange pas ?
- Pas du tout, faites comme chez vous. Vous serez tranquilles, il n’y a plus personne à cette heure-ci et si jamais la pluie revient vous pourrez toujours vous abriter dans les abris sous roches.
- Merci beaucoup. On fera un peu de ménage avant de partir, promis.
- Parfait ! On vous laisse avec les esprits des ancêtres, alors. »
Ghjulia et Stella prirent amicalement congé des gardiens du site et pénétrèrent dans la forêt de chênes. Les sites archéologiques de Cucuruzzu et de Capula avaient la particularité de permettre à chaque personne qui déambulait sur ces chemins préhistoriques, de voyager dans l’espace et dans le temps. Occupé depuis le néolithique*, l’endroit insufflait une atmosphère pleine de mystère. La forêt abritait de nombreux abris sous roches, des stantari et deux casteddi* de l’âge du bronze. Fouillés et analysés par de nombreux chercheurs, ils avaient produit une quantité suffisante de vestiges pour permettre la construction d’un musée archéologique qui leur était dédié.
Pendant des milliers d’années, Cucuruzzu et Capula avaient rayonné sur le carrefour stratégique des chemins de transhumance. De la préhistoire jusqu’au Moyen-âge, leurs habitants y avaient cultivé le blé, l’orge, élevé des brebis, des chèvres et des cochons. Ils y avaient tissé la laine, travaillé les métaux et la céramique. Durant toute cette période, ils avaient aussi échangé leurs savoir-faire avec les autres peuples de Méditerranée.
Pourtant, après cet « âge d’or », Cucuruzzu et Capula connurent une longue période de déclin, les casteddi furent délaissés pendant des centaines d’années et tombèrent dans l’oubli. Finalement, et presque par hasard, des archéologues les avaient redécouverts.
« Ce qui me frappe le plus sur ce site c’est l’incroyable imbrication du végétal, du minéral et du génie humain, remarqua Stella.
- C’est vrai que cela frôle la perfection. Tu as vu comment le mur d’enceinte du casteddu épouse le chaos rocheux ?
- Oui, c’est magique ! On croirait que c’est la nature qui a fabriqué le mur ou alors, que ce sont les humains qui ont construit le chaos !
- C’est tout à fait ça ! En parlant de magie, j’avais repéré lors de ma dernière visite, une enceinte circulaire pas très loin de là.
- Et tu penses à quoi, au juste ?
- Je pense que Cucuruzzu était beaucoup plus qu’une simple halte sur les chemins de transhumance. Ce site fut probablement, aussi, un lieu religieux.
- C’est la dalle aux étoiles et la déesse gravée qui te font supposer cela ?
- Exactement. Ces deux pierres devaient matérialiser des étapes essentielles pendant le pèlerinage avant d’arriver au sanctuaire. J’espère juste que les ronces n’ont pas complètement envahi le cercle de pierres. »
Ghjulia et Stella se mirent en quête du vestige perdu. Elles étaient sorties des sentiers battus et pénétrèrent dans les bois avec, comme seuls repères, la mémoire de l’une et l’intuition de l’autre.
Le jour déclinait et la forêt filtrait une lumière qui devenait de plus en plus faible au fil des minutes. La végétation dense et touffue rendait leur prospection difficile et la nuit qui arrivait n’arrangeait pas leur recherche. La jeune archéologue pestait contre elle-même et commençait à douter de son jugement.
« Ghjù, tu cherches trop nerveusement ! Calme-toi et concentre-toi.
- Ça y est, tu refais ta gourou ?
- Pas du tout, j’essaie juste de t’aider.
- D’accord et c’est quoi ton truc miraculeux, alors ?
- Tu vas simplement fermer les yeux et explorer ta mémoire.
- Ok, je devrais pouvoir y arriver. Ça y est, j’ai les yeux clos ô Grande Prêtresse !
- Très bien. Tu vas visualiser l’endroit comme lorsque tu y étais quand tu l’as découvert la dernière fois. Quand tu y seras, repère par la pensée le plus de détails possibles. Tout ce que tu verras est important.
Ghjulia exécuta les consignes de son amie sans vraiment croire à l’efficacité de la technique. Mais contrairement à ce qu’elle pensait, elle eut rapidement une première image mentale. Elle voyait précisément l’enceinte circulaire au milieu de la vaste clairière. À l’orée du bois, semblant garder le vestige mégalithique, une statue-menhir, épée gravée sur la poitrine, surveillait le site.
« Mince alors, je l’avais complètement oubliée celle-là !
- Qui ça, Ghjù ?
- La sentinelle ! Je sais où elle se trouve, suis-moi !
La jeune archéologue marcha d’un pas si rapide que Stella dut presque courir pour la suivre. Elles contournèrent un amas de blocs de granit dans lequel s’inséraient, en se contorsionnant, des chênes équilibristes. Au détour d’un imposant rocher aux formes reptiliennes, le long d’un ancien muret de pierres sèches, elles tombèrent soudainement nez à nez sur un Paladinu*. Le guerrier de pierre les toisait de son regard insondable. Du fin fond des âges, il leur intimait l’ordre solennel et silencieux de respecter ce lieu béni des dieux. Impressionnées et admiratives, les jeunes femmes s’arrêtèrent quelques instants avant de s’avancer dans la clairière.
La végétation n’avait pas complètement réussi à absorber les vestiges et Ghjulia n’eut aucun mal à retrouver l’enceinte circulaire.
Les vieilles pierres levées patientaient depuis des milliers d’années et paraissaient inviter les jeunes exploratrices à célébrer un culte aujourd’hui disparu.
« Pourquoi ces vestiges ne font-ils pas partie du circuit de visite du site ?
- Probablement parce qu’ils défient encore toute explication rationnelle. En tout cas, pour l’archéologie « classique ».
- Quelque chose me dit que tu t’es intéressée à d’autres types de recherches.
- Des tas ! Notamment celles qui pensent que les constructions mégalithiques possèdent un usage astronomique. Mais comme le dirait mon père, pas d’écrit, pas de preuve, pas d’hypothèse.
- Mais toi, j’en suis sûre, tu as ta propre théorie, non ?
- Évidemment ! Et je suis certaine que tu meurs d’envie de la connaître.
- Oh oui, Grande Professeure !
- Très bien Mlle Acquaviva. Tu vois ces pierres plus grandes que les autres ? Celles au nord-est et au nord-ouest puis celles au sud-est et au sud-ouest? Ce sont les différentes directions du lever et du coucher du soleil pendant les solstices d’été et d’hiver. J’ai déjà tout vérifié, elles sont parfaitement alignées au degré près.
- C’est fou ! Mais cela servait à quoi ?
- Les anciens ont toujours observé attentivement le cycle du soleil. Notamment, pour anticiper le cycle des saisons. Il ne faut pas oublier que leur survie dépendait des cultures. C’était vital pour eux !
- Il y avait donc une signification pratique dans ces alignements?
- Pratique et religieuse. On suppose aussi, que les mages interprétaient les phénomènes célestes dans le but d’anticiper les phénomènes terrestres.
- Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.
- On y revient toujours !
- Ghjù, tu as vu qu’il y a aussi d’autres pierres particulières, en plus de celles des solstices ?
- Oui, je sais, je l’avais remarqué la première fois, mais je n’ai toujours pas trouvé d’explication à leur positionnement.
Pendant que les deux jeunes femmes discutaient et réfléchissaient, la nuit étendit peu à peu son drap sur la forêt et les premières étoiles firent leur apparition dans le ciel dégagé. Stella sortit son sac de couchage et le réchaud à gaz pour préparer une soupe lyophilisée. Elle avait choisi le moins mauvais des plats d’expédition. Elle espérait pouvoir bientôt retrouver une nourriture digne de ce nom dans les bergeries de l’Alta Rocca. Leur journée de marche avait été longue. La soupe fut vite avalée et les fermetures-éclairs des duvets rapidement remontées.
Malgré les nombreux questionnements et les hypothèses qui tournaient dans leurs têtes, les deux amies s’endormirent sous le rayon de lune qui éclairait l’enceinte préhistorique et l’antique visage de la sentinelle.
Au petit matin, à l’heure où seule Vénus brille dans le ciel, Ghjulia se réveilla comme tirée de son sommeil par une force inconnue. En ouvrant les yeux, elle vit l’astre scintiller dans l’éther bleuté et sentit qu’elle y était mystérieusement reliée. Passé l’instant d’émerveillement, elle se leva et se dirigea vers le cercle de pierres qui s’animait sous les couleurs de l’aube. Elle se posta derrière une des stèles, face à Vénus qui illuminait la scène. Elle pivota sur elle-même et observa la pierre qui était dans cet alignement. Les deux stèles étaient identiques !
« Stella ! Réveille-toi ! J’ai trouvé !
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- C’est Vénus !
- Comment ça ? Explique-toi.
- Tu veux bien prendre dans mon sac la bobine de fil pour délimiter les fouilles ?
Stella fouilla dans le sac et récupéra la grosse bobine. Ghjulia entoura la pierre devant laquelle elle avait effectué son observation. Puis elle se dirigea vers celle qui lui faisait face. Elle répéta la même manœuvre avec toutes les pierres similaires. En parcourant le cercle mégalithique et en reliant les cinq pierres entre elles, elle avait dessiné un pentacle*. Elle se retourna vers son amie.
« Alors, cela donne quoi ?
- Mais c’est un signe Satanique ! s’exclama la jeune biologiste
- Pas du tout. C’est le pentacle de Vénus ! Ne t’affole pas, je vais tout t’expliquer. Vénus, l’astre du matin était désigné dans la mythologie latine par l’adjectif lucifer, de lux (lumière) et du verbe ferre (porter), le porteur de lumière.
- Lucifer, c’est le porteur de lumière ?
- C’est la planète Vénus, Stella. Mais une succession d’erreurs et de confusions ont donné à Lucifer un rôle diabolique. Cela a commencé avec l’Ancien Testament, où il est question de la chute d’un tyran, roi de Babylone, par la métaphore : « la chute de l'astre brillant du matin ».
Cette parabole a été ensuite traduite dans la Bible par « la chute de Lucifer ».
- C’est une simple erreur de traduction qui a tout déclenché ?
- Pas seulement. Les Pères de l’église* ont aussi repris cette symbolique de la chute après l’éclat en personnifiant Lucifer et en l’associant à Satan, l’ange déchu, celui qui avait voulu s’élever au dessus de Dieu. Il y a aussi cette parole de Jésus : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair », ce qui renforce encore la confusion entre Satan et Lucifer.
- Tout de même, ce pentacle est différent de l’étoile de la déesse. Il possède cinq branches au lieu de huit. Tu es certaine qu’il symbolise Vénus ?
- Absolument ! Mais cette fois-ci, c’est pour la représentation de son cycle cosmique.
- Comment ça ?
- Cette figure est la parfaite reproduction des cinq conjonctions* de la planète Vénus au cours de son cycle.
- Tu veux dire que ce pentacle mégalithique était un calendrier astral ?
- Exactement. Ces cinq stèles devaient correspondre à des périodes précises auxquelles Vénus était alignée avec la Terre et le Soleil.
- Mais, Ghjù, comment ces hommes de la préhistoire réussissaient-ils à anticiper des phénomènes célestes aussi complexes ?
- C’est un mystère.
- Et on sait pourquoi ils cherchaient à prévoir ces conjonctions ?
- Ça, c’est encore plus mystérieux ! »
Aux premières lueurs de l’aube, les animaux avaient sonné le départ et le berger avait dû se hâter pour accompagner le troupeau. Certainement que les bêtes, sentant le premier plateau d’altitude tout proche, s’impatientaient de retrouver l’herbe grasse et nourrissante des hauts plateaux. La veille, après avoir gravi le col, Joakim avait préféré faire une halte pour la nuit. Il savait que la route serait longue et il ménageait les efforts de ses animaux comme de ses compagnons. Koriu, quant à lui, suivait le rythme en bougonnant.
« Je n’ai pas eu le temps de manger ! Pourquoi les chèvres sont-elles si pressées, ce matin ?
- Elles espèrent arriver sur le pianu avant que le soleil soit au zénith.
- Comment le sais-tu ? Elles se confient à toi à leur réveil ?
- Toujours. Je connais aussi leurs rêves et leurs habitudes.
- Tu vois, Mila, les bergers ne sont vraiment pas faits comme nous.
- Je pense plutôt qu’ils se mettent à la place de leurs bêtes.
- En vérité, je fais partie de leur famille comme elles font partie de la mienne.
- C’est ce que je disais. Ils ne sont pas comme nous ! »
Joakim sourit. Après tout, son ami avait peut-être raison, les bergers avaient toujours été considérés un peu à part et ils avaient gardé, avec la transhumance, d’autres traditions ancestrales particulières. D’ailleurs, le jeune pastore s’attendait à rencontrer bientôt des troupeaux et des bergers venant des vallées du levant. Ils allaient devoir respecter les différents versi, les parcours des bêtes entre les terres de pâturage. Chaque berger connaissait parfaitement la direction à donner à ses animaux pour que leur parcours ne dérange pas celui des autres. Mais pour le moment, ils traversaient seuls une crête qui menait au pianu. Leurs regards pouvaient plonger en contrebas, vers la vallée qui s’élançait jusqu’à la mer, ou bien s’envoler vers les sommets enneigés qui dominaient les hauts plateaux.
Le soleil s’était levé depuis peu au-dessus des aiguilles de pierre. Les nuages avaient revêtu la lumière pâle des songes et l’éclat naissant de l’astre irradiait le ciel. La plaine s’offrait dans la splendeur de l’aube et sa beauté faisait vibrer leurs âmes.
Toute la matinée, le troupeau avait parcouru le sentier comme si un rendez-vous secret l’attendait. Les bêtes obligèrent Joakim, Koriu et Mila à marcher sans interruption jusqu’à ce qu’ils aperçoivent les prairies de Cucuruzzu.
En arrivant sur place, d’autres troupeaux occupaient déjà les lieux de pâturage.
Brebis, vaches, chèvres et cochons étaient dispersés sur l’ensemble des terres attribuées aux animaux. Séparées par d’interminables murets de pierres, les cultures de blé, d’orge et de lin s’étalaient à proximité du village.
Joakim, accompagné de Mila, ne tarda pas à venir à la rencontre des autres bergers afin de ne pas créer d’incident avec leurs troupeaux. De son côté, Koriu se rendit au casteddu pour se présenter. Le Chef Austu et le père de Koriu se connaissaient depuis longtemps et les deux clans étaient alliés.
« Je te salue, fils de Cauria. Sois le bienvenu. As-tu simplement accompagné la muntagnera ou y a-t-il une autre raison à ta venue parmi nous ?
- Je te remercie pour ton hospitalité, Austu, et je te transmets les salutations de mon père. Tu as raison, j’accompagne la transhumance. Mais je dois aussi poursuivre la route jusqu’aux hauts sommets pour accomplir une mission.
- C’est donc cela ! Notre Grand Prêtre a vu les augures qui l’annonçaient. C’est très bien, ainsi tu seras parmi nous pour la course de l’Oiseau Sacré.
- La course de l’Oiseau Sacré ?
- C’est le rituel qui consacre le Guerrier Céleste, mais notre mage t’en parlera mieux que moi. La cérémonie aura lieu ce soir et la quête débutera demain à l’aube. Viens avec moi, je t’emmène au sanctuaire. »
Koriu accompagna le chef du clan jusqu’au milieu de la clairière où le cercle de roches levées avait été érigé. Quatre sentinelles sculptées gardaient le lieu et par leur magie imposait la dévotion et le respect. À l’extérieur de l’enceinte, des jeunes hommes et des femmes de tous âges préparaient le festin qui précéderait la cérémonie. À l’intérieur, des hommes recouvraient des stèles de poudre d’hématite en formant un symbole céleste. Au cœur de l’étoile, un grand serpent de pierres s’enroulait sur lui-même. En retrait, Melzioru, le Grand Prêtre semblait observer une scène inconnue. Les deux hommes s’approchèrent du mage qui les fixait de son regard perçant. Austu, présenta le jeune guerrier :
« Melzioru, voici Koriu…
- Du clan de Cauria. Je sais, c’est la Déesse qui l’a choisi et c’est leur mage qui nous l’envoie. »
Koriu avait beau connaître les pouvoirs de divination des prêtres, leurs prouesses le surprenaient toujours. Dans la vie des communautés, ils constituaient une caste mystérieuse et secrète. En leur présence, le jeune homme se trouvait toujours mal à l’aise, comme face à des reptiles menaçants.
Aujourd’hui encore, il trouvait le Grand Prêtre encore plus effrayant qu’Usil, le mage qui avait longtemps peuplé ses cauchemars d’enfant.
« Salut à toi, Koriu. Tu es venu pour concourir, n’est-ce-pas ?
- J’avoue que je viens de découvrir ce culte à l’instant.
- Pourtant ton destin sera d’y participer. Ce soir, tes compagnons de voyage seront nos invités. Quant à toi, jeune guerrier, prépare-toi dès à présent pour la cérémonie. »
Surpris, Koriu ne savait pas comment réagir. Refuser l’invitation risquait de faire offense aux deux clans. Participer au rituel, c’était abandonner Joakim et Mila dans un moment délicat. De nombreuses pensées contradictoires se bousculaient dans sa tête. Désemparé, il prit congé de ses hôtes et rejoignit la prairie pour réfléchir et annoncer l’étrange nouvelle à ses compagnons. À la vue de son ami, Joakim perçut que quelque chose n’allait pas. Le jeune guerrier n’avait pas son allure habituelle et il ressentait le trouble qui le perturbait.
« Quelque chose est arrivé ?
- Leur Grand Prêtre me demande de participer à un rituel !
- Quel rituel, Koriu?
- Je ne sais pas trop. Tu connais les mages, ils ne disent rien clairement. Tout chez eux reste caché et mystérieux, mais le chef Austu m’a parlé d’un culte de l’oiseau.
- Le culte de l’Oiseau Sacré? Usil a déjà fait allusion à ce rituel ancestral. Quoi qu’il en soit, tu ne peux pas refuser l’invitation.
- Je sais, je dois préserver l’alliance des deux clans, c’est essentiel pour nous et pour Mila.
- Tu as raison, nous devons garder le soutien du clan si jamais ceux de Foce se manifestent.
- J’espère seulement que le rituel ne sera pas trop long et que je pourrai rapidement vous retrouver. D’ailleurs, il faut se rendre au sanctuaire pour les préparatifs, vous êtes tous les deux invités à la cérémonie. »
Les trois jeunes gens se dirigèrent vers l’enceinte sacrée où tout le village était déjà présent. Tous semblaient savoir qu’un nouveau venu participerait au rite et leur arrivée ne passa pas inaperçue. Ils furent immédiatement accueillis par la famille du chef et on les invita à se joindre au festin. Pour l’occasion, veaux, agneaux et cochons avaient été préparés et rôtis. De grandes cruches de boisson fermentée circulaient gaiement. Les esprits étaient à la fête, les cœurs étaient légers et des chants s’élevèrent au-dessus de la clairière sous le regard impassible des sentinelles de pierre.
Alors que les deux jeunes hommes étaient en train de se resservir de tranches de veau rôti, une sensation de danger imminent alerta le guerrier.
D’instinct, Koriu chercha Mila du regard. Il aperçut la jeune femme qui se débattait pour se dégager des mains d’un inconnu. Le jeune guerrier se précipita, empoigna l’homme, lui tordit violemment le bras jusqu’aux creux des omoplates et lui plaqua le visage contre un arbre.
« Tu as de la chance que nous soyons les invités du clan et que je ne veux pas leur faire offense, sinon je t’aurais déjà brisé les os !
- Lâche-moi ! Je ne savais pas qu’elle était avec toi !
- Maintenant tu le sais et ne t’avise plus de l’approcher ni même de la regarder ! »
Koriu relâcha l’homme qui se dépêcha de rejoindre trois autres individus qui étaient restés à l’écart. La scène n’avait duré que quelques secondes mais les chants s’étaient arrêtés et tous les regards s’étaient dirigés vers eux. Austu profita de ce silence momentané :
« Mes amis, l’heure est venue. Il est temps pour les guerriers du culte de l’Oiseau Sacré de se préparer. »
Koriu rassura Mila et confia à Joakim la mission de veiller sur elle. Puis il se dirigea à regret vers l’enceinte de pierre. Au cœur du sanctuaire, cachés à la vue des regards profanes, le Grand Prêtre et de vieilles femmes attendaient les concurrents. Sans qu’aucun mot ne fût prononcé, Koriu fut pris en charge par les mains expertes des officiantes. On lui retira ses vêtements et on le brossa entièrement à l’aide de branches d’astratella*. Puis on fit passer des brindilles enfumées et odorantes tout autour de lui, en psalmodiant des prières. Ces nettoyages rituels devaient le débarrasser des mauvais esprits qui pouvaient s’accrocher à lui comme des parasites. Enfin, on les accompagna au milieu du cercle de pierres autour duquel des torches avaient été allumées. Des cantiques accompagnèrent la procession. La scène était si saisissante que le jeune guerrier sentit ses cheveux se dresser sous l’émotion. Les concurrents furent placés devant les cinq stèles couleur de sang. Pour la première fois, ils découvraient tous les autres participants. Chacun se dévisageait et Koriu reconnut l’homme qui avait importuné Mila. Lui aussi le reconnut et un éclat sombre jaillit dans son regard.
Un murmure parcourut l’assistance qui s’était regroupée autour de l’enceinte. Le Grand Prêtre venait de pénétrer au cœur du long serpent de pierres. Il était accompagné d’un personnage à la peau couleur de sang. L’homme portait un masque en forme de tête de rapace avec une étoile sculptée sur le front. Au milieu de sa poitrine brillait un poignard en cristal. Tous les regards se portèrent sur lui.
Le Mage leva les bras et les chants cessèrent :
« Demain, les astres s’aligneront pour recréer le serpent éternel.
Le temps d’un souffle, passé et avenir ne formeront qu’un.
Demain, un nouveau Guerrier Céleste succèdera à l’ancien,
Et s’envolera sur les ailes de l’oiseau divin.
Mais ce soir, c’est par le sang que vous serez reliés,
Reliés au Ciel, à la Terre et à la Quête Sacrée. »
Aussitôt, le personnage au masque d’oiseau brandit son poignard et marcha droit vers le jeune guerrier.
Koriu tressaillit et ses muscles se raidirent prêts à combattre.
Pourtant, lorsque l’homme s’approcha si près qu’il pouvait sentir son odeur, ses yeux le fixèrent avec une telle intensité qu’il ne fit aucun mouvement pour se défendre. D’un geste précis, l’inconnu lui entailla le torse de sa lame de cristal.
Au même moment, venue de nulle part, une des vieilles femmes apparut à ses côtés. Avec le sang qui coulait de sa poitrine, elle dessina d’étranges formes spiralées sur son corps.
Mystérieusement, lorsqu’elle eut fini son œuvre, le sang cessa de suinter et la blessure sembla se refermer d’elle-même. Koriu n’avait jamais rien vécu de tel. Bien sûr, il avait affronté le taureau sacré et il avait plongé dans son abîme de chagrin, mais ce soir, il sentait au plus profond de lui, que cet étrange rite allait changer le cours de sa vie. Autour de lui, les autres concurrents avaient également été saignés et grimés. Ils incarnaient maintenant les cinq branches de l’étoile qui rayonnait d’une force magique.
Le Grand Prêtre reprit la parole de sa voix puissante :
« Demain, aux premiers rayons du soleil, vous vous élancerez vers la montagne et ses aiguilles de pierre.
Vous grimperez le long de la paroi vertigineuse pour atteindre le nid de l’Altore.
Si vous réussissez et si l’Oiseau Sacré ne vous a pas dépecés vivants, vous prendrez son œuf.
Il est vital que vous rameniez l’œuf intact.
C’est de lui que naîtra le nouvel Oiseau Divin.
C’est sur son aile que souffleront l’esprit de nos ancêtres et l’âme de nos descendants.
C’est par son os sacré que nous volons dans l’espace éternel pour nous souvenir de notre avenir.
Celui qui accomplira cette Quête Céleste sera l’égal d’un dieu vivant.
Ainsi ai-je parlé.»
« L’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons en faire »
Henry Bergson
A Strada di u Tempu
∻
Le soleil s’élevait derrière les Aiguilles de Bavedda et projetait ses rayons à travers le relief minéral.
« Stella, je ne sais plus très bien quelle direction donner à ce périple.
- De quelle orientation parles-tu ? La géographique ou l’archéologique ?
- Les deux ! Tu te souviens, je t’avais dit que Cauria et Cucuruzzu étaient alignés sur un axe précis ? J’avais pensé prolonger cette orientation pour tenter de comprendre comment les objets rituels se sont retrouvés dans la tombe.
- D’accord et quel est ton problème ?
- Le problème est que cet alignement passe ensuite par les Aiguilles de Bavedda et je pense que nos bergers préhistoriques ne pouvaient pas prendre cette direction pour leurs transhumances. Ils devaient plutôt se rendre sur le plateau du Cuscionu comme des générations de bergers l’ont fait après eux.
- Alors, peut-être que cet alignement n’était pas fait pour les transhumances.
- Mais pour faire quoi ? Il y a bien cette histoire de lever de soleil sur les aiguilles pendant le solstice d’été. Ce n’est pas possible qu’il n’y ait pas un lien.
- Il y aurait-il un rapport avec l’altore ? Tu sais que Bavedda est le principal site de nidification du gypaète ?
- Ah bon ? Et tu penses qu’il y a 4000 ans aussi ?
- Très probablement, la géologie du massif est parfaite pour lui.
- Alors, on pourrait imaginer un culte qui lui serait dédié et on aurait notre lien avec la flûte rituelle.
- C’est une hypothèse séduisante, non ?
- Mon père nous dirait qu’il faut toujours se méfier des hypothèses séduisantes, mais rien ne nous empêche d’expérimenter. »
Aussitôt, les deux jeunes femmes rassemblèrent leurs affaires pour se remettre en route.
Pendant que Stella était en train de récupérer la cordelette déroulée entre les pierres levées, Ghjulia, qui l’observait attentivement, lui demanda de suspendre son travail :
« Attends un peu, je voudrais vérifier quelque chose ! »
L’archéologue pianota quelques secondes sur son téléphone et s’immobilisa, stupéfaite.
« Stella, viens voir ce que j’ai trouvé !
Elle lui tendit son téléphone sur lequel s’affichait un calendrier des conjonctions des planètes du système solaire.
- C’est demain que se fera le prochain alignement de Vénus avec la Terre ?
- Oui, c’est incroyable, non ?
- Avec ça, nous sommes bien au-delà de simples coïncidences !
- Attention, Stella, tu refais ta mystique.
- Et toi ta sceptique ! »
Après avoir récupéré tout leur équipement, les deux exploratrices se dirigèrent vers le sentier qui rejoignait le village de Quenza et le GR20* jusqu’à Bavedda.
Les deux jeunes femmes n’étaient plus habituées à rencontrer autant de monde en chemin. Elles avaient traversé des contrées isolées et ce retour en société les surprenait. Le chemin qui longeait le vallon de l’Asinau faisait la liaison sur l’Alta Strada* et il était emprunté par de nombreux randonneurs qui accomplissaient l’itinéraire du Nord au Sud de l’île.
Ce n’était que le milieu de la journée et, déjà, de très gros cumulus bourgeonnaient sur les sommets. Stella prêtait une attention particulière à ces formations nuageuses, fréquentes à cette altitude et à cette période de l’année. Mais, contrairement à l’épisode de la veille en forêt, les orages de montagne, eux, pouvaient rapidement devenir dangereux.
Elles marchaient le long du ruisseau de l’Asinau dans une ancienne vallée glacière. Partout autour d’elles, d’énormes rochers arrondis jonchaient le paysage et paraissaient s’être écrasés au sol, comme une pluie de météorites. Pourtant, ce n’était pas un phénomène stellaire qui avait amené ces gros blocs de granit dans la vallée mais un très ancien glacier qui les avait charriés pendant des milliers d’années. Pour l’heure, le sentier grimpait toujours plus haut et ajoutait une difficulté supplémentaire à l’accumulation de leurs efforts. L’ascension commençait à éprouver les jambes comme les mollets des deux exploratrices. Cependant, la biologiste et l’archéologue s’inquiétaient plus des risques imminents d’un orage que de leurs douleurs musculaires.
« Ghjù, il faut décider maintenant si on tente le chemin à travers Bavedda ou si on continue à grimper dans la vallée.
- Tu connais mieux le massif que moi, Stella, qu’en penses-tu ?
- Ces nuages ne me disent rien de bon. Je crois qu’il vaut mieux continuer en direction de Bocca d’Asinau, si jamais le temps se dégrade nous pourrons toujours rejoindre le refuge en haut de la vallée.
- En longeant le massif, nous pouvons toujours repérer quelques sommets susceptibles d’abriter un nid de gypaète.
- Qui sait ? Avec un peu de chance…
- Ce n’est pas toi qui disais que le hasard n’existe pas et qu’il n’y a que des rendez-vous ?
- Tu marques un point, Ghjù ! »
Les deux amies éclatèrent de rire. Aujourd’hui elles avaient décidé de limiter les risques. Elles poursuivraient leurs efforts jusqu’au col d’altitude et dormiraient au refuge.
Cela faisait maintenant plusieurs heures qu’elles grimpaient dans la vallée. Elles avaient dépassé la Funtana d’Alzitella et elles longeaient les crêtes de Castellucciu, quand l’orage éclata. Puissant et violent, il n’admettait aucune hésitation, il fallait trouver un abri rapidement.
« Heureusement que nous ne sommes pas en plein milieu du massif. Bravo pour ta prudence, Stella !
- Attends d’être à l’abri pour me remercier ! »
Immédiatement, elles sortirent leurs vestes étanches et les housses protectrices de leurs sacs. Les coups de tonnerre faisaient littéralement trembler la montagne. On pouvait sentir la force inouïe de la nature dans la manifestation de ses éléments. En quelques secondes, des trombes d’eau s’abattirent sur les deux exploratrices en réduisant leur champ de vision. La jeune biologiste prit rapidement des repères et les mémorisa pour se souvenir de l’itinéraire à suivre quand la visibilité se dégraderait encore davantage. Et cela ne tarda pas.
« Stella, comment fais-tu pour te repérer ? On voit à peine le sentier !
- Je me suis déjà perdue une fois en montagne sous l’orage. Maintenant, j’ai ma méthode.
- Très bien, en tous cas, moi je te suis à la trace et je ne te lâche plus ! »
Elles se sentaient minuscules, soumises aux forces titanesques des éléments. Elles marchaient lentement et silencieusement, telles deux pénitentes.
Finalement, malgré ces conditions dantesques, elles arrivèrent sans encombre au refuge en fin d’après-midi. Bien qu’équipées de vêtements étanches, elles étaient complètement trempées. À peine entrée dans le gîte d’étape, Stella lança à la cantonade :
« Salute à tutti ! »
Le gardien du refuge, qui tisonnait des braises dans la cheminée, se retourna, observa les deux randonneuses dégoulinantes et répondit :
- Salute à voi, venez vite vous sécher près du feu !
- Merci beaucoup ! Avez-vous de la place pour nous deux cette nuit ?
- Évidemment, je ne vais pas vous laisser dehors avec ce temps ! Je suppose que vous allez aussi rester diner avec nous, il y a du tianu di fasgioli*.
- S’il est aussi bon que celui que j’ai mangé ici il y a quelques années, vous pouvez nous en réserver deux bonnes assiettes. »
Le refuge était bondé. Pourtant, cela faisait chaud au cœur de retrouver un toit pour s’abriter, un feu pour se réchauffer et un bon repas pour récupérer. Les deux jeunes femmes se changèrent pour s’installer près de la cheminée. D’autres randonneurs patientaient près du foyer en attendant l’heure du repas et en espérant le retour du beau temps.
Plongée dans la contemplation du feu, Ghjulia interrogea son amie :
« Comment comptes-tu t’y prendre demain pour trouver un nid de gypaète ?
-J’ai un ami qui a participé cette année au recensement de la population et j’ai encore la carte de ses observations sur mon téléphone.
- Des nids ?
- Non, des individus en vol.
- Comment savoir où sont les nids, alors ?
- On sait que, pour nicher, l’altore affectionne les hautes parois rocheuses, abruptes et verticales.
- Mais, Stella, il n’y a que ça ici, des parois abruptes et verticales !
- Je sais bien, Ghjù, mais sois confiante, on a déjà découvert tant de choses que cela ne peut pas s’arrêter là. »
Quand l’heure du dîner arriva, tout le monde s’attabla autour des marmites fumantes. Le ragoût était délicieux et redonna un peu d’espoir dans le cœur et les têtes des exploratrices. À la fin du repas, chacun se prépara pour la nuit. Il était tôt, mais la plupart des marcheurs devaient rejoindre leurs itinéraires avant les premières lueurs de l’aube.
Le sommeil de Stella fut de courte durée, elle étouffait dans la chaleur confinée du refuge. Elle alluma sa lampe frontale pour ne pas réveiller les marcheurs endormis et sortit avec son sac de couchage dans les bras. Le ciel s’était maintenant découvert et les étoiles semblaient si proches que la jeune femme décida de poursuivre sa nuit à l’extérieur. L’atmosphère était fraîche et le sol détrempé par l’orage. Elle chercha un endroit sec, sous l’auvent, pour s’y installer. Blottie bien au chaud dans son duvet, elle respirait l’air pur des montagnes et elle ne tarda pas à se rendormir.
Un altore planait dans les courants ascensionnels et le soleil jouait dans les plumes de ses ailes. Le rapace continuait à glisser dans l’éther en volant de plus en plus bas. Finalement, il rejoignit son nid, caché dans l’anfractuosité d’une immense aiguille rocheuse. La Punta Vechja s’élevait, sublime et vertigineuse. À sa grande surprise, Stella aperçut un homme en train d’escalader à mains nues la paroi verticale. Il ne portait qu’un simple pagne et son corps était entièrement recouvert de dessins rouges sang.
Elle se demandait qui il pouvait être, quand un deuxième personnage apparut au pied de la paroi. Soudain, il brandit un arc, l’arma et visa l’homme qui escaladait l’aiguille rocheuse. Il libéra sa flèche qui siffla dans l’air avant de se figer dans le dos du grimpeur.
Celui-ci s’immobilisa un instant, puis tomba. Stella se précipita pour le secourir, mais avant d’atteindre le corps qui reposait sur le sol, elle se réveilla brusquement dans son duvet, le souffle court. Son rêve était inscrit dans sa mémoire, clair, précis avec une infinité de détails. Tout cela faisait penser plus au souvenir d’un instant vécu, qu’à un songe.
Une lumière venait d’apparaitre dans le refuge, les premiers randonneurs se réveillaient et se préparaient pour leur journée. Troublée, elle retrouva Ghjulia qui, debout depuis peu, rangeait son duvet.
« Coucou, Stella ! Tu as passé la nuit dehors ?
- Ghjù, est-ce que les hommes de Cauria ou de Cucuruzzu se peignaient le corps ?
- Tu en as de drôles de questions de bon matin ! Patiente quelques minutes, prépare-moi un bon thé et je promets de te répondre. »
Lavée, habillée et assise devant une tasse de thé brulant, Ghjulia avait retrouvé son esprit alerte et sa mémoire encyclopédique.
« Des découvertes ont été faites dans plusieurs grottes occupées pendant la préhistoire. On y a retrouvé de nombreux flacons contenant de l’ocre rouge.
- De l’ocre rouge ?
- Oui, le rouge, la couleur du sang. Cette teinte a toujours été considérée comme le symbole de la vitalité et de la fertilité. On pense que la peinture des corps pendant toute la période préhistorique et jusqu’à l’âge du Bronze, devait célébrer des moments importants dans la vie des tribus ou des clans. Pourquoi cette question ?
- J’ai fait un rêve très étrange cette nuit, dans lequel je voyais un homme escalader une aiguille rocheuse pour atteindre le nid d’un gypaète. Il avait des peintures sur tout le corps, rouges comme le sang.
- Tu as certainement projeté ton désir de découverte avec des bribes de souvenirs pour fabriquer ton récit onirique.
- Je ne savais pas que j’étais amie avec Mme Freud ! Pour moi, les rêves sont un outil de connaissance.
- C’est-à-dire ?
- Disons que les rêves me transmettent des informations inaccessibles autrement. Par exemple, je sais maintenant sur quelle aiguille grimper pour trouver ce nid.
- Ah bon ? Et tu penses que tes informations sont fiables ?
- On va vite le savoir. Prenons nos affaires et mettons-nous en route ! »
Le soleil, qui avait fait son apparition au-dessus des sommets, nimbait la vallée d’une étoffe fine et dorée. Stella marchait dans la lumière matinale, en direction de la Punta Vechja. Elle avait parfaitement reconnu dans son rêve cette aiguille remarquable. Ghjulia, quant à elle, suivait le mieux possible le rythme de son amie qui dépassa rapidement les bergeries en contrebas du refuge.
Elles traversèrent le ruisseau pour rejoindre le vallon de Giaghjiccia. Peu de temps après, l’archéologue remarqua, à proximité du sentier, les ruines de petits édifices.
« On dirait des vestiges de fours à chaux. J’ai lu, il y a peu de temps, quelque chose sur ces fours. La fabrication de la chaux aurait débuté ici il y a 4000 ans.
- Alors, nous marchons bien sur les traces de nos ancêtres, conclut la biologiste. »
Les deux exploratrices contournèrent les formations rocheuses pour arriver au pied de la Punta Vechja. Admirative, Ghjulia ne put s’empêcher de s’extasier devant la beauté monumentale de l’aiguille de granit.
« Stella, comment se fait-il que la paroi soit équipée pour l’escalade ? Ce n’est pas un site de nidification ?
- Ça l’était ! Avec la fréquentation de plus en plus importante de Bavedda par les grimpeurs et les randonneurs, les gypaètes se sont réfugiés sur la partie nord du massif. Si on trouve un nid, ce sera un nid déserté, malheureusement. »
La jeune femme sortit un véritable équipement d’alpiniste de son sac à dos : cordes, baudrier, mousquetons, descendeur,... Devant l’air dubitatif de son amie, elle lui donna quelques précisions :
« L’escalade risque d’être technique. Alors, j’ai récupéré un peu de matériel supplémentaire auprès du gardien du refuge. Je vais te montrer comment m’assurer pendant que je grimperai.
-Tu penses que je vais savoir faire ça ?
- Il n’y a que toi et moi ici. Si on veut accéder au nid, on n’a pas le choix. »
Stella installa tout l’équipement pour son escalade. Puis, elle fit à Ghjulia plusieurs démonstrations pour que l’archéologue sache l’assurer pendant qu’elle grimperait. Enfin, elle observa longuement la paroi pour repérer son itinéraire et entama son ascension. Elle se déplaçait sans effort malgré la verticalité de la paroi et semblait effectuer une chorégraphie aérienne.
« Sois prudente, Stella, on a tout notre temps ! »
La biologiste sentait dans le ton de sa voix, toute la nervosité de son amie mais elle restait concentrée et continuait à grimper. Elle était arrivée à mi-chemin quand elle marqua une pause.
Elle décela, du coin de l’œil, une ombre qui planait haut dans l’azur. Elle avait appris à être attentive aux signes de la nature. Un passage plus technique que les autres demandait une attention particulière.
« Ghjù, tu vas m’assurer plus serré, ma prochaine prise ne sera pas facile ! »
Au moment où Stella s’élançait en envoyant sa main dans une faille située au-dessus d’elle, elle sentit une décharge électrique la traverser de part en part. Du sang coula le long de son bras et elle décrocha de la paroi pour basculer dans le vide mais, étrangement, se sentit flotter.
Plus étrange encore, le sang, qui ruisselait sur son bras et serpentait comme un reptile écarlate, prenait vie sous ses yeux. Effrayée mais immobile, elle se voyait, pendue au bout de la corde, entourée du serpent lumineux qui occupait tout l’espace. Sans cesser d’onduler, l’animal lui fit face et la fixa intensément. Dans ses pupilles de cristal, Stella aperçut une mystérieuse scène : au milieu d’une vaste clairière, autour d’un cercle de pierres et de flammes, des femmes peignaient de jeunes hommes avec leur propre sang. Un personnage masqué tenait un poignard dont la lame translucide reflétait l’éclat de la lune. Bizarrement, et au même moment, elle reconnut le guerrier de son rêve, s’entretenir avec une jeune femme à la longue chevelure cuivrée. À son poignet, un serpent de bronze scintillait. Stella reconnut le bijou mais ignorait l’origine de ce souvenir. Pendant ce temps suspendu, l’immense reptile continuait à onduler en se déployant à l’infini.
Stella allait s’abandonner à sa vision hypnotique quand elle aperçut Ghjulia, bloquée contre la roche, complètement paniquée et qui criait des mots qu’elle ne pouvait entendre.
Alors, dans un effort intense, elle sortit de sa vision et de cet espace hors du temps. Elle réintégra son corps, pendue à la corde, les jambes dans le vide et entendit son amie hurler.
« Stella ! Stella ! Secoue-toi ! »
Dans un mouvement de bascule, la jeune femme recolla au rocher et à la réalité.
« C’est bon, Ghjù, ne t’inquiète pas je vais redescendre ! »
La biologiste se laissa glisser lentement, en rappel*, jusqu’au sol. Ghjulia semblait elle-aussi en état de choc.
« Que s’est-il passé ? Je me suis retrouvée projetée contre la paroi, j’ai cru que tu étais morte ! Et c’est quoi tout ce sang sur ton bras ?! »
Stella se déséquipa pour nettoyer sa plaie mais il fallait d’abord rassurer Ghjulia pour tenter de remonter.
« C’est rien. J’ai pris un appui qui n’en n’était pas un.
- Tu plaisantes ! Tu es tombée et tu as perdu connaissance. Sans moi tu serais morte ou estropiée.
- Justement, c’est pour ça que j’ai besoin que tu m’assures.
- Mais je ne t’assure plus rien du tout ! Basta, on arrête, c’est trop dangereux !
- Ghjù, on ne peut pas renoncer alors qu’on est sur le point de découvrir un mystère. Je sais que cet endroit va nous révéler son secret.
- Sans moi ! Je renonce. C’est au-dessus de mes forces.
- Ok, j’y vais sans ton aide, alors. »
Elle attrapa une corde supplémentaire, fit un nœud à son extrémité, l’enroula autour de ses épaules et s’approcha de la paroi.
Ghjulia, qui observait chacun des gestes de son amie, l’arrêta au moment où elle s’apprêtait à escalader. Elle la fixa de son œil noir :
« C’est bon, tête de mule, je vais t’assurer. »
Stella lui fit son plus beau sourire, enclencha le mousqueton sur son baudrier et s’élança. Cette fois, Ghjulia était prête à anticiper la moindre défaillance de son ascension.
Arrivée au passage crucial, la jeune biologiste déroula la corde et la lança en direction d’une large fente au-dessus d’elle. Le nœud se bloqua dans la fissure et offrit une prise supplémentaire. Grâce à cette aide, elle put se hisser au niveau de l’anfractuosité qu’elle avait manquée la première fois. Elle observa scrupuleusement la paroi et, à l’endroit où elle avait posé auparavant ses doigts, elle découvrit un éclat d’obsidienne* incrusté dans la roche. Elle décrocha le fragment, l’observa longuement avant de le ranger précieusement dans la poche arrière de son short.
Elle poursuivit son escalade en direction d’une petite béance qu’elle avait aperçue au cours de son repérage. Peu à peu, les passages devinrent plus faciles et elle ne tarda pas à rejoindre un promontoire sur lequel elle reconnut l’amoncellement de bois caractéristique des nids de gypaète. Un renfoncement lui permit d’accéder à l’arrière du surplomb rocheux, qui abritait une grotte. La jeune femme décrocha son mousqueton, rassura d’un petit geste son amie et pénétra dans la cavité. Rapidement, elle dût poursuivre son exploration accroupie, en avançant à quatre pattes dans l’obscurité. Le faisceau de sa lampe éclairait le sol devant elle et la biologiste y décela quelques ossements dispersés. Ils n’étaient pas creux, certainement s’agissait-il de carcasses d’animaux qui n’avaient pas été consommées par le rapace. Elle s’enfonça d’avantage dans la grotte. Elle avait la sensation d’avoir pénétré dans le ventre de la montagne ou peut-être même au sommet de son crâne. Quelques mètres plus loin, un autre tas d’os attira son attention. Cette fois, leurs formes et leur légèreté ne faisait aucun doute, c’étaient bien des os de gypaète. Au moment où elle allait récupérer ce qui paraissait être l’aile de l’animal, elle aperçut une forme qu’elle reconnut. Elle était stupéfaite, cet objet ne pouvait pas être là. Troublée mais poussée par un élan irrésistible, Stella prit délicatement le coquillage, le retourna dans tous les sens, le débarrassa de la terre qui l’encombrait et le porta à sa bouche. Elle souffla à l’intérieur du cornu marinu*, comme le lui avait appris son ami berger. La vibration fit trembler les os de son crâne et le son puissant remplit la grotte comme une immense caisse de résonance. Soudain, elle sut ce qu’elle devait faire. Elle attendit que le son finisse de retentir, puis recommença une seconde fois. Elle prit une profonde inspiration et souffla une troisième fois. La jeune femme avait produit une complainte venue du fond des âges, voyageant comme un extraordinaire écho à travers l’espace et à travers le temps.
Il était temps de se préparer. Il faisait encore sombre mais Joakim venait de faire un rêve qui possédait un brûlant message. Dans ce songe, il avait vu une jeune femme, étrangement habillée, grimper sur l’aiguille rocheuse au-dessus du vallon aux neiges éternelles. Elle avait escaladé la paroi jusqu’au nid de l’oiseau sacré. Puis, elle s’était introduite dans la grotte. Le son d’un cornu avait alors résonné. Sans rien dire de précis, juste une longue et puissante complainte.
Il en était sûr, ce rêve était un augure pour Koriu et son épreuve. Pour l’heure, le sens du message lui était encore inconnu, mais le berger savait qu’il devait rester attentif aux signes qui surgiraient tout au long de la journée. De son côté, le jeune guerrier n’avait pas dormi, son cœur et son esprit étaient trop agités. Debout, il scrutait le ciel étoilé, cherchant fiévreusement un soutien céleste ou l’aide d’un ancêtre.
Mila, elle-aussi, était anxieuse. Pour chercher un peu de sérénité, elle était allée à la source remplir la zucca* de Koriu mais elle n’osait pas le déranger et attendait nerveusement les premières lueurs de l’aube. Percevant cette atmosphère tendue, le berger décida de se rapprocher de son ami pour lui donner quelques précieux conseils :
« Koriu, nombreux sont les chemins qui mènent aux hautes cimes et innombrables sont les aiguilles de pierres mais il existe un seul nid d’oiseau sacré. Tu devras absolument observer les signes sur ta route. Ils t’indiqueront quel chemin suivre. La vie guide la vie, mon ami.
- Malheureusement, je crains de ne pas avoir ton talent pour les présages cachés.
- Tu es en quête, ne l’oublie pas. C’est sur le fil de l’épée que les signes se manifestent.
- D’épée, justement, je n’en ai pas et je me sens bien nu sans mes armes.
- Il est temps, alors, de prier ensemble pour la réussite de ta quête. »
Les trois amis se recueillirent sous les étoiles. Au-dessus d’eux, les sept sœurs* brillaient encore. D’ici peu, seul l’astre de la Déesse illuminerait le ciel du matin mais pour l’instant, la divinité recevait, dans sa voûte éclairée, leurs fidèles prières. Recueillis dans ses bras bienveillants, ils entendirent au loin le signal qui appelait les concurrents à rejoindre le départ de la course sacrée.
Tout le village était là, tous avaient voulu assister au départ. Les cinq guerriers aux spirales écarlates se tenaient fièrement au centre du rassemblement.
Pour quelques instants encore, ils étaient réunis autour du chef qui leur répéta la règle absolue : ils ne devaient, sous aucun prétexte, attenter à la vie des autres. Ils étaient des combattants qui, aujourd’hui, devaient livrer bataille contre leur pire ennemi, eux-mêmes. À l’abri des regards de la foule, trois hommes quittèrent discrètement le village en direction des montagnes enneigés. Pendant que le Grand Prêtre scrutait les aiguilles de pierres en attendant que le soleil se lève, le ciel prit peu à peu les couleurs de l’aube, puis l’astre darda ses premiers rayons à travers les sommets.
Chacun retint son souffle.
« Enfants du Ciel et de la Terre,
Maintenant, vous allez courir pour la quête de l’Oiseau Divin.
Allez et accomplissez votre destin ! »
Le son du cornu retentit et ils s’élancèrent à travers la plaine. Tout de suite, ils prirent une allure rapide. Les cinq guerriers couraient avec la même facilité que leurs lointains ancêtres sur la piste sacrée. Posté à l’arrière, Koriu n’avait aucun mal à suivre le rythme du groupe. Depuis son enfance, il courait plus vite et plus longtemps que les autres. Tout jeune, il était déjà capable de traquer du gibier à travers la forêt sans s’épuiser. Plus tard, il avait continué à pratiquer cette technique de chasse. Aujourd’hui, il allait éprouver les limites de son endurance mais il se sentait prêt.
Comme un animal poursuivant sa proie, il ressentait une jubilation bestiale à pourchasser ses adversaires. Quelquefois, il voyait l’un d’entre eux se retourner mais il gardait un visage impassible et jouait avec la résistance de ses concurrents. Le soleil était déjà haut dans le ciel, quand le petit groupe arriva à une première croisée des chemins. Sans vraiment marquer d’hésitation, deux guerriers prirent le sentier qui continuait devant eux, tandis que les deux autres bifurquèrent.
« Joakim s’est trompé, je n’ai vu aucun signe, pensa-t-il. »
Malgré tout, il poursuivit sa course droit devant lui tout en se demandant s’il avait fait le bon choix. Peu de temps après, un serpent jaillit de la végétation et glissa entre ses jambes. Surpris, Koriu fit un bond de cabri. Puis, souriant à lui-même pour sa frayeur, il retrouva rapidement sa calme et la fluidité de sa foulée.
« Voilà le premier présage, ce berger est un vrai devin ! »
Pendant ce temps, Joakim et Mila étaient restés auprès du troupeau, dans les pâturages du pianu. Le jeune pastore perçut un appel de cornu lointain. Cela ne pouvait pas être Koriu qui n’avait pas emporté sa conque. Un autre écho, plus clair que le premier, retentit sans que Mila, ni les autres bergers, semblent y porter attention, il semblait le seul à l’entendre. C’est au dernier appel que Joakim reconnut la complainte qu’il avait entendue dans son rêve. Il ne pouvait y avoir qu’une seule explication à ce phénomène, c’était le présage qu’il attendait.
Il devait rapidement réagir. Après un court moment de réflexion, il prit sa décision : il rejoindrait lui-aussi les aiguilles de pierre.
« Mila, Koriu est en danger ! Je viens d’entendre un augure que j’ai reconnu. Je dois l’aider !
- Comment comptes-tu faire ?
- Je ne le sais pas encore mais je vais le découvrir en chemin. Toi, reste ici avec nos bêtes, j’espère que nous serons de retour avant la nuit.
- Sois prudent, Joakim. Que la Déesse t’accompagne ! »
Le jeune berger se débarrassa de tout ce qui pouvait l’encombrer. Il ne garda que son cornu et sa zucca, puis s’élança en direction des sommets.
Bien qu’habitué à parcourir les montagnes et les vallées, le berger n’avait pas l’endurance du jeune guerrier. Son cœur cognait dans sa poitrine et ses poumons étaient en feu. Pourtant, il ne pouvait pas ralentir, il le sentait, Koriu courait un grave danger. Alors, oubliant l’effort et la douleur, il fixa son esprit sur son ami et continua à galoper comme un jeune cerf dans la forêt.
À l’horizon, les cimes dentelées étaient maintenant toutes proches, les trois hommes couraient dans les alpages en se rapprochant des champs de neige. Koriu aperçut, haut dans le ciel, un nuage à la forme particulière. Il se souvint que Joakim lui avait parlé des multiples facettes que pouvaient prendre les présages. Soit avec des animaux, soit avec des éléments naturels comme les nuages. Celui-ci, justement, prenait l’aspect d’un immense altore.
« Joakim a raison, c’est un signe. la Déesse m’accompagne ! »
Ce fut le moment que choisit le jeune guerrier pour dépasser ses concurrents. Surpris, ceux-ci tentèrent de le suivre mais l’allure qu’il leur imposait était trop rapide et il gagna sur eux toujours plus de terrain. Finalement, ils le perdirent de vue. Pour Koriu, l’effort était difficile à maintenir mais il devait absolument arriver seul sur la montagne au-dessus de laquelle la manifestation céleste s’était révélée. Il courait maintenant dans un étroit vallon enneigé. Il s’assura qu’il n’était pas suivi et contourna des rochers pour se diriger vers les aiguilles de pierres.
Les trois chasseurs qui étaient partis discrètement du village quelques temps avant les coureurs, s’étaient dissimulés au bord du chemin et avaient attendu que les cinq guerriers passent devant eux. Puis ils avaient suivi leur piste pendant des heures, observant chacune de leur empreinte. Ils constatèrent que les traces avaient pris deux directions différentes. Après une courte discussion, ils décidèrent de se séparer. Ils étaient déterminés à éliminer coûte que coûte celui qui avait osé faire offense à leur clan. Ils allaient laver l’affront dans son propre sang.
Quelques temps après, un des chasseurs retrouva l’empreinte qu’il cherchait. Des traces toutes fraiches que le guerrier de Cauria avait laissées dans la neige. Il ne pouvait plus lui échapper, ce n’était qu’une question de temps.
Comme Koriu l’appréhendait, l’accès au nid allait être difficile. Il fallait grimper au-dessus du vertigineux rempart minéral et il n’avait pas l’agilité du berger pour escalader. Il regrettait de ne pas l’avoir suivi plus souvent quand il recherchait ses chèvres perdues dans les montagnes. Malgré tout, il essaya de repérer des passages où il ne serait pas trop en difficulté.
Sa première tentative fut un cuisant échec et il se retrouva à terre après avoir chuté de plusieurs mètres. Il se releva, dépité, blessé et furieux. Il avait de nombreuses écorchures sur tout le corps et son épaule lui faisait terriblement mal, mais il ne pouvait pas abandonner. Encore engourdi par sa chute, il remonta sur l’éperon. Cette fois, il réussit à grimper plus haut, mais malheureusement, il se retrouva bloqué dans un passage sans aucune prise et fut obligé de redescendre. Alors qu’il s’apprêtait à grimper une nouvelle fois, il aperçut l’altore qui planait dans le ciel juste au-dessus de la paroi. Il eut le pressentiment qu’il fallait absolument choisir la bonne voie. Il était à la moitié de l’arête de pierre. Le soleil chauffait la roche et rendait son escalade de plus en plus difficile. Il mobilisait toutes ses forces pour continuer son ascension quand le cri strident du rapace retentit dans le ciel. Son ombre immense obscurcit la montagne. Le temps de se retourner, Koriu ressentit une douleur si vive qu’elle l’obligea à lâcher sa prise sur le rocher. Une flèche venait de lui entailler profondément le bras. Déséquilibré, il s’agrippa comme il put avec son autre main pour ne pas tomber. Son bras lui faisait terriblement mal et il devait rapidement trouver un autre appui pour faire face à son agresseur. Il savait que l’assassin n’allait pas en rester là. Suspendu par un seul bras, il aperçut l’archer au pied de la paroi, il venait de retirer une nouvelle flèche de son carquois. Koriu reconnut un des trois hommes qui étaient la veille avec son concurrent. Il savait que l’unique chance de survivre serait d’éviter son prochain tir.
Le chasseur visa tranquillement sa cible et s’apprêta à décocher sa flèche. Il avait rattrapé sa proie, elle était maintenant à sa merci. Son premier tir avait été trop précipité et l’avait manquée de peu. Mais cette fois, il prendrait tout son temps. Il inspira profondément et bloqua sa respiration. Sa cible était dans l’alignement de sa pointe d’obsidienne et de ses doigts, sur la corde tendue. Rien d’autre n’existait. Il allait venger son clan et transpercer cet homme sur la paroi.
Brusquement, tout s’obscurcit. Une douleur effroyable dans son corps et des cris terrifiants qui résonnaient dans son crâne. L’enfer s’était abattu sur lui.
Koriu n’en revenait pas, au moment même où l’homme allait tirer, l’altore avait surgi et s’était abattu sur l’archer. Il l’attaquait de toute part, sans lui laisser de répit. Il lui enfonçait ses serres dans le dos et lui lacérait le crâne avec son bec, tout en poussant des cris effrayants.
Hurlant de douleur et de terreur l’archer essayait désespérément de s’enfuir mais il était sans cesse rattrapé par le rapace qui l’écorchait dans une fureur infernale.
Ce furent les hurlements de l’homme et les sifflements stridents de l’altore qui alertèrent Joakim. Arrivé près de la vallée enneigée, il aperçut l’homme qui dévalait la pente, poursuivi par le vautour qui le harcelait férocement. Le berger comprit immédiatement que cette scène incroyable était liée à son ami. Il fonça vers l’aiguille rocheuse qu’il avait reconnue. Koriu avait besoin de lui. Lorsqu’il arriva devant la paroi, le jeune guerrier était prêt à tomber d’un moment à l’autre. Il essayait désespérément de se maintenir d’un seul bras, mais il était à bout de force. D’un bond, Joakim se projeta sur l’éperon.
« Koriu ! Tiens bon, je vais t’aider ! »
Joakim escalada la paroi à toute vitesse. Lorsqu’il arriva à son niveau, il assura avec ses propres membres les prises du blessé, puis l’aida à redescendre, lentement, jusqu’à ce qu’il prenne pied sur le sol.
Enfin sur la terre ferme, il le fit asseoir et essaya de panser la plaie qui saignait abondamment. Il confectionna un emplâtre avec de l’erba santa* qu’il avait toujours dans sa besace et qu’il mastiqua pour fabriquer un cataplasme. Il appuya fortement sur l’entaille avec sa main, puis quand il constata que le sang ne s’écoulait plus, il attrapa sa ceinture et s’en servit de bandage.
« Je n’ai jamais été aussi heureux de te voir mon ami ! Comment as-tu su ?
- Je savais que tu étais en danger et je suis venu, c’est tout.
- On a tenté de me tuer. On est tous en danger y compris Mila.
-Tu as un plan ?
- On doit achever cette quête et revenir au village avec l’œuf sacré. Grâce au statut divin, personne ne pourra se mettre en travers de notre route.
- Mais tu ne peux pas grimper dans cet état, tu n’y arriveras jamais.
- Je sais, pourtant c’est la seule solution.
- Alors c’est moi qui escaladerai pour aller chercher l’œuf et c’est toi qui le ramèneras.
- Tu ne peux pas faire ça. Tu n’as pas été choisi !
- Je n’ai peut-être pas été choisi par les hommes mais par les signes. »
Les deux hommes se regardèrent longuement. Ils savaient qu’en agissant de la sorte, ils transgresseraient un interdit absolu. Leur choix pouvait entrainer un châtiment de leur clan et de leurs dieux.
« Que la Déesse t’accompagne, Joakim. »
C’était la décision qu’espérait le berger. Sans plus attendre, il se prépara pour son escalade. Il avait la lourde tâche d’accomplir leur destin. Il n’avait pas le droit à l’erreur. Il ne pouvait pas échouer. Il respira profondément pour calmer son cœur et son esprit. Il choisit minutieusement son parcours, puis s’élança.
Joakim grimpait avec l’agilité d’un animal et la confiance d’un pur esprit. Rapidement, il arriva à l’endroit où la flèche s’était fichée. Il essaya de la retirer. Le bois céda mais la pointe resta bloquée dans la fissure. Il ne s’y attarda pas et continua son ascension. Après quelques passages périlleux, il prit enfin pied sur le promontoire où se trouvait le nid. L’œuf sacré était bien là mais, au moment de le récupérer, l’altore qui surveillait tous ses gestes depuis le ciel arriva vers lui à grande vitesse. Le berger se réfugia dans la grotte. Il ne pouvait s’approprier la descendance de l’oiseau sacré sans y être autorisé. Aussi, agenouillé dans l’obscurité de la cavité, blotti dans le ventre maternel de la montagne, le jeune homme pria. Par son incantation, il s’adressa à l’esprit de l’oiseau et relia son âme à celle de l’altore. Recueilli dans le noir absolu de son antre, partageant son souffle divin, il sut qu’il était enfin accueilli. Il perçut sous ses doigts de longs os, lisses et légers.
« L’esprit des ancêtres ! »
Guidé par l’âme du lieu, il choisit l’os avec lequel il pressentait être relié. Il le rangea précieusement dans son zanu et sortit la conque marine. Après s’être recueilli une dernière fois, il abandonna son cornu au milieu des ossements.
Il avait effectué l’échange sacré, d’esprit à esprit, à travers le temps et à travers l’espace.
Lorsqu’il émergea de la grotte, il fut d’abord ébloui par la lumière du jour. Se protégeant avec sa main, il chercha du regard l’altore mais le ciel était vide.
Le jeune berger prit tout doucement l’œuf dans le nid, l’entoura délicatement de duvet et de plumes et le déposa avec d’infinies précautions dans sa sacoche.
Il descendit la paroi verticale, attentif à chacun de ses gestes. Arrivé, enfin, au pied de l’aiguille de pierre, il remit son zanu à Koriu.
« C’est maintenant à ton tour, l’œuf divin est à l’intérieur. Dépose-le, intact entre les mains du Grand Prêtre et tu seras le nouveau Guerrier Céleste. »
Le jeune guerrier plongea son regard dans celui du berger. Leur amitié avait été plus forte que toutes les épreuves qu’ils avaient vécues. Aujourd’hui, elle s’affranchissait de la loi des hommes, pour se confier aux lois des dieux.
Koriu s’élança dans le vallon, poussé par une force mystérieuse qui lui faisait oublier toutes ses blessures. Il filait comme le vent, ses pas effleurant le sol comme les ancêtres mythiques des légendes anciennes. Il traversa les vallées et les forêts sans s’arrêter. Enfin, avant que le soleil ne rejoigne sa demeure, il arriva en vue du Casteddu.
Brusquement, il se figea. Quelque chose n’allait pas dans ce qu’il découvrait au loin. Tout le village était réuni autour d’un groupe de guerriers. Des hommes armés maintenaient un prisonnier, ou plutôt, une prisonnière.
Le clan de Foce avait envoyé des hommes capturer Mila. Dans une colère froide, Koriu se précipita à travers la clairière comme un loup sur un troupeau de brebis. Tous les regards se tournèrent vers lui, le guerrier ensanglanté paraissait surgir d’une vision de cauchemar.
La plupart en restèrent médusés. Quelques guerriers, cependant, sortirent leurs armes, mais Koriu continua sa course jusqu’à ce qu’il soit au milieu de l’attroupement. Il traversa la foule qui grondait et se dirigea vers le Grand Prêtre. Il s’agenouilla devant lui et sortit l’œuf de son nid de plumes.
Un silence absolu se répandit sur la foule. Le mage prit délicatement l’œuf dans ses mains, l’observa longuement puis le brandit au-dessus de sa tête.
De longues minutes passèrent, sans qu’aucun son ni aucun geste ne se produise. Soudain, un cri strident retentit. Tous levèrent les yeux et, reconnaissant la silhouette, s’agenouillèrent dans un même mouvement de déférence. L’Altore était venu donner la vérité des cieux. Le Grand Mage la révéla :
« L’oiseau divin est de retour.
Le guerrier détient l’œuf sacré.
Le Ciel et la Terre l’ont guidé,
Son éclat illuminera notre destinée.
Hier, à présent et jusqu’à la fin des jours. »
« Était-ce hier ou il y a un siècle ?
Les étoiles, brillant à la surface du miroir de l’étang, rendent la question futile.
Parce que leur lumière enjambe le temps, la mort, l’éternité. »
Eva Figes.
Épilogue
∻
Le soleil couchant d’automne nimbait d’or la vallée. De grands vols d’étourneaux dessinaient des formes mouvantes et semblaient accompagner par leur danse le jour qui déclinait.
Tournés vers les sentinelles de pierre, les hommes et les femmes de Cauria étaient réunis pour la cérémonie.
Koriu, le vieux chef, se tenait fièrement malgré le poids des années.
Mila, la prêtresse du clan, ses cheveux d’argent illuminés par l’astre mourant, s’avança vers la tombe. Elle avait été creusée sur la terre ancestrale. Mila s’agenouilla et, retenant ses larmes, posa un baiser sur la flûte qu’elle plaça près du linceul.
À son tour, Koriu s’approcha de la tombe. Il sortit son poignard de l’étui qu’il portait toujours contre sa poitrine. L’arme mythique des Guerriers Célestes, la dague de cristal. Le vieux chef avait été le dernier de cette légendaire lignée. Après lui, aucun autre guerrier n’avait accompli la quête de l’Oiseau Sacré. Pendant de longues années, les clans n’avaient cessé de s’affronter dans des guerres stériles et, finalement, le culte avait été abandonné.
Koriu s’agenouilla et pour la première fois depuis qu’il avait embrassé l’Arbre de Vie, pleura longuement. Lorsqu’il sentit la chaleur de la main de Mila sur son épaule, elle effaça son chagrin comme le vent souffle sur les nuages et il eut enfin la force de dire adieu à son vieil ami.
En hommage aux liens sacrés qui les réunissaient, il déposa le poignard de cristal sur la poitrine du défunt. Il était sûr que le berger saurait en faire bon usage pendant son voyage dans les vallées de l’autre monde. Le pastore venait de partir pour une très longue transhumance. Une muntagnera céleste.
Finalement, leur périple s’était conclu par un repas de famille chez Ghjulia. L’archéologue commentait leur périple et les vestiges qu’elles avaient découverts en chemin. Stella laissa son amie au beau milieu d’une discussion passionnée avec son père. La biologiste devait rejoindre sa tante, Mattea, dont les paroles énigmatiques avaient attisé sa curiosité. Elle avait parlé de village natal et d’héritage familial sans donner plus de détail. Quand la jeune femme retrouva son aïeule, elle remarqua une étincelle particulière dans son regard.
« O zia, tout va bien ?
- Parfaitement bien, Stella. Allons jusqu’à Ghjanucciu, je dois te montrer quelque chose. »
Le hameau était situé au-dessus de la vallée de l’Ortolu, au pied du massif de Cagna. Les deux femmes traversèrent le village en saluant plusieurs connaissances pour rejoindre un sentier qui longeait le flanc de la montagne et traversait plusieurs petits ruisseaux.
« Il est temps de te faire découvrir un des nombrils du monde.
- Tu es sérieuse, vraiment, un des nombrils du monde, ici ?
- Tu oublies, Stella, qu’en Corse du Sud, a Ghjana signifie la porte. Peut-être que les anciens avaient nommé ainsi ce village parce qu’ils connaissaient cet emplacement.
Mattea et Stella quittèrent le sentier pour emprunter un étroit passage dans la forêt. Elles arrivèrent dans une petite clairière qui dominait la vallée. Au milieu de grands chênes séculaires, un rocher qui avait la forme d’un énorme œuf était planté dans le sol.
« C’est un omphalos*, une pierre sacrée, Stella. Viens, approche-toi »
La vieille dame prit la main de sa nièce, avec une étrange expression sur son visage. Un léger voile mélancolique avait recouvert son regard et sa voix avait pris une intonation plus profonde. Elle retira le bijou de bronze de son poignet et le remit solennellement à sa nièce.
« Auprès de cette pierre, les femmes de notre famille se sont transmis ce bracelet de génération en génération. Cette tradition remonte à des temps immémoriaux. Aujourd’hui, à mon tour, je te le transmets. »
Stella demeura silencieuse, immergée dans ses pensées. Elle voyait d’un coup tous les évènements passés et récents s’assembler pour former une seule figure qu’elle pouvait, enfin, comprendre. Emue, elle porta le bijou devant ses yeux pour l’admirer. Elle avait aussitôt reconnu le bracelet que portait la jeune femme à la chevelure cuivrée dans son rêve. Un serpent de bronze dont la tête rejoignait la queue. L’ouroboros, le symbole antique de l’infini et de l’éternité…
FIN
GLOSSAIRE
Alta Strada : GR2O, le sentier de Grande Randonnée qui traverse toute la Corse en crête sur la ligne de partage des eaux.
Altore : nom du gypaète barbu en corse.
Alzu : l’aulne en corse, arbre caractéristique du bord des cours d’eau.
Animal maestru : la chèvre ou la brebis dominante du troupeau.
Amphibiens : animaux vertébré à sang froid et à peau nue, anciennement appelés batraciens, capables de respirer hors de l’eau à l’état adulte, tel que la grenouille ou la salamandre.
Asperger : trouble du développement neurologique d’origine génétique.
Astratella : genévrier nain.
Augures : signes par lesquels on juge de l’avenir.
Banda : troupeau en corse
Bastone di ferula : nom corse du bâton de berger traditionnel fabriqué avec la tige séchée de la férule.
Cascica : coupelle rituelle des bergers corses.
Caseddu : maisonnette (corse).
Casteddi : constructions fortifiées au centre des villages protohistoriques corses.
Civilisations sumériennes : civilisations antiques de la Mésopotamie (Moyen-Orient).
Conjonctions : alignements de plusieurs planètes.
Cornu marinu : nom corse de la conque marine, coquillage avec lequel les bergers sonnaient le rassemblement du troupeau ou communiquaient entre eux.
Dolmen : monument mégalithique fait de pierres brutes en forme de table gigantesque.
Erba santa : nom corse de l’Achillée de Ligurie, plante médicinale. La légende rapporte que c’est la déesse Aphrodite (Vénus) qui conseilla cette plante à Achille pendant le siège de Troie, pour guérir de sa blessure causée par une flèche empoisonnée.
L’esca : Nom corse de amadou, un champignon qui sert de combustible depuis la préhistoire.
Fiume : fleuve, rivière en corse
Funa : nom corse de la corde en poil de chèvre
Géolocaliser : localiser sur une carte (ou un GPS) un point situé à la surface de la terre.
Guerriers : Bien qu’essentiellement agriculteurs et bergers, les hommes de l’Âge du bronze commençaient peu à peu à intégrer, au sein de leurs clans, une caste de guerriers. Spécialisés dans la protection des gens et des biens, cette caste prit de plus en plus d’importance dans les communautés.
Hypogée : tombe creusée dans le sol.
Lamaghja : nom corse du roncier ou des ronces
Lapins-rats : petit mammifère rongeur (Prolagus sardus) présent en Corse et en Sardaigne durant toute la préhistoire jusqu’à son extinction à l’époque romaine.
Mare à mare : Ce sentier traverse le Sud de l’île d’une mer à l’autre, de la Côte orientale à la Côte occidentale.
A misgiccia : nom corse de la viande séchée.
A muntagnera : la transhumance du littoral vers la montagne en corse.
Nécrophagie : fait de se nourrir de cadavres.
Néolithique : période de la préhistoire qui succède au Mésolithique et au Paléolithique et qui est marquée par des mutations techniques et sociales, liées à la domestication des animaux et des plantes, ainsi qu’à la sédentarisation dans les premiers villages.
Obsidienne : roche volcanique vitreuse de couleur sombre, utilisée pendant la préhistoire pour la fabrication des outils et des armes.
Omphalos : symbole antique du centre du monde sous la forme d’une pierre sacrée.
Orzu : nom corse de l’orge.
Paladinu : Statue-menhir sculptée en forme de guerrier. Souvent armée d’épée ou de poignard.
Paléolithique : période de la préhistoire au cours de laquelle les groupes humains sont exclusivement chasseurs-cueilleurs et fabriquent des outils en pierres taillées.
Pentacle : étoile à cinq sommets utilisée traditionnellement comme talisman ou symbole magique.
Pères de l’église : auteurs ecclésiastiques dont les écrits ont contribué à établir la doctrine chrétienne.
Pilonu : nom corse du manteau en poil de chèvre, traditionnel des bergers corses.
Psychopompe : qui conduit les âmes des morts.
Rappel : manœuvre d’escalade par laquelle le grimpeur redescend en se laissant glisser le long de la paroi.
Sighere : nom corse des moissons.
Sites mégalithiques : constructions monumentales de grandes pierres brutes, le plus souvent rattachées à des sanctuaires.
Stantari : nom corse pour les statues-menhirs.
Strada(e) antica(che) : nom corse pour unancien chemin (ou plusieurs).
Table d’émeraude : texte de la littérature alchimique et hermétique.
Tianu di fasgioli : ragoût de haricots en corse.
Tumulus : éminence artificielle au-dessus d’une tombe.
Zanu : la besace des bergers corses
Zucca(e) : nom corse de la calebasse, ancêtre de la gourde.
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