Cartographies. Acte I - Vertiges

  

Arthur et Anna décident de vaincre le vertige et de céder à l’appel du ciel. Ici débute une grande aventure… à suivre !

    

Jeu d’écriture à plusieurs et en ribambelles, Cartographies est un nouveau projet du Nouveau Décaméron. Il s’apparente aux fameux cadavres exquis des surréalistes, chaque auteur reprenant la plume posée par le ou les précédents.

À jouer le jeu, il y a eu Anne-Laurence Guillemet, Chantal Fournel, Patricia Meunier, Gérard Maynadié, Yves Rebouillat.

Attention : À  la fin, chaque lecteur pourra devenir à son tour auteur et proposer une fin ! 

 

 

Cartographies

Acte I - Vertiges

 

Anna et moi aspirions à regarder le monde d’en haut.

Nous avions souvent déménagé et ne partions jamais en vacances au même endroit. Aussitôt arrivés dans un nouveau lieu, nous cherchions la vue d’ensemble. La maison dans le quartier, le quartier dans la ville, la ville dans son large bassin de vie et les connexions de celui-ci avec d’autres dans un cercle toujours plus large, délimité par les rivières, les fleuves, les montagnes et la mer. Au-delà possiblement.

Nous marchions, allions à vélo, en auto. Il nous fallait mentalement tracer des itinéraires, imaginer des trajectoires d’un point de repère au suivant, les mémoriser, parcourir les chemins entrevus. Pour nous représenter les environnements plus éloignés, il y avait les cartes routières et maritimes. Nous laissions la voie lactée, les étoiles et les lumières intermittentes des avions à notre contemplation nocturne de l’immensité vertigineuse du ciel... vu d’en bas.

Pour "cartographier" notre position en la situant dans un contexte de plus en plus large, nous n’imaginions pas meilleure façon que de voler. Une extravagance ? Non, nous voulions comprendre les dépendances, les transitions, les ruptures de continuité entre territoires, les obstacles objectifs à la circulation des femmes et des hommes, prendre la mesure des efforts qu’ils avaient consentis pour jeter des ponts entre eux, se rencontrer, bâtir ensemble, avant de faire des hypothèses sur les échanges, les mélanges, les métissages, les influences culturelles réciproques qui avaient pu en résulter.

Sans la connaissance des complémentarités, des oppositions entre les espaces, nous nous sentions hors jeu, hors sol. Isolés, écrasés par l’ignorance des configurations géologiques. Jouets des hasards. Étrangers à notre bout de planète. Confinés sur un confetti de terre. Dépourvus de l’intelligence du monde, mentalement privés d’oxygène.

Anna et moi, Arthur, avions un autre gros souci.

Sitôt que nous nous élevions et que le vide se faisait au-dessous de nous, le vertige nous saisissait, nous clouait sur place dans la peur de tomber, de ne pas pouvoir nous retenir de chuter. Escalader, prendre un ascenseur extérieur, traverser des gorges sur une passerelle instable, balançant ne serait-ce qu’infiniment peu, emprunter un téléphérique, une tyrolienne, nous étaient au mieux, une effroyable torture au pire, impossible.

Jamais nous n’avions voyagé en hélicoptère. Ni en avion. À bord desquels, nul doute, le mal de l’air et tous les vertiges associés se seraient emparé de nous. Et puis, les engins volants à moteur nous faisaient horreur. Bruyants, polluants, susceptibles de tomber, nous les laissions à d’autres. Nous, n’avions, cependant, jamais manifesté pour leur anéantissement à l’instar de ce que nous souhaitions qu’il advienne aux funestes inventions humaines comme les armes à feu, les pesticides, les courses motorisées, l’extrême-droite, l’urbanisation sauvage, les vanités, les fêtes de la bière, le machisme, le racisme, l’extra-territorialité des lois américaines et Las Vegas.

Je suis, diplômé de l’école de cirque de Toulouse, "Le Lido", j’exerce l’art et le métier de clown et fais partie de l’encore très discrète troupe occitane "Dans le ciel en compagnie des étoiles". Je sillonne la grande région avec ma troupe et, entre deux tournées, donne de petits spectacles, à deux ou trois, dans les hôpitaux publics auprès d’enfants malades. Sans représentations, je ne tiens plus en place.

Anna vient d’installer une petite affaire horticole et maraîchère en permaculture. La préparation de sa terre est précautionneuse, forcément lente, elle dispose de temps pour bouger avec ou sans moi. Ses parents l’aident un peu à tenir financièrement.

Nous nous aimons. Je sais ce qu’il faut d’inconscience ou de suffisance pour parler au nom de l’autre, mais nous le faisons quelques fois pour exprimer des convictions partagées, ce que nous savons assurément de l’autre.

Anna est cependant sans illusions : « Je n’ignore pas que la durée de ce sentiment est inconnue à l’avance, que l’unisson d’un cœur et d’un corps au même autre très longtemps, est une curiosité, une rareté ». Je suis plus volontariste : « Si on prend garde l’un à l’autre, si on apprend à résoudre des désaccords, si on est sincère, on limitera la casse... ». Nous retirons, je crois, de notre courte expérience de la vie et de notre bien plus courte histoire commune, la conviction qu’il ne faut pas gâcher le temps si précieux de l’amour.

Le courage, c’est aller contre ses peurs, nous en étions tellement persuadés que nous allions tout faire pour vaincre nos démons.

Nous avions besoin de voir depuis le ciel, le Tarn où nous habitons, l’Aude, l’Hérault, les Bouches-du-Rhône et les Alpes-Maritimes, un bout d’arc méditerranéen dont le survol nous ferait nous sentir partie prenante de l’histoire d’un monde qui avait su repousser les horizons toujours plus loin.

Toi : « Tu nous imagines tracer dans le ciel des lignes droites survolant les chemins, les forêts, les campagnes où jamais nous n’avions mis les pieds ». Moi : « … et les routes, les grandes cités, les villages que nous avons découverts d’en bas... ». Toi : « C’est comme si on ajoutait aux trois dimensions de l’espace, un système bis projeté dans le ciel ! ». Moi : « Heu... je vois ».

 

Leur tout nouvel ami les y aidera.

John Wilkinson, Anglais fou de France, de vins, d’oiseaux et de suspension dans le ciel, par tous moyens confondus, était au sol, un danger public. Même à jeun. Le Midi l’avait séduit, il y avait trouvé de quoi occuper son temps, dépenser son argent, le ciel qui lui convenait. Bref, il avait pris racine dans le vignoble gaillacois.

 

Au volant de sa voiture, il avait heurté la vieille automobile du couple, ce dernier tellement plus à l’aise sur les routes terrestres qu’à emprunter des voies aériennes. En sortant trop vite de sa propriété, sans ménagement ni regard à droite, tandis qu’Anna et Arthur découvraient à 50 km/h, les petites routes de coteaux de la "Toscane" tarnaise.

Anna conduisait : « Merde ! Regarde ! Le con ! Aïe... ». Elle bloqua les roues de l’auto qui, parfaitement entretenue et disciplinée, resta sur sa trajectoire et heurta doucement l’aile avant d’une curieuse voiture anglaise, un cab haut et noir.

Sortis de leurs choses muséales, ils se retrouvèrent tous trois, debout sur la petite route à évaluer les dégâts qui étaient sans importance.

- Sorry ! Quel imbécile je suis ! Je vous dédommage immédiatement.

- Notre 4L n’en est pas à sa première rencontre pare-choc contre tôle !

- Votre taxi noir s’en sort moins bien !

- Lui et moi, avons l’habitude et si mon cab a encore de l’allure c’est parce que je connais un artiste-carrossier à deux pas d’ici. Je recule, suivez-moi....

 

Il avait tenu à les recevoir chez lui, leur avait offert l’apéritif qu’à une heure indécente ils avaient accepté, les avait immédiatement et royalement dédommagés malgré leurs protestations sincères. Ils devinrent tous les trois précocement amis.

En sus de son entreprise viticole, John gérait un "club privé" de fous d’aérostats. Il possédait une montgolfière et un ballon dirigeable. Les deux, couleurs arc-en-ciel pour manifester son désir de toutes les harmonies, célébrer la diversité et parce qu’il en aimait leur violente luminosité et leur délicieux arrangement. Il employait une aéronaute-pilote, Héléna, et organisait aux belles saisons, des baptêmes de l’air et des vols longs. La même étaient sa maîtresse de chais, et peut-être davantage. Nous ne sommes pas devins.

Arthur et Anna eurent l’occasion de lui faire part de leur envie de regarder d’en haut leur microrégion. Il les initia donc très progressivement au vol aérostatique. Avec de petits soutiens chimiques, l’apprentissage se passa plutôt bien.

Trois mois plus tard, ils mirent sur pied un très long vol, une aventure à quatre : John, Héléna, Anna et Arthur.

On était en juin, il faisait beau, le vent soufflait à 15 km/h en direction du Sud-est. Ils disposaient d’une plage de vol de 13 heures. Le convoi suiveur et récupérateur comprenait un grand camping car, un gros véhicule tout-terrain avec sa remorque et les deux chauffeurs, Carla et Max. La liaison entre l’aéronef et les véhicules fonctionnait, la météo serait stable pendant au moins soixante-douze heures. On ne risquait pas de se perdre ni de mourir de faim ou d’épuisement.

Le 21 juin, ils décollèrent sans encombre technique. Mais il fallut les mots, les voix douces et persuasives des deux aéronautes, la médication naturelle et biologique concoctée par la prévoyante Anna, un zeste de fierté et force auto-motivation pour venir à bout du début de panique qui saisit le couple pendant le premier quart d’heure.

Après quoi, tous rassurés, ils survolèrent Albi. Anna et Arthur avaient repéré leur maison et compris exactement au cœur de quoi elle nichait. Le ballon filait gracieusement en direction de la Montagne Noire. Cap sur l’Aude si la météo ne changeait pas d’avis.

Les vents étaient favorables, le propulseur (que le couple admit comme il acceptait celui de leur auto), presque silencieux ne fatiguait pas, l’hélice tournait gentiment. Le voyage ne pouvait pas commencer de plus belle manière.

 

[à suivre en cliquant ici]

  

 

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