Fin, déjà. - Paul-Antoine Colombani

Paul-Antoine Colombani, marasme oblige, glane un peu d’espoir…

  

  

Fin, déjà.

 

En toute chose, c’est la fin qui est essentielle.

 

Les murs suintent autant de mots que de souvenirs. Je me trouve à la clairière d’une utopie et j’ignore encore que le temps s’étire si longuement. Assis sur les instants, j’essaye de trouver une congruence dans les centaines de visage de mon passé. Bel-Ami et loup-gris. De ce gamin à la tête de lune, j’aperçois une terre lisse ravagée par les cratères, creusets de souvenirs boiteux, faits de rocs et de glaise. Fin, déjà !

 Du haut du monticule, je vois des collines charpentées : rien n’est en équilibre, tout coule entre les doigts, cerveaux habiles à détruire. Mon ciel s’entasse : à chaque souvenir un marteau brise les météores et les nébuleuses – enchevêtrement de pensées caillassées. Le souffle des galaxies sépare l’aube de la nuit, rompt l’airain et brise la pierre. Pagaille de cendres, pagaille de stigmates. Je me rends devant la lourde porte marron, le départ s’avance, m’accompagne jusqu’à la lisière. Fin, déjà !

Les génuflexions de ma mémoire bâtissent des morceaux d’intrigues. Tout commence par le milieu et s’achève au début. Tout se tord jusqu’à se rompre, tout se réécrit. Il fallait bien partir, il fallait bien finir. 10 ans, la fin, déjà ! Les murs suintent autant de mots que de souvenirs. Je me trouve à la clairière d’une utopie. J’ignore, à ce moment-là, que le temps s’étire si longuement.

Le passé cajole mes cicatrices, ces petites rides que laissent les griffes des chats à sept vies. La nuit a été longue, mon corps se souvient, à défaut de ce cerveau qui creuse des galeries où, mal rangées, tout s’oublie et se perd. Ma madeleine est en orient, dans le centre et les ruelles obscures de mon appartement. Son escalier montait mon corps et descendait mon estomac quand, le jour revenant, les effluves ekpyrotiques paraphent les lèvres recherchées. J’ai assez de passif pour boucher les caniveaux de ma ville. Early dawning sunday morning.

« Le désert étend Satan » : ce que j’ai écrit une nuit durant, trois pages s’entourant pour éponger mon endurance à l’hydre amoureuse. De la falaise, où les minutes s’achevant, on entraperçoit notre ombre qui s’arrime au nuage, gravit l’espoir d’errer jusqu’aux collines suspendues. L’amour est un monde retourné. La réalité, plus fragile que les météores aqueux, égrène-les dépassions, les petites héroïnes qui, surprises d’être aimées, plantent les aiguilles jusqu’aux os. It’s just the wasted years so close behind.

            À nous deux, dans la mince affaire du réel, à nous trois, prêt à jouer la belle.

Voilà que commence la bataille du temps. Mille bataillons et cent quatorze cavaliers entonnent des rhapsodies : les notes et les chants cousent une broderie de ruines. Au centre, le gamin à la tête de lune tend les bras, il ameute les uns, il espère les autres. Les oriflammes, tournées ensemble vers le lointain, font de petits îlots embranchés, des mythes battus par les vents et qui, efficaces, forcent à vivre, forcent à espérer. Les souvenirs, voilà ce que je perds. Le temps, voilà ce que je perds. L’espoir, voilà ce que j’y gagne.

            À nous deux, dans la mince affaire du réel, à nous trois, prêt à jouer la belle.

« Que reste-t-il ? » : des chagrins qui, mal tranchés, embrassent ma trachée et brûlent mon œsophage. Le regret est la pomme d’Adam des âmes errantes qui, laissant des luttes en jachère, se torturent de nostalgie. Je meurs en gare : j’oublie, sur le siège tremblant, que les mondes retournés ne le sont qu’un temps. Assis sur ma colline, les murs suintent autant de mots que de souvenirs. Le temps, désormais, s’étire vers quelques langueurs. En toute chose, c’est la fin qui est essentielle.

    

   

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