- Decameron Libero
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Amours cosmisés
Après le confinement
Les gravures représentaient un monde morcelé. En y regardant de plus près, elles montrent un Colosse tabassant le peuple ; sur son lourd marteau on reconnait les armoiries d’un ancien président. Voilà bien une année que les rues ont été reconquises, que le souffle des vivants a réchauffé l’air abandonné. On vagabonde : les si hautes pointes sont recouvertes de neige éternelle, entre les roches et les forêts les météores aqueux règnent en rois et reines. J’aperçois mon village replié, les quelques maisons s’arriment à la coque du temps ; tous se souviennent jusqu’aux paroles d’Ulysse. Dans les si hautes pointes, l’âme errante a rendez-vous avec elle-même.
C’est là, entre les quatre murs de l’imagination, que les souvenirs rebâtissent plus nettement le passé : les tocsins et les tambours. « Non, ce n’est pas de ça qu’il faut se rappeler », elle me montre la Une : "Amours cosmisés". Cela raconte cette étrange harmonie qui structure le monde, les liaisons entre toutes les péripéties asensées du vivant. Elle me dit qu’elle apprécie cette idée, que si l’univers est incompressible, il n’en demeure pas moins compréhensible. Là, juchées sur les épaules des montagnes, nous pouvons en percevoir toute l’étendue poétique. Je lui réponds qu’en altitude, il est plus facile d’avoir le souffle coupé.
Nous continuons de vagabonder, les Immortels font comme un vaste cimetière de croix jaunes, « souvenez-vous de nous » semblent-elles dire. Au-delà de cette buée que forment les souvenirs sur la mémoire, nous nous heurtons à quelques cerbères. Les gueules crachent, les dents rasent la peau. Mais, d’elle-à-moi, les morsures du temps ne perforent plus mes poumons, tout s’agglomère pour former le Tout du monde. Ainsi se repose la question initiale, incitatrice de toutes les autres : « que devons-nous penser ? »
Les gravures représentaient un monde morcelé. Elle couvre mes yeux, face à l’étendue poétique, juchée sur les épaules des montagnes, la nature s’indocile. Je lui dis que c’est la rage de vivre, je l’entends rire : « ce n’est pas une belle métaphore. Il n’y a aucune colère dans les "Amours cosmisés". Non, ce n’est pas de ça qu’il faut se rappeler ».
Nous continuons de vagabonder : accroche-toi aux vagues et non aux rames, chavire pour sentir le parfum de l’eau. Jusqu’au Palais du Soleil, ferme les yeux, attends et laisse à l’imagination le soin d’écumer tes paroles.