Été 1962, en rase-mottes… - Dominique Taddei

Dominique Taddei nous livre une nouvelle anecdote de l’époque héroïque de ses débuts dans  l’aviation commerciale insulaire.

  

  

Été 1962, en rase-mottes…

                                                         


DC4 d’Air France à Puretta Bastia

 

 

En septembre 1962, la fin des vacances scolaires approchait, une rotation en DC4  avait été programmée et j’avais été choisi avec le radio-mécanicien Jean Vittori pour effectuer ces vols qui décollaient d’Alger vers Ajaccio et Bastia puis nous devions découcher à Bastia et retour le lendemain, Bastia Ajaccio Alger.

À l’aller nous transportions des militaires corses en permission et au retour des instituteurs en poste en Algérie.

Le commandant de bord était M. Christian Leclerc qui a terminé sa carrière sur Concorde, j’ai oublié le nom du copilote mais il avait un nom russe et l’hôtesse était Régine Verdu.

Arrivés à Bastia, l’équipage devait se rendre dans un hôtel  non loin de l’aérodrome, mais avec Jean Vittori nous avions décidé d’inviter tout l’équipage à Migliacciaru. Chaque membre d’équipage avait eu droit à une chambre chez un membre de nos familles et le dîner s’était fait chez mes parents, plusieurs parents et amis avaient été invités à passer cette soirée. Elle fut grandiose !!! On en parle encore aujourd’hui !

Le lendemain, en remerciement M. Leclerc avait promis à mes parents de faire un passage en rase-motte au-dessus du village.   

Les adieux furent très émouvants, personne ne voulait que ces moments magiques se terminent.

Arrivés à l’escale, nous embarquâmes la trentaine d’instituteurs du nord de l’île et nous décollâmes de Poretta à destination d’Ajaccio. 

Le DC4 ne prenant pas beaucoup d’altitude, nos passagers profitaient de la « surprise » pour jeter un regard inhabituel sur leur île.

J’étais dans le cockpit et, appuyé sur le siège du commandant de bord, j’indiquais le cap à prendre pour trouver la maison familiale.

Arrivé au-dessus de Ghisonaccia, je montrais du doigt la route à suivre et quelques minutes après je vis la maison et oh ! Surprise, ma mère perchée sur le balcon agitait un drap blanc alors que les autres réunis dans le jardin nous faisaient des signes. M. Leclerc reprit un peu d’altitude, se dirigea vers la mer et après un large virage revint vers la maison, il pensait qu’un deuxième passage était absolument nécessaire. C’était très intense comme sensation mais hélas tout allait trop vite, j’aurais tellement aimé que la scène se fasse au ralenti comme dans les films. Un dernier battement d’aile et cap sur Ajaccio en passant par le sud.

Que nenni ! Des passagers me posèrent la question du pourquoi ces rases-mottes, je leur expliquais « je suis de Migliacciaru », alors plusieurs exprimèrent le vœu de voir leur village. Je racontais cela à M. Leclerc.

Il me dit : « Demande-leur le nom de leur village ». Comme ils étaient presque tous du Nord, je fis une liste et notre pilote rebroussa chemin et prit un cap Nord.

Nous avons longé et survolé tous les villages du Cap Corse côté Est et Ouest. Ce fut magique !  Puis Île-Rousse, Calvi, les Calanche de Piana et enfin Ajaccio que nous avons atteint avec quarante-cinq minutes de retard. Je ne vous dis pas la tête du chef d’escale, il était furieux. Mais c’était une toute autre aviation.

Inutile de vous dire que pendant le vol Ajaccio-Alger, tous ceux embarqués à Bastia racontaient leur vol à leurs collègues du sud, et l’ambiance était très spéciale.

En général, ces départs de la Corse étaient plutôt tristes, le cafard dominant, personne ne parlait, sur ce vol c’était le contraire, on entendait des éclats de rire, des chants, oui jamais je n’oublierai ce vol.

À l’arrivée à Alger,  comme sur DC 4 il n’y avait pas de « Public adress* », je remplaçai l’hôtesse et fis mon discours de fin de vol en corse. Les applaudissements retentirent et les portes ouvertes tous les passagers quittant l’appareil tinrent à nous embrasser.

Quelques semaines plus tard, mon père eut la surprise de recevoir un numéro d’Icare ; Christian Leclerc tenant à remercier mes parents pour leur accueil les avait abonnés à cette merveilleuse revue publié par le SNPL (Syndicat national des pilotes de ligne).

 

 

* Public adress » un PA est tout simplement le micro qui permet les annonces d’accueil de départ et d’arrivée, mais comme il n’y en avait pas sur DC 4, l’hôtesse devait s’adresser directement aux passagers avec un mégaphone.

 

 

Lire les précédents écrits de Dominique Taddei ici :

Ajaccio, Campo dell’Oro, été 1962

Été 1962 (suite)

Comment je suis arrivé à la B.A.N d’Asprettu

  

   

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