Eté 1962 (suite) - Dominique Taddei

Les souvenirs affluent de ce fameux été 62. Dominique Taddei après avoir failli décoller sur le toit de l’avion, raconte un miracle du 15 août sans lequel tout aurait été différent.

     

Eté 1962 (suite)

À Air France tout personnel navigant commercial était embauché comme saisonnier, c'est-à-dire que vous ne travailliez que pendant quelques mois, en général du mois de mars jusqu’au mois d’octobre.

Certains effectuèrent jusqu’à quatre saisons avant d’avoir un contrat définitif et d’autres furent simplement renvoyés. Ce n’est qu’après mai 1968, que cette règle d’embauche fut abandonnée.

En été 1962, j’étais donc saisonnier au secteur d’Alger et notre contrat ne comprenait pas de congé. Nous avions quand même droit à cinq jours de repos par mois et la Compagnie nous offrait alors un billet gratuit pour nous rendre en métropole.


Au mois d’août, j’avais posé un desideratum demandant mon repos mensuel du 13 au 17 août, je voulais souhaiter sa fête à ma mère et comme vous le savez, le 15 août est une date très importante pour nous autres Corses.

Pour rien au monde je n’aurais  voulu manquer cette journée particulière à Prunelli di Fiumorbu,  qui comprenait la messe, le repas familial, la procession et le bal du soir où toute la famille et les amis se réunissaient autour d’une table pour continuer à célébrer cette fête traditionnelle en buvant du champagne.

À cette occasion, personne n’allait dormir avant sept heures du matin… et nous recommencions pour le bal de la Saint Roch, le 16 août au soir, à Isulacciu ! La photo est éloquente !

Inutile de vous dire que le 17 j’étais complètement cassé. Pourtant, il me fallait rejoindre ma base d’Alger en prenant le Breguet de l’après-midi qui décollait de Bastia Poretta pour Marseille et prendre ensuite la correspondance vers Alger car j’avais mon vol le 18 au matin. Catastrophe !  Le Bréguet de Bastia avait une grosse panne et personne ne pouvait nous dire quand serait fixé le départ.

Finalement  nous décollâmes vers 21h, arrivée Marseille 22H30, j’avais encore le temps de prendre la Postale qui décollerait à minuit de Paris Orly, avec escale à Lyon, Marseille, Oran et Alger. Avec un peu de chance j’allais réussir à arriver à temps pour effectuer mon courrier.

Deuxième catastrophe ! La Postale avait pris trop de retard, le Bréguet était en carafe à Orly et son arrivée à Marseille n’était prévue que pour le lendemain matin.

J’étais effondré, « Adieu Air France », un « job » pareil je ne le retrouverais plus…

Désespéré, je me rendis aux opérations d’Air France pour prévenir le secteur d’Alger qu’il fallait déclencher la réserve.

Devant mon désespoir l’agent d’Air France comprit ma détresse et fit tout son possible pour me rassurer.  Il m’invita à dormir sur un fauteuil et, comme il était de garde, il rejoignit son poste de repos.

Incapable de m’endormir, je passai par des moments de tristesse et d’espoir.

Soudain, je fus ébloui par la lumière et je vis  trois techniques d’Air Algérie entrer dans la salle, l’agent d’opération sortant de sa pièce s’avança vers eux. Quelques minutes après, le Commandant de bord vint vers moi et me dit «  Écoute ! nous convoyons un DC4 en panne d’un moteur vers Alger, nous ramenons cet avion sur trois moteurs sans aucun passager, si tu n’as pas peur, je te prends à bord mais sache que tu n’a aucune protection légale. »

Je lui ai répondu : « Monsieur, même avec un seul moteur je monte à bord !!! ».

Ce soir-là, seul un agent d’opération de Marseille savait qu’il y avait un passager clandestin à bord de cet avion d’Air Algérie.

Inutile de vous dire que pendant le vol, ces trois techniques furent gâtés comme jamais ils ne l’avaient été. Repas chaud servis dans le cockpit, café, boissons. J’étais crevé mais je ne savais pas comment les remercier !

Le lendemain matin, en me présentant en uniforme pour effectuer mon vol,  le chef de secteur, me dit : « Toi, on peut dire que tu as eu une veine de cocu ».

 

Mais moi, je pense plutôt que ce sont mon ange gardien et mes prières du 15 août adressées à la Vierge Marie qui permirent ce miracle.

  

Pour lire le texte précédent de Dominique Taddei :

Ajaccio, Campo Dell’Oro, été 1962

   

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