Lettre du paradis - Pierre Lieutaud

Pierre Lieutaud offre aux lecteurs une lettre écrite… du paradis.

 

   

Lettre du paradis


Je t'écris cette lettre du paradis. Je voyais bien que la maladie prenait peu à peu possession de mon corps, mais jamais je n'aurais imaginé que ça puisse aller si vite, si loin. Aussi loin que là où je suis, transporté je ne sais comment de mon lit dans cette immensité cotonneuse et douce où je n'entends plus ta voix. Elle me manque, tu me manques. Le monde qui m'entoure ressemble à une sortie à la campagne, une journée au bord de mer. Tu te souviens des plages ensoleillées que tu aimais tant, où tu rêvais, brûlée par le soleil...
De là haut, mais suis-je là haut ou ailleurs, je n'aperçois pas la terre, elle doit être très loin. J'ai demandé une autorisation de sortie. Le dossier est en cours, m'a dit l'employé. Un instant, pas plus, c'est la durée habituelle, paraît-il. Un instant pour voir tes yeux, ton visage, entendre ta voix. Attention, m'a-t-il dit, elle ne pourra pas vous voir, vous serez invisible. J'essaie d'imaginer comment tu seras, ce que tu feras. Seras-tu triste, pleureras-tu?
Quand je pense à ma vie passée, je me demande si mon arrivée au paradis n'est pas une erreur d'aiguillage, ils ont tant de travail, ces temps-ci... Et puis je me dis que ce n'est pas à moi d'en juger. Ils ont sûrement pesé le pour et le contre.

L'enfer n'est d'ailleurs pas loin, c'est un employé qui me l'a dit. Tu vois ce front d'orage, là-bas sur l'horizon, cette barre noire parcourue d'éclairs, c'est l'enfer... Le personnel est aimable et discret, aucune obligation de réciter des prières, d'écouter des messes. Çà m'étonne un peu, on a tous une idée religieuse de l'éternité. Eh bien non, ce n'est qu'un grand nuage où les pensionnaires sont des hommes et des femmes souvenir. Nous vivons tous dans nos passés. En essayant de n'y voir que les choses bonnes, agréables, profondes et en réfléchissant à ce qu'est la vie.

Quand je vivais, je pensais souvent au néant. Il n'existe pas, voilà ce que je sais maintenant. Nous sommes des continuités qui n'en finissent jamais. Je peux t'aimer même de là-haut, te parler jusqu'à la fin des temps.

Si je peux sortir d'ici, tu ne me verras donc pas. Essaie quand même de tendre l'oreille, je fredonnerai la petite berceuse que tu aimais. Mais ne passe pas la vie qui te reste à attendre ma voix, d'abord je ne sais pas si j'aurai l'autorisation de chanter, les consignes de sortie sont très strictes et puis pense à d'autres que moi, si tu veux, si tu peux... Je t'écrirai encore. Le service postal du paradis marche très bien. Quand tu ouvriras la boîte aux lettres, tu ne peux pas te tromper, l'enveloppe de la mienne a la blancheur du nuage où je t'attends.

  

  

Pour lire d'autres textes de l'auteur : 

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