Yves Goulm - Estafilades (suite et fin)

  

Le poète observe tout à travers les carreaux… dedans quand il va, dehors quand il demeure. Tout ce qui vit, tout ce qui le devrait, l’émeut : « Souffle ! », ordonne-t-il. 

  

  

35/

 

Exultons ! Exultons !

 

La débauche est notre art de vivre.

Avec style, un raffinement de duc.

 

Elle est notre joie, notre part de paradis.

Hourra ! Hourra !

 

Cigare, nectar, caviar, denrées rares...

Gavons de paillardises joyeuses notre beau lupanar.

 

Jouissons ! Jouissons !

Ne gâchons pas nos corps par l'ennui des nuits mornes.

 

Célébrons ! Célébrons !

Rassasions-nous !

 

36/

 

Je lévite

Tu m'évites

 

Le lit du destin prépare ma noyade

Trois nuages réfractaires veillent au grain

Quel délit d'être me vaut pareille aliénation ?

 

Serai-je initié par l'empereur des yogins ?

 

37/

 

Les barbelés de l'âme me séquestrent en moi-même

Impossible libération. Exploration interdite

 

Je suis condamné à l'immobilité

L'introspection pour seule activité

 

Je sasse le courant de mes idées

En grande majorité vers le bief des affres

Ou vers, plus rarement, le sas étroit des joies

 

Je ressasse la journée durant

Tandis que le temps trépasse

Des projets de voyages, des velléités de pèlerinages

 

Pour consolation, puis-je espérer compter sur la complicité des nuits nettoyées de cauchemars ?

Vade retro blanches hantées !

C'est mon lot, sans repos, cette obscurité de barbarie

 

Je suis mon geôlier aux grilles sans clef

Un viatique me sera-t-il accordé à la faveur d'une grâce collective ou d’un pardon sanscrit ?

 

Je dois, minus, demeurer ceint de cette herse de fer

Avant le terminus, la station de l'enfer

 

Alors, me demanda le vent libre

La vie, dans ces oubliettes,

Encore envie ?

 

Interdit, je ne sus que répondre.

 

39/

  

L'eau lit les formes de son regard liquide

C'est se raccorder au monde d'y tremper les doigts

Des informations remontent et relient entre eux l’écho juvénile de la première fois

 

L'eau c'est le lit de la jeunesse

Le berceau

L'eau vive avide de vie

 

C'est calme et tumulte

Tempête et mer d'huile

 

Les doigts le long de l'onde

Au fil de l'eau

Reçoivent d'un morse fluide le message primitif du monde un secret d'extralucide

 

L'eau guide les mots messagers vers les frayères des poètes

 

40/

  

L'être enraciné. L'arbre déraciné. Compagnons terraqués

 

Un terrible ouragan. L'arbre arraché. L'être décroché

L'être et l'arbre. Le cœur en cible d'une inflexible arbalète

L'arbre et l'être. Un parcours du sensible vers une matière commune

 

Du bois et de l'os. De la sève, des chairs

La vie se niche dans les fibres

C'est la condition du pacte

Ni chantage ni compromissions

 

Au bout de la chaîne le chêne offre au corps un coffre nid

Et tous deux s'en retournent à la terre

 

41/

 

Le jaune ébahi s'épand traînée de poudre après la foudre

Il ressource le jardin par la délicatesse de sa couleur d'or

 

42/

 

Entre ses mains une île

Gâteau de terre aux trois bougies érables

C'est aujourd'hui l'anniversaire des arbres vénérables

Le cadeau c'est ce transport d’idylle

 

Il regarde son île

Elle est si belle qu’il la montre au ciel

 

Tel un jeune papa

Son premier-né aux bras

Un peu emprunté

Un brin inquiet

Surtout, subjugué

 

Dans ses mains l'île

Terre du destin

Là il vivra

Et elle l'absorbera

 

L'île-origine

 

43/

 

La fourche à quatre dents est l'outil à fumier par excellence pour remuer la décomposition

L'oiseau tourne la tête pour détourner les yeux

Il ne chante plus

 

Ce labeur échoit à l'androgyne désigné par le mauvais œil d'un sort malveillant

Il s'apprête à brasser l'infertile tas puant où se défont les matières impures

Pêle-mêle des pelletées d'orgueil, des charrettes de vices, des brouettées d'avarice, des tombereaux de brimades et des remorquées de scandales

Amoncellement acide dans cette décharge d'un ciel béant

 

La fourche à quatre dents

L'instrument pour fouailler l'humus du mal humain

Sur quel enfer de néant l'épandre ?

 

L'oiseau ne siffle plus

 

44/

 

La gesticule véhémente d'un scaphandrier touché par l'ivresse des profondeurs

Il affirme avoir vu – dans d'insondables abysses – des créatures dotées de trois yeux avec une branche de gui fichée sur le sommet du crâne

Qui peut le croire ?

Les Thomas triomphent

Qui des siens verra derrière lui la preuve de sa vision ?

L’humanité en apnée manquera l’apparition ?

Le plongeur ne tardera pas à être interpellé, menotté, camisolé, médicamenté, asilé, décérébré.

L'histoire se termine toujours sans surprise : par une chute.

 

45/

  

Une maison ça a un côté rassurant

Une maison ou une maman

Un côté apaisant

Un pignon vers l'est

La cheminée

La tasse de café ou de thé à l'heure du goûter

La chaleur du feu

La douceur des lieux

Maman chantonne une berceuse

La maison de son enfance

Endroit d'idéal souvenance

Des odeurs, des couleurs, le lit

Maison Ithaque

Arche aux souvenirs sauvés des eaux d'oubli

Une maison posée dans la mémoire

L'esprit s'y calfeutre les soirs noirs d’affliction

Le chat ronronne

Maman chantonne

 

46/

 

Le brasier du diable

Autodafé des âmes condamnées

 

La Bête les grille aux cendres entassées des crassiers jalonnant l'envers du Ciel

Les vents mauvais soulèvent d'âcres nuages poussiéreux

 

Le brasero du diable

Autodafé des âmes damnées

 

La Bête les consume en cendres amassées en terrils accidentant l'enfer du Ciel

Les vents mauvais soulèvent d'âcres nuages de poussière

 

Le bras du diable sur mon épaule lasse.

 

47/

 

L'image est sa propre énergie aux flux migrants

Elle est un monde à soi en soi

Un regard y migre étranger d'une autre langue

Les mots vont viennent à la traduction du vibrant

L'image est sa définition, son influx et son temps

Une vision d’un à-jamais-inactuel-présent

 

Est-ce parfois un cadeau empoisonné ?

Une mauvaise influence sous laquelle nous pourrions couver de mauvaises intentions ?

L'esprit y pénètre monte-en-l'air au coffre

Quelles richesses nous apprendront la pauvreté ?

 

L'image est sa surface et sa profondeur

Un volume multi-dimensionnel

Les mots y quémandent une révélation, une réverbération

 

L'image est sa vision, son ciel

Comme toi sans doute aussi se ment-elle parfois se mordillant les lèvres la mort dans l'âme

 

L'image est sa valeur

Et c'est bien là le drame du voleur de mots

 

48/

La femme à l'enfant

La femme et l'enfant

La vie

La poursuite de la vie

L'encore des corps

La flamme maintenue

 

La femme enfante d'un ventre tabernacle

L'encore de la vie

La poursuite des corps

Le feu sacré entretenu

 

La femme, l'enfant

Constant miracle

 

49/

 

Le sculpteur sculpte

L'harangueur harangue

Le feu flamme

La pierre empierre

Le peintre peint

 

Au poète quand quel verbe ?

Le passé est passé. N'y revenons pas, c'est du passé.

Le présent l'est. Mais pour si peu de temps.

Le futur augure. Et qui vivra verra.

 

Au poète le camp du qu'en-dira-t-on.

 

50/

 

Ô l'oiseau

Leitmotiv du beau livre

La démangeaison des ailes

Le symbole du vol libre

Le chant de l'enchantement

 

Ô l'oiseau

L'homme aussi

Sa scie aiguisée

L'arbre pour cible

Où iras-tu nicher ?

 

Ô l'oiseau

Motif de l'artiste

Les pieds sur Terre

La plume en l'air

Sauras-tu que j'en pleure ?

 

Oiseau, oiseau, oiseau

Ma jalousie

 

51/

 

Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir !

Ah, le vilain mensonge ! Phrase de poète !

J'ai connu des êtres enfoncés au plus profond d'eux dans la pénombre du désespoir.

 

C'est tant qu'il y a du souffle qu'il y a de la vie !

Souffle ! Fort ! À joues rompre !

Souffle encore dans ton bel olifant, Roland, mon beau vivant !

 

Souffle à plus soif, à l'épuisement !

Les poumons brûlent d’un délice d’essoufflement !

Le temps n'est qu'un cadran moqueur !

Il s'en prend, félon, à nos mots, à nos cœurs !

 

Souffle tant que tu veux, talentueux musicien !

Souffle autant que peux, prodigieux magicien !

 

J'ai connu des êtres défoncés par la plus profonde pénombre du désespoir et qui toisaient encore la mort comme une putain sans cœur !

 

Souffle ma vie !

 

52/

 

Le bloc orbe là-bas au bord du reflet

Cet autre équipé de deux meurtrières

Sont-ils frères ?

 

Le choc de la collision deux murs épais

La mer s'est retirée sur la pointe des vagues

Ses écumes flottent en oiseaux de flanelle

 

Deux blockhaus

L'un de face

L'autre de dos

Sont-ils complices ?

 

Pour quel blocus des forces ?

 

Qu'un archéologue s'y aventure :

Deux trois inscriptions salaces

Des bocks de bière brisés

Un vieux pot de peinture rouillé

Des condoms sales, des mégots

Des rebuts, des déchets...

 

Était-ce un temple ?

Un lieu de sacrifice ?

Maîtrisaient-ils le feu ?

Travaillaient-ils le fer ?

 

Aux premiers relevés il semble que oui.

Le feu, le fer, étaient leur élément.

 

Au bas mot... 

  

 Retrouver les premières Estafilades ici.

Et les deuxièmes ici

   

   

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