Estafilades - Yves Goulm

   

Bout de papier, pense-bête, post-it, aide-mémoire ou estafilade, la poésie s’insinue dans toutes les failles qui fragmentent nos existences en petits éclats brillants.

 

 

Estafilades

 

1/

 

Animal au destin de dessin

Rien de plus. Rien de moins

Un chien de fusain engendré par une main

Qu'un regard s'y pose

Et le réel s'y ose

 

2/

 

Les créatures borgnes possèdent l'indispensable vigilance d'ouvrir l’œil, et le bon

Centaure-Cyclope au bord du gouffre

Comme tout un chacun, ne surtout pas tomber, pas sombrer dans le doute

Même si, trop souvent, s'en faut de peu que la peur l'emporte

 

3/

 

La gestuelle cultuelle d’un démiurge aux outils liturgiques tridimensionnels

Son langage corporel confère aux mortels un message gage de vie éternelle :

 

"Au commencement fut le mouvement.

Et cet élan était vérité.

Le futur des jours suivants devint un apprêt de sincérité."

 

Ô divin devin

Quel était le but au départ ?

Dieu des lumières et des nuits

Mû dès l’initial d'une envie de vie

Est-ce la promesse d'une existence d'art ?

 

Et où comment

Pouvons-nous apprendre ce qu'il adviendra de nous

Lorsque l'ennui aura détruit cet enthousiasme fantasque ?

 

4/

 

Qu'implorent ensemble l'animal-ailes et l'animal-mains ?

 

Ni plaintes, ni pleurs

Ô pessimiste ami, rengaine tes anciennes rengaines, ces diluviennes antiennes

 

Chaque matin ils duotent l'hymne d’union des natures

La fusion plume-peau des animaux ailes-mains

 

5/

 

Danseur aux bras élastiques. Danseuse aux doigts tantriques

L'astre ouvre sur le delà une nouvelle scène pour une chorégraphie inédite

Une plastique corporelle quêtant le mouvement idéal

 

L'écriture d'un ballet s'exprime via les corps

Au même titre qu'un poème rime ses accords

Chimie de l'alchimie des membres combinés

 

Chaque corps est un mot. Chaque mot un corps. Verbe-chair

 

Venez, mon cher, nous avons assez dansé pour aujourd'hui

J'ai fini de lisser mes cheveux

Maintenant me vient l’envie d'une folle nuit

Mes mains ont faim de tes aveux

 

6/

 

La forme du Monde c'est une femme ronde

 

7/

 

Sous la peau les os

Être squelette

Carcasse sac d'os

Être carpe et métacarpe, tarse et métatarse

Tas d'ossements

Être tronc torse

Ça passe en force ou ça casse

 

8/

 

La marche silencieuse d'une Ève dégingandée

La marche dégingandée d'une Ève licencieuse

La marche silengandée d'une Ève dégincieuse

La marche déginsilen d'une Ève cieusegandée

 

D'ici peu un Adam qui s'ignore tombera sous le charme de lèvres prometteuses

 

Attention à la marche !

 

9/

 

Ni épanchement de synovie

Ni ruissellement d'à verse

Les hanches matriochkées de vie

Un flux que femme déverse

Un flot d'inventivité pour libérer

La flamme liquide de la Nativité

 

10/

 

Aline et l'animal

Alain et ses comparses sont partis voir ailleurs s’ils n'y étaient pas

 

Aline, abandonnée, a mal

Un animal de compagnie pour seule compagnie

 

Aline, son Alain de mari l'a quitté

Sans un mot, sans équité

 

Honni mâle du mal

Il a fui l'animal. Quel con !

 

Aline boira

L'animal aboiera

Aline oubliera

 

Un jour, c'est ainsi, l'animal mourra

Aline pleurera beaucoup

Peut-être même plus que lorsque Alain s'alla

 

Les chagrins vieillissent

 

11/

 

Phallus minus. Chapeau pointu

Pantin humain. Clown sous chapiteau

Clou du spectacle

 

On montre le monstre

On l'exhibe pour six sous

Pour exciter la curiosité des supposés normaux

 

Pourtant, au chapitre des pitres

Se bousculer pour voir le nabot vous catalogue de facto anormaux pitoyables

Qui leur dira que cet être difforme, pauvre diable

Est, qu'eux tous, à l'intérieur, mille fois plus beau

 

12/

 

Les yeux dans les yeux

Poète et portraits s'échangent des confidences de papier

 

Par l'entremise du trait naît une complicité d'outre-nature

Camaraderie de l'hors temps

Amitié scellée d'un secret de crayon à l'inépuisable source de délice

Plus sûre qu’or factice du serment des dupes

Ce serpent de la tentation

 

Fraternité de la représentation

 

Peintre et poète

Main dans la main

Dessins de desseins

Fratrie d'anachorètes

 

13/

 

Je préfère être nu

Le simple appareil me rend plus simple

 

14/

 

Cachez-moi ce sang que je ne saurais boire !

 

15/

 

Madame à son fauteuil dans la lente attente d'une visite au salon d'hiver

Un siège, une plante verte et une solitude pour dame de compagnie

Pour seule confidente et amie sincère, la lassitude de l’habitude

 

16/

 

Le clébard apeuré queue entre pattes arrière

Les loups noirs l'échine courbée d'effroi

Les freux s'enfuyant à tire-d'aile

Les nuages tourbillonnés d'un orage de terreur

L'horizon effaré s'efface

 

La mimique sadique du salaud terrorise les entours

La pauvresse saisie aux cheveux hurle la plainte des outragées

 

Les êtres marqués au fer rouge du mal ne s'interrogent pas sur sa nature mystérieuse

Ils connaissent le regard brûlant de la bête

 

[à suivre...]

  

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