L'amour au temps du covirus - Pierre Lieutaud

L’antidote à la peur de la mort ? Peut-être l’amour de Marie ? Une courte nouvelle de Pierre Lieutaud.

  

  

L'amour au temps du covirus



7 heures. Le réveil crépite. Il se réveille en sueurs. Toujours le même  cauchemar. Une douche pour effacer la nuit, l'eau le brûle, il flotte dans la buée, si ça  pouvait durer toujours... Il se sèche, la lumière crue du matin fouille la cuisine, glisse sur la toile cirée.  Il regarde la rue, cache-cache du soleil entre les nuages, scintillement des flaques d'eau, le robinet goutte. Café, miettes qui piquent... Un autre café,  un peu de musique. Radio Nostalgie, les souvenirs se bousculent, s'embrouillent avec les violons. Les sanglots longs des violons... Non, il ne doit pas s'apitoyer sur son sort. Tout le monde, partout, en cet instant, regarde le ciel en se demandant : et après ? Il n'y a pas d'après, à  Saint-Germain-des-Prés ou ici, c'est pareil. Un mois qu'il relit les vieilles lettres, les premières  pages des livres phares de sa vie, qu'il classe et reclasse des documents,  vérifie sans les voir les relevés bancaires. Pourquoi tout ça ? La maladie avance sans bruit, les virus se glissent sous les portes, pénètrent à  gros bouillons dans son appartement quand il entrouvre une fenêtre. Rien ne les arrête, aucun traitement ne peut guérir les corps qu'ils investissent.
Il va mourir. Bientôt. Sans y croire, sans testament, sans rien... Il le sent au silence des matins, à  l'éclat  trop blanc des murs, à  des détails infimes qu'il n'a jamais vus : les minuscules fissures dans le bois des fenêtres,  les tâches presque invisibles des rideaux, les écailles de peinture des radiateurs, les lattes disjointes du parquet, les coudes compliqués  des tuyaux de chauffage. Son dernier paysage bourdonne dans la pénombre  des nuits qui n'en finissent pas.

8 heures. Le soleil éclaire les toits, la place et la mer. Les jeunes feuilles des platanes se balancent sous la brise. Dans la chambre,  Marie dort, nue, alanguie, noyée  dans sa chevelure.
Marie accepte le temps qui vient, Marie fataliste et éprise de vie attend que passent les tempêtes. Marie comprend les lâchetés  et les peurs. Marie grappille dans la vie mauvaise les petites baies de bonheur fugace...

Il la regarde, dans la lumière  du matin, souple, ombrée de rose, de gris. La courbe de son dos rejoint les longues vagues de sa chevelure  Marie se tourne vers la lumière et le monde  bascule, Marie respire et tous les nuages du ciel entrent dans la chambre pour que son souffle les caresse, Marie soulève doucement ses bras et les mondes chantent, Marie se blottit contre lui et il est l'univers, Marie se donne à lui et il n'existe plus. Il l'entend rire et pleurer à  la fois. Le jour se lève sur ses longues jambes, ses yeux fermés,  sa bouche aux fines rides.

Il ouvre grand les fenêtres,  les oiseaux chantent dans les platanes, l'air de la mer caresse son visage. Marie le regarde. Marie sourit... Un confinement au goût de miel. Tous les virus du monde ne pourront rien contre l'amour de Marie....

   

  

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