Une bouteille à la mer - Sophie Demichel Borghetti

Sophie Demichel Borghetti écrit une lettre parce que rien ne s’oublie, et certainement pas l’amour.

  

  

Une bouteille à la mer

 

Nous n’irons plus au bois, les poupées sont couchées,

Les enfants d’autrefois iront les enterrer,

Entrez dans la danse, voyez comme on danse,

Sautez, dansez, embrassez qui vous voudrez...

 

Nous n’irons plus au bois, les portes sont tombées,

Les beaux chevaux du Roi nous ont déjà mangés

Entrez dans la danse, voyez comme on danse,

Sautez, dansez, embrassez qui vous voudrez...

 

Je n’attendrai plus en vain tes messages, et jamais plus je n’entrerai dans notre Église, même si se rouvraient un jour les portes immenses de Saint-Ambroise, où depuis des années je venais respirer un peu ton souvenir, où je t’ai vu sourire pour la dernière fois.

 

Tu es parti et je n’étais pas là. Tu es parti, personne ne me l’a dit. Et puis qui aurait pensé au chagrin d’une étrangère, dans ces vivants autour de toi, qui ne me connaissaient plus, qui ne me connaissent pas.

 

Je n’ai plus que ce chant à t’offrir, en griffant de mes pieds tristes ces sentiers que tu ne connaîtras pas. Cette petite comptine, dans ces bois aujourd’hui déserts, le seul appel qui me reste, ma seule chanson vers toi. Toi, qui as dû brûler mes lettres, effacer ma trace.

 

Je ne t’aurai pas dit adieu. Je n’ai pas su que tu avais ouvert la porte, que tu étais parti là-bas.

 

Juste avant. Tu as trouvé le temps juste avant, dans le dernier avion à décoller, peut-être, avant que l’on nous enferme, avant que ces habitudes provisoires ne deviennent nos stigmates et nos prisons. Tu es parti, tu as eu raison. Je sais que tu ne reviendras pas.

Le silence est supportable dans l’espérance suspendue. Que vais-je faire de ton absence ?

 

Il y a vingt ans, j’ai aimé dans tes yeux la rosace bleue de Notre-Dame, où j’entrai pour la première fois, comme dans ta vie, comme dans mon corps. L’Ile Saint-Louis était notre maison, nos nuits, nos jours, nos étoiles et nos rires.

Je me souviens de tes mains sur tous les ponts de Paris ; de tes mains à mon cou, de tes mains sur ma joue, douces à mes poignets fragiles.

 

C’était il y a longtemps. C’était hier pourtant : moi je n’ai pas bougé. Il n’est pas vrai que le temps passe,  balaie les blessures. La  vie peut si facilement s’arrêter devant une porte qui se referme, un visage qui se tourne, une ombre qui s’éloigne.

De ce soir-là, immobile, épuisée de nos propres ruines, dans le regret de ce qui « aurait  pu » être et ne sera plus, je n’ai gardé que mes mains vides.

 

Aujourd’hui tu es libre, et je suis enfermée. Tu es parti heureux et je n’ai plus de larmes.

 

Mais dans ce désert, il me reste un filet d’âme et de voix. Ma chance est mince, la seule me qui reste, elle est fragile. Au fond des antres où les humains cachent leurs secrets, Satan entend parfois ses enfants perdus.

 

Alors je pose ces mots, voix numérisée, enregistrement jeté aux eaux de cette toile tissée au-delà des mers ; j’envoie un appel dans l’univers virtuel où l’on ne cherche que ce que l’on a déjà trouvé. Je les pose pourtant,  mes mots, pour ce jour où par hasard tu les entendras. Pour ce jour, où, dans toutes les histoires, on remet à zéro les compteurs, on laisse aux acteurs juste une seconde de liberté, un blanc un peu plus long dans le texte... pour le retour à l’espérance, pour l’amour... ou la grâce.

 

Un jour, j’espère, tu me retrouveras. Sur un écran, ou dans tes rêves, tu me retrouveras. Et tu penseras : Bienvenue. Bienvenue, puisque je suis venue jusqu’à toi,

 

Alors tu te souviendras.

 

Mon amour, où que tu sois, regarde-moi !

 

Regarde-moi ! Je suis ce que tu ne voulais pas, ce que tu oublies toujours, je suis ta peur à venir et ton fantôme, je suis ta déchéance aussi, et tes larmes à la tombée du jour, je suis ta douleur et ton âme...Je suis ton amante, je suis ta sœur. Je suis ton amie.

 

Regarde-moi ! Je suis ce que tu es, je suis ta mort et ton enfance, ton enfance morte au fond des plus beaux jardins, je suis la violence de tes refus cachés, de tous tes appels ignorés,  et le cœur  de tes nuits sans sommeil, je suis ta perte et ton recours.... Je suis ton amante, je suis ta sœur. Je suis ton amie.

 

   

 

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