Olivier Maurizi écrit une belle lettre à notre Lucy commune… un peu coupable.
Le 24/04/2020
Chère Lucy,
Lucy, vous arrive-il de manquer de temps ou pire de le regarder passer ? Vous arrive-t-il de vous asseoir et de regarder les nuages qui volent ? Peut-être regardons nous les mêmes.
Aujourd'hui, maintenant, je vais perdre mon temps à vous regarder. Je le veux plus que tout !
Vous semblez stupéfaite par cette fourmi qui monte sur votre doigt. Vous avez mis en péril sa colonie mais elle a tôt fait de colmater la brèche. Après tout, ce sont des fourmis... Vous mangez la petite qui, j'en suis sûr, serait bien devenue votre amie vu qu'elle venait de se disputer avec une cigale.
Vous me l'aviez dit la dernière fois, vous voyez je m'en souviens, depuis que vous vous êtes mise debout vous êtes affamée. Vous m'aviez avoué aussi que vous étiez plus peureuse. Nous, la peur, nous la cachons tout le temps mais elle resurgit de temps en temps. D'ailleurs, c'est étonnant qu'elle soit toujours présente. Mais, je vous avais promis aussi de faire attention à vous...
Auriez-vous des regrets de vous être levée ? Vous avalez encore des fourmis et moi, je vous trouve belle ! N'allez surtout pas croire que votre nudité m'attire, vous cachez si bien vos attributs mais je sais que votre préféré c'est Toumaï. Ne rougissez pas, je vous en prie.
Vous êtes belle dans cette harmonie qui vous entoure. Même la fourmi que vous venez de gober pourrait en témoigner. Surtout n'ayez pas de regret ! Nous sommes capables de nous émerveiller devant un tableau de Hopper ou de verser une larme en écoutant une sonate de Schubert.
Mais, je vous en veux aussi de nous avoir laissé croire ! Ne faites pas l'étonnée. Oui, je vous en veux de nous avoir permis de penser que nous étions des mastodontes démoniaques, de fats démiurges alors que nous ne sommes que des tigres de papier !
C'est pourtant vous qui avez maîtrisé le feu. Ce feu prométhéen qui vous a sauvée des ténèbres mais qui a aussi créé notre perte.... J'espère que c'est notre feu intérieur qui nous permettra de reprendre pied. Tous ces malheurs qui s'abattent sur nous. La note est douloureuse pour un petit vol.
Même si je comprends votre réticence, écoutez-moi. Une fourmi mangée n'engendre pas la sécheresse quand même. Oui, je sais, je sais ! Nous n'avons pas mangé qu'un insecte, nous avons donné un coup de pied dans la fourmilière... Mais bon, ce n'est qu'une fourmilière !
Quel regard noir ! C'est facile pour vous vous n'avez que cette savane comme horizon. Nous, nous avons... Nous avons tout ! Comment résister ? Et puis, je vais vous dire un secret, je n'ai pas envie de résister ! Je ne veux pas être frustré ! Je veux ! Je veux celui du voisin ! Je veux être le premier à avoir !
Ne partez pas ! Ne faites pas l'outragée ! C'est facile ! Moi aussi, je peux le faire ! Tiens, je me retourne ! Je boude ! Faut dire personne ne regarde plus personne. Voilà, vous ne nous regardez plus ! C'est de votre faute, les aînés doivent toujours prendre soin de leurs enfants ! On se disait depuis quelques temps que nous étions éternels et on vient de nous prendre la main dans le pot de confiture. Nous avons des excuses aussi... Nul ne nous a arrêtés ! Nul ne nous a prévenus ! Nul ne nous a avertis ! On n'y est pour rien ! Tiens, c'est indépendant de notre volonté...
Nous nous sommes égarés... Vous qui êtes sage, pensez-vous que tous les maux vont nous engloutir ? Qu'il y a encore un espoir auquel s'accrocher. Vous qui regardez la fourmilière comme un trésor architectural ; l'oyat sur les dunes la meilleure digue contre les tsunamis ; les bocages, des paravents contre les tornades... Est-ce l'humilité que vous nous conseillez ?
Je vous déçois. Ne partez pas fâchée au moins. Promettez-moi de revenir, bientôt, dans pas longtemps, oui quand vous pourrez. Vous verrez, vous serez fière de nous. De ce qui fait de nous des Hommes...
À vous !
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