Operata di memoria Furiani 92 - Aurélia Bastiani

  

Témoignage d'Aurélia Bastiani

 

Je suis née le 5 mai 1981. Aussi le 5 mai 1992 c’était pour moi une grande joie de me rendre au stade de Furiani pour la toute première fois. J'ai 11 ans, je pars avec mon père et mon cousin germain. Mon frère et le frère de mon cousin germain sont déjà au stade depuis 13h en tribune Est. Ma mère, elle, avait décidé que je ne manquerai pas l'école. Cet élément est important… car nous avions acheté des billets pour aller en Est. Mais voilà, arrivés au stade vers 17h45, une fois devant notre tribune Est, l'accès nous est refusé : « La tribune est complète, allez en latérale Nord, y’a de la place ». 

Nous nous exécutons et nous voilà installés sur cette tribune, pas convaincus mais tellement heureux de partager ce moment historique pour le football corse. L'ambiance bat son plein. Gênés par un poteau d'éclairage, nous décidons de monter plus haut sur la tribune. Nous tapons des pieds avec nos talons, nous entendons au micro que l'on nous demande de cesser. Mais c'est mission impossible. Nous étions à l'unisson et surexcités par cette ambiance de folie. Et voilà, au moment où les joueurs regagnent les vestiaires après l'échauffement, je sens un souffle, un va-et-vient de gauche à droite et un grand bruit de taule. Je ne réalise pas tout de suite ce qu'il se passe car ma préoccupation première sera de me dégager. Je suis sur mon siège avec un amas de taule jusqu'au bassin et mon premier réflexe une fois dégagée, bizarrement, a été de récupérer ma tennis qui était tombée en me dégageant. (Je remercie mon père, qui ce jour-là a eu le réflexe, lorsqu'il a senti la chute de nous tenir mon cousin et moi avec chacun de ses bras.) 

Une fois dégagée, il s'est passé quelque chose d'étrange. En effet, d'un coup, presque tous en même temps nous avons levé la tête au ciel, réalisé ce qu'il venait de se passer et hurler quasiment tous ensemble : « La tribune va nous tomber dessus ». Et là, ce fut la panique. Je revois mon cousin de 10 ans et demi qui avait une dame couchée sur lui, la soulever et s'enfuir. Moi, je me suis levée comme j'ai pu avec ma jambe gauche qui semblait avoir un problème (je la sentais presque plus). 

Et mon père ? Eh bien je l'ai perdu pendant quelques minutes qui m'ont parues des heures. J’ai fini par me traîner jusqu'aux véhicules garés, et me suis appuyée sur une 4 L pendant que mon père était sur la pelouse à porter secours aux blessés… Lui-même l'était, mais pas gravement. Il est passé à 2mm d'être empalé par une barre en fer. 

Ce jour-là, je peux le dire nous avions une bonne étoile au-dessus de notre tête. Nous avons été certes blessés physiquement mais encore plus psychologiquement. Mais comparé à nos victimes ayant perdu leur vie, ou celles condamnées par des séquelles permanentes, nous ne pouvons que remercier que ce jour-là n'ait pas été le nôtre. Il doit y avoir un destin. Car les deux membres de ma famille (mon frère et mon autre cousin) qui étaient en Est, sont pas tombés... mais tous les deux ne sont plus de ce monde aujourd'hui pour témoigner... 

À partir du 5 mai 1992, mon anniversaire n’a plus été une fête, je culpabilisais du haut de mes 11 ans d'être née cette date maudite, ce fut le premier traumatisme de ma vie. 

Ce jour-là aussi, j'ai vu de mes yeux des blessures que je n'aurais jamais pensé voir, mais j'ai vu aussi un élan de solidarité, si cher, et qui caractérise notre peuple. Aujourd’hui je suis enfin heureuse que le 5 mai soit sacralisé, ce n'est que justice pour tous ces morts et les victimes de cette tragédie… et jamais, mais jamais je n'oublierai.

#pasdematchle5mai

#maipiù

  

 

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