Dominique Gaudin - Parsemé d'étoiles

Devenir pilote, contre vents et marées et revenir… Une nouvelle de Dominique Gaudin

 

 

Parsemé d’étoiles

 

 

C’était une froide nuit d’automne, courant octobre. Le ciel était d’encre, parsemé d’étoiles, une de ces nuits nordiques que j’affectionne particulièrement tant elles me donnent le sentiment de faire partie intégrante du ciel. J’étais véritablement, ce soir-là, la plus belle étoile brillant pour la première fois, près de la Voie Lactée, Champs Elysées du ciel.

 

Il était minuit et neuf minutes précises. Comme je te l’avais annoncé ce serait l’heure exacte de notre rendez-vous. Par chance rien n’était venu bousculer mon plan de vol, départ on time, aucune perturbation, tout se déroulait comme je l’avais voulu et organisé. J’arrivai en vue de la maison, wrombrissant, tous feux cligotant. Je t’imaginais collée à la baie vitrée côté terrasse où tu devais, comme je te l’avais demandé, allumer un petit feu m’indiquant que tu étais bien là ; je ne pourrais me tromper malgré les longues années passées loin de vous, loin de toi.

Cette nuit, je survolai la maison pour la première fois, et pour la première fois aussi aux commandes de cet avion à réaction, lors de cet exercice de nuit qui me permettrait d’être promu commandant de bord... Depuis toujours j’en rêvais bravant vos réprimandes et celles de mes professeurs.

"Tu peux toujours rêver", disiez-vous, signant à contrecœur mes bulletins de notes.

J’étais un cancre fini, doublé d’un rebelle, je n’arriverais à rien dans la vie, alors PILOTE ?

¡Ni pensar! comme le dirait mon ami Alfredo.

 

Et ce moment était arrivé : moi, ton garçon, je prenais mon envol, contre vents et marées ; quelle revanche contre le destin que vous m’aviez promis et contre le sort qui s’était acharné sur moi.

Après plusieurs fugues qui me faisaient plonger petit à petit jusqu’à toucher le fond, j’étais parti, avec l’idée de ne plus jamais revenir ni à la maison ni au collège, ne plus jamais avoir à subir les quolibets, les engueulades, les reproches.

J’avais eu l’occasion de découvrir l’expérience de Geoffroy Delorme, ce jeune auquel j’avais fini par m’identifier ; il avait passé 7 ans en forêt avec les chevreuils... je passerais maintenant mon temps à l’aéroclub voisin, auprès des  "coucous" comme ils disaient,  et auprès de cette équipe qui m’avait accueilli plusieurs fois.

Petit à petit, nous apprivoisant mutuellement, j’étais devenu un des leurs, je leur rendais des petits services, je préparais avec eux les avions avant chaque sortie, je tenais les hangars propres, j’apprenais le vocabulaire et  les gestes du métier, je côtoyais les clients, tant et si bien que j’avais  fini par m’installer dans un coin du grand hangar, j’étais officiellement  le veilleur de nuit... j’étais aux anges dans cette nouvelle famille. Je m’épanouissais, n’avais plus peur de rien.

J’avais aussi, sur l’insistance d’Alfredo qui m’avait pris sous son aile (!!), passé avec succès mais au prix de combien d’heures d’étude, le BIA (Brevet d’Initiation Aéronautique). J’appris donc à piloter  un coucou pour passer ce brevet... quelle chance, quel bonheur !

De temps en temps, je revenais subrepticement à la maison quand "vous" étiez au travail : je prenais une douche, je mangeais ce que je trouvais dans le frigo, je lavais mon linge, je m’équipais aussi (assiette, verre et couverts, serviettes, couverture...) jusqu’au jour où je découvris que je ne pouvais plus entrer : "vous" aviez fait changer les serrures et mainteniez fermées portes et fenêtres. Il ne me restait plus que la boite à lettres pour laisser un petit mot pour toi Mum, pour que tu  suives mon parcours, à la barbe de Dad... s’il ne détruisait pas les messages avant que tu puisses les lire.

Là, je compris que le point de non-retour était atteint.

C’est à ce moment-là, je venais de fêter mes 18 ans, qu’Alfredo, m’incita à présenter un concours pour entrer dans l’armée de l’air.

"Engage-toi, me dit-il, ils ont besoin de gars comme toi".

Il m’aida à préparer ce concours, me donna des cours le soir après la fermeture de l’aéroclub... J’avais tant de lacunes que ce fut un véritable parcours du combattant, je m’accrochais, refaisant les exercices,  apprenant les règlements... je fus admis ! Quelle joie et quelle fierté ! J’avais ce sésame qui m’ouvrait les portes du ciel ; tout ce dont je rêvais depuis tout petit était inscrit sur le papier... Je partis faire mes "classes", franchir un à un tous les échelons, jusqu’à ce soir, la dernière étape pour devenir  chef de bord, Alfredo à mes côtés comme toujours.

Oui, Mum, c’est moi, ce soir, qui te rends visite. Oh! Bien courte visite ! Je ne peux ni ralentir ni poser le bolide que j’ai entre les mains, mais je vois la lueur du feu sur la terrasse et je me prends à fredonner la chanson de Barbara "Dis quand reviendras-tu..." ? Oui je reviens !

 

"Depuis combien de jours, depuis combien de nuits

Depuis combien d’années que je me suis enfui

De vous, du rebelle et du cancre que j’étais

J’avais dit cette fois, c’est la dernière fois

Je ne reviendrai pas, je largue les amarres

Je vais vers d’autres cieux....

 

Ce soir je te le dis

C’est enfin arrivé

Un jour de gloire pour moi

Et de fierté aussi

 

Chaque jour, chaque mois

Et bien sûr chaque année

Furent le printemps pour moi

Pour toi l’hiver sans doute

Fallait qu’je suive ma route

loin de vous, loin de tout

et qu’je revienne un jour

pour vous dire qui je suis....

 

Ce soir je te le dis

C’est enfin arrivé

Et me voilà en paix "

 

La main posée sur le cœur, une grosse boule remonta dans  ma gorge et, pleurant comme un gamin,  un flot de larmes ininterrompu inonda mon visage.

 

 

 

Ce texte répond à l’une des propositions de l’atelier d’écriture de Racines de Ciel. Le thème de l’édition 2023 était « les réécritures », soulignant le lien entre lecture et écriture.  Les propositions s’appuyaient sur des textes de Sheila Watt-Cloutier (Le droit au froid), Albert Cohen (Le Livre de ma mère), Antoine Ciosi (Peut-être qu’un jour), Baudelaire (La Chevelure).

 

 

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