Juliette Paoli - Tabous alimentaires

 

Il y a tout un potager et un verger merveilleux dans les souvenirs de Juliette Paoli.

 

 

Tabous alimentaires

 

À l'heure des dérives et dictats alimentaires au nom du véganisme, végétarisme, végétalisme et autre originalités alimentaires fort contraignantes pour des raisons religieuses ou de mode, il me souvient d'histoires cocasses liées à des fruits et légumes. 

Enfants, nous allions rendre visite à une sœur de ma grand-mère roannaise, elle nous régalait de quenelles de brochet. Son plat baignait dans une sauce rouge superbe. Son mari, petit et sec, jouait les Zorros. La tante Claire, ronde, ne se voyait guère en Jane. Elle regardait, dubitative, les exploits de l'oncle. Nous l'avions surnommé "oncle fil de fer" en le regardant se suspendre à la treille de vigne. À l'heure du café, nous quittions la table et filions vers le jardin.  L'oncle ne connaissait pas l'architecture des jardins à la française mais tenait le sien de façon maniaque ou amoureuse. Des arbres fruitiers bordaient les planches de légumes, figuiers, abricotiers, cerisiers. Irrésistiblement attirés par les branches,  à notre tour nous jouions les grimpeurs... l'oncle déboulait trop vite craignant d'éventuelles chutes et surtout une cueillette de figues. Il nous menaçait d'indigestion. Depuis les figues avec un morceau de fromage de brebis sont un régal pour moi. 

Toujours en courant librement dans les jardins du souvenir, arrivent les grenades. Trois grenadiers bordaient une piscine. Au sortir de l'eau, cueillir, ouvrir ce fruit, ses graines difficiles à dégager de leurs alvéoles était une tentation irrésistible. Figues et/ou grenades ne sont-ils pas en réalité les fruits qu’Eve, gourmande,  a dérobés malgré l'interdit dans le jardin d'Eden ?? Tel Dieu en colère,  arrivait Joseph, le maître des grenadiers. Il jetait son interdit… Il fallait l'enfreindre lors de sa longue sieste à condition de s'éclipser avant son retour. 

La figue de barbarie elle,  se défend seule. Mieux vaut ne pas s'en approcher un jour de vent car les transparentes épines s'envolent vers vous. Ensuite, la délicate opération d'ouverture effectuée, quel régal au petit-déjeuner légèrement rafraichies ! 

Passons des fruits aux légumes. 

Comment le poireau est-il devenu un plat interdit dans la vie d'un couple ami ?  

Un soir de jour de l'an, au menu, un foie d'oie gras préparé maison, accompagné de pommes dorées, presque confites. Monsieur, de méchante humeur, décrète qu'il ne mangera pas,  sinon des poireaux bouillis. Ils se sont couchés sans manger en se tournant le dos. Depuis, mon amie refuse de faire cuire le moindre poireau et de passer ce jour-là en tête-à-tête avec son mari.  

Aimez-vous Brahms et le basilic? Moi oui, il rehausse et décore si joliment une tomate.  Des plantations croissaient dans une grande jardinière avec de la menthe et du thym, excellents aromates de la cuisine du sud. 

Invitée à en cueillir, mon hôte jugea que mon bouquet était trop touffu, cela reste un litige verbal entre nous. Je lui en ai offert un énorme pied. Cinq ans plus tard, il entame toute conversation lors de rares rencontres par un " je n'ai pas oublié le basilic " ce à quoi je lui demande si c'est pour cultiver sa mémoire qu'il évoque cet incident ou bien si cette plante a cette vertu particulière. Entre nous, le souvenir du basilic a mis une distance dans la relation.  

Chacun peut cultiver souvenirs délicieux ou amers de fruits et légumes. C'est pour moi plus plaisant que les interdits.  

Bon appétit, éveillez vos papilles plutôt que déplier des interdits. 

  

  

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