- LND 2022 - Juillet
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Quand il regarde autour de lui, il voit la vie après sa mort… Un monologue funèbre de Alice Boulloud
La mort du paysan vendéen
... Arffffggh ... Ai-je dormi longtemps ? Ou suis-je déjà mort ?
Et non regarde : la grande est là. La pauvre. On non... la petite ! Tout ce que je ne saurai jamais d'elle. Et que se rappellera-t-elle de moi ?
Ohhh mais quelle douleur bon sang ! Ça y est, c'est là. Je le sens. C'est maintenant...
Ai-je dormi longtemps ? Ou suis-je déjà mort ? Et les terres, tout ce qu'il y a encore à faire. Depuis quand suis-je là déjà? Et d'ailleurs qui m'a remplacé pendant que je dormais ?
Ohhh mon dieu quand je pense à ce labeur. Aaaa mais quelle douleur. C'est injuste. Regarde-les. Regarde-la. M'en voudra-t-elle de la laisser seule ?
Et moi mon dieu. Et moi. À qui en vouloir ? Je meurs. Non. Pas maintenant. Puis-je décider quand ? Et à qui plaider ma cause ? À qui me défendre et pour quel crime ? Arrrrhg je voudrai hurler. Y-a-t-il des bruits qui sortent de ma bouche ? Je n'entends rien.
Ai-je dormi longtemps ou suis-je déjà̀ mort ?
Mais eux là-bas. À peine les vois-je que je les entends jusque dans ma tête : mais taisez-vous bon dieu ! Que disent-ils ? Est-ce important ? Je crois qu'ils parlent de moi. Regardent les ces vautours. Regarde-le, lui, qui se pavane avec sa belle. Il détourné le regard. Mon dieu si j'avais la force... Le respect de la mort tu connais ? Toi là-bas oui toi. Ma vision se trouble et pourtant je te devine dans ta jeunesse arrogante. Tu me voles mon dernier souffle par ton sourire. Je te hais. Impertinence. Insolence.
Ma pauvre fille j'aimerai t'embrasser. Non je n'ai pas la force. Trop tard. Et toi petite : te souviendras-tu de moi ? Mais quelle est cette présence que je sens ? Là, à droite. Allez ! Mais tourne-la cette tête. Allez... Non. Trop tard. Oh ma douce. Tu es là ? Je te voyais à peine... Ta robe tachée des larmes de la petite. Ce sera donc là mon dernier souvenir ? À peine puis-je entrevoir ton visage.
Et nos terres mon dieu la saison des patates. Il faut aller les sortir de terre. Roger t'aidera. Tiens ? il n'est pas là. Mais quelle heure peut-il bien être ?
Ai-je dormi longtemps ou suis-je déjà mort ?
Mais taisez-vous bon dieu ! Ils me sortent de mes pensées.
De quoi parlai-je déjà ? Aaaaa cette fichue terre. Elle m'aura tué. Que le diable t'emporte avec ta terre. Te voilà fier dans ton lit de mort maintenant que tu lui as tout donné... Pour si peu. Bravo !
Non. Non. Ne parle pas du diable malheureux. Je vous en prie mon dieu. Soulagez-moi je perds la tête. Et cette colère mon dieu. Elle me ronge de l’intérieur. Où est-ce la douleur ?
Ahhhh mais taisez-vous. Mon dieu. Regarde-les. Comme je les hais. Et ils rient ? Mais oui, c'est bien ça : ils rient ! Tous. Se moquent-ils de moi ? Mais taisez-vous... Ils ne me regardent même pas. Tous tournés là-bas. Qu'y-a-t-il à voir que je ne vois pas ? Je vais donc mourir en éclat de rire. TAISEZ-VOUS BON DIEU. Mais... attends. Que fait-elle à terre ? C'est donc elle que tout le monde regarde ? Je ne vois pas bien. Est-ce mes yeux qui me trahissent où est-ce bien sa croupe à la chair ferme qu’elle tend à mon regard ? Quelle folie de porter jupes et talons quand on ne sait marcher avec... Tiens. Le spectacle rend la douleur surmontable... Ces rires m'agacent. Il faut pourtant reconnaître que c'est d'un ton tout à fait burlesque... Mais tu ris ? Vraiment ? Dieu va croire que tu te ris de ta propre mort. Reprends du sérieux malheureux. Oh mes filles. Ma douce. Si vous saviez mes pensées. Serait-ce là mes dernières pensées ?
Ça y est ils se sont tus. M'auraient-ils enfin entendu ? Et où est-elle ma dame à terre ? Tiens, je ne vois plus. Je n’ai plus mal non plus. Attends. Reviens. Riez. Ne cessez pas de rire. Jamais.
Ai-je dormi longtemps. Non je dois être mort.
Ce texte fait partie du compagnonnage mis en place entre Le Nouveau Décaméron 2022 et l’atelier d’écriture Racines de Ciel, animé par l’écrivaine Isabelle Miller, dans le cadre des activités littéraires du festival Racines de Ciel.
Le thème choisi cette année était « Le musée imaginaire » articulé autour de plusieurs propositions successives.
La deuxième proposition à laquelle le présent texte souscrit était :
« Le témoin. Les auteurs font parler en monologue intérieur un personnage d'un tableau de leur choix »
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