Pierre Lieutaud - Le nouveau  royaume de Naples

 

La mafia s’est installée au cœur de Naples. Elle règne sans partage… Une conférence fictive, par Pierre Lieutaud.

 

Le nouveau royaume de Naples

 

Conférence donnée le 20 avril 2009 dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne

par le professeur Ottavio Maïsetti, de l’université de Rome.

 

Mesdames, messieurs, si la démocratie et les républiques ont effacé la plupart des royaumes de la terre, d’autres naissent encore aujourd’hui sans que nous le sachions. D’autres, à la tête desquels vous ne trouverez aucun monarque, aucune noblesse, cour, armoiries, toutes choses indissociables habituellement de la réalité d’un royaume… 

Je vais vous parler aujourd’hui de l’un de ces nouveaux royaumes, bâti sur les civilisations disparues et les ruines d’un royaume passé dont il a repris le nom... Je vous parlerai aussi d’orthographe, de religions, de papauté, de barbares, anciens ou nouveaux, de l’Empereur Napoléon, toutes choses inextricablement liées et dont les influences qu’elles exercèrent en ce lieu ont fait de ce royaume aux allures d’opérette, ce qu’il est devenu aujourd’hui : une catastrophe au cœur de l’Europe.

Le royaume de Naples est son nom, le nom que l’on donne à une organisation qui a perdu son côté occulte et incertain pour devenir une puissance qui compte, régnant sur les terres et les gens de l’Italie du sud. Et ceux qui qualifient de royaume ce pouvoir en se référant à l’ancien Royaume de Naples, devraient réfléchir plus avant à sa réalité et à l’exemple qu’il donne dans un monde sans repères où déjà d’autres pouvoirs absolus installent leur barbarie.

Le premier royaume de Naples, l’ancien, le véritable, a pris racine dans un pays occupé au fil du temps par les Phéniciens, les Grecs, les Carthaginois, les Romains, les Francs, les Arabes, les Espagnols d’Aragon ou d’ailleurs, les Français, les Allemands. Un pays que la Renaissance elle-même a parcouru, mais où toutes dominations qui se sont succédé ont laissé au bord du chemin des nuées de pauvres hères, paysans inféodés aux grands propriétaires de ce sud, possesseurs de toutes les terres, arables ou non. Mais ainsi va le monde, par secousses et surprises incessantes et nous n’y pouvons rien. 

Les Arabes y furent présents aussi dans le cadre du méli-mélo incessant qui agita la Méditerranée et dont la chrétienté s’empara, régnant sans partage après leur départ, sur les âmes, le long des rivages du nord, et sur les hommes, le long des rivages du sud (ces deux attitudes définissant l’évangélisation, qui est la colonisation des esprits, et l’esclavage qui est la colonisation des corps), repoussant les dynasties arabes d’Espagne et de cette botte italienne dont le destin est l’objet de mon propos. 

Les Arabes s’en allèrent, traversant simplement le bras de mer, laissant sur le terrain des dentelles de pierre, des systèmes d’irrigation et dans les esprits des chants mélodieux, la nostalgie d’une douceur de vivre et d’une grande tolérance, mâtinée il est vrai d’une cruauté inhérente à tous les empires et les pouvoirs venus d’ailleurs. Tout cela, la nature ayant peur du vide ou d’un trop plein d’imaginaire, fut aussitôt remplacé par la dictature des suppôts de Dieu (croisés, templiers, inquisiteurs avec leurs bûchers, moines, curés, évêques aux mitres enchâssées de diamant, aux crosses fleuries et aux bagues scintillantes), remplacé aussi par la mièvrerie des troubadours, équilibre voulu entre la rigueur de l’Inquisition et la douceur des madrigaux afin que la population puisse croire qu’existait vraiment la liberté qu’avait apportée dans ses bagages la religion nouvelle. 

L’analyse un peu caricaturale que je fais devant vous de ces deux religions qui s’affrontent aujourd’hui encore avec un flux et un reflux incessant de leurs influences respectives montre que tant qu’elles ne s’interpénétreront pas de façon pacifique sur le pourtour de la Méditerranée, d’autres royaumes comme celui de Naples verront le jour, aux mains des mêmes gens… Mais tout cela est une autre histoire qui sort du propos de ce jour.

Sur cette terre, pourtant, les nouveaux maîtres, les grands propriétaires terriens, auraient pu constituer une noblesse du sud de l’Europe à l’origine d’un empire méditerranéen, unifiant toutes ses rives. Malheureusement, ce pays est resté, on ne sait pourquoi, terre de passage, si séduisante pour les dynasties qui s’y succédèrent que chacune y construisit des palais, actuellement délabrés, aux corniches écaillées, aux statues devenant poussière, et qu’à ce jour, et vous me pardonnerez ce raccourci entre les ors du passé et la réalité présente, seules les subventions sans fin que l’Europe accorde, excessives et disproportionnées avec la réalité de leur déliquescence, les empêche de sombrer dans un néant au soleil. L’Europe, qui pour se faire pardonner l’indifférence avec laquelle elle considère ses origines, finance à fonds perdus des travaux d’Hercule qui ne voient jamais le jour. 

Permettez, mesdames et messieurs, qu’à ce moment de mon exposé, je prenne position sur cette origine. C’est de cette Italie, de ce sud où se mêlent les influences arabes et européennes que nous venons et non pas d’une quelconque Prusse, Saxe ou Angleterre, que Napoléon, dans sa grande bévue est allé chatouiller. Ce sont des peuples qui ne rient pas, contrairement à ceux dont je vous parle. Nous savons que l’Empereur eut conscience de tout cela et que le remords le tenailla d’avoir, pour son ambition personnelle et à l’inverse de ce qu’il voulait, définitivement détruit toute trace de cet empire romain qui le fascinait. Mais si vous le voulez bien, restons-en là sur l’Empire et revenons au sujet précis de cette conférence.

L’ancien royaume n’est plus et à Naples des merveilles dorment aujourd’hui au soleil, au beau milieu des figuiers de Barbarie et des oliviers sauvages qui envahissent les façades, au milieu des immondices et des voyous sanguinaires qui ont poussé sur le terreau en friche de la noblesse rurale enfuie que n’avait remplacé aucune république, ni aucun État papal (l’État papal est une douce plaisanterie bardée de perversion et de gardes suisses, dont l’objectif est en réalité strictement le pouvoir ici-bas, tout cela à l’ombre de la bannière de dieu, qui aurait dû servir de barrière et non de bannière et nous voyons là encore, dans le destin des peuples, l’importance d’une seule lettre). Je reviens à une explication de ces soi-disant fautes d’orthographie : la mauvaise formulation des mots et l’inversion des lettres ne sont pas pour moi des dysgraphies, des défauts d’apprentissage, mais des lapsus significatifs derrière lesquels avancent masqués les oppresseurs. Ceux qui prononcent ou écrivent ces mots de travers ou bien ceux qui lisent de travers des mots correctement écrits. Les premiers sont les tyrans et les seconds ceux qui leur préparent le terrain par la si grande peur qu’ils ont de les voir arriver qu’ils préfèrent leur venue à l’insupportable attente. Méfiez-vous donc des mots que vous lirez, de tous les mots, même les plus petits, les plus insignifiants, prenez garde aussi aux mots que vous écrirez, relisez-vous à haute voix, regardez votre visage dans un miroir pendant que vous lisez, évitez le lapsus autant que vous pourrez, allez jusqu'à l’automatisme, lisez sans comprendre, c’est la meilleure façon d’enlever à l’autre personne qui est en vous la possibilité du lapsus pervers qui nous habite tous… Mais je m’égare… Ces voyous sanguinaires, disais-je, se sont organisés, sous la forme d’une association appelée la Coupole, utilisée pour faire boire le calice jusqu'à la lie (je ne ferai pas la plaisanterie attendue sur l’hallali) à cette population perdue. Le voilà, le nouveau royaume, la Coupole dont le sens manœuvrier et l’intelligence abreuve également les politiciens de tout bord, ce qui lui assure une tranquillité définitive, rythmée par les processions bariolées et les enterrements respectueux (la mort est ici respectée et celui qui l’a donnée vient s’incliner sur la dépouille de sa victime, comme si la mort rapprochait les hommes dans une innocence et une irresponsabilité éternelles, la terre des morts n’étant plus qu’un vert pâturage où broutent des troupeaux, parcouru de séraphins fessus, de jeunes vierges aux noms italiens et d’indiens emplumés au calumet vissé dans la bouche et à l’œil éteint, c’est du moins, mesdames et messieurs, ainsi que je vois le Paradis). Et c’est, dans ce royaume maffieux, grande curiosité que de voir les enfants ou les parents du défunt s’incliner avec ferveur et respect non pas vers le Christ, mais vers le meurtrier. Personne en vérité ne veut vraiment que disparaisse cette honte humaine, et les grands de ce monde, quand ils en eurent besoin pour épargner la vie de quelques uns de leurs soldats, n’hésitèrent pas une seconde à lui faire allégeance, ce qui lui permet d’être toujours là, royaume barbare dans un continent civilisé, où l’on égorge des enfants, où l’on plonge des familles dans l’acide et le ciment liquide, où l’on cajole les évêques et les préfets et où la plupart des juges ont baissé les bras. Ne voyez dans ma dernière remarque aucune provocation, mais l’objectivité m’oblige à vous citer le nom du seul homme d’État qui a essayé de mettre à bas ce royaume. Il s’appelait Benito Mussolini… Voilà, Mesdames et messieurs, ce que je voulais vous dire sur la réalité de ce monde compliqué qu’est l’Italie du sud, un morceau de nous-mêmes qui baigne dans la mer originelle et qui nous ressemble.

  

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