Juliette Coulombel - Ma madeleine

Ma madeleine

 

Pour Proust, c’est la madeleine trempée dans le thé. Pour moi, c’est l’odeur de l’air en début de soirée au retour de la plage, après avoir pris ma douche.

C’est un air propre et suave, presque sucré. Il est lourd de silence, contrastant avec les cris de la marmaille et le bruit des vagues qui ont résonné dans ma tête toute la journée. À peine ponctué par le chant d’une hirondelle, il transporte le sel de l’océan et la douceur des jasmins qui trônent au fond du jardin.

C’est un air électrique, que je remplissais de mon excitation d’enfant : ce soir, me disais-je, il y a Guignol au kiosque de la plage, et je sais déjà quelle petite chaise rouge j’occuperai pour que ma voix puisse porter le plus loin possible. Il ne faudrait pas que la marionnette se fasse attraper par le policier.

Ce petit vent annonçait aussi la glace que je prendrais ensuite. J’hésiterais plusieurs minutes avant de prendre finalement le même parfum que d’habitude, et le glacier ajouterait des vermicelles multicolores que je mangerais un par un pendant que ma glace coulerait le long de mon cornet, laissant une trace rose et des petits pépins de framboise entre mes doigts.

C’est un air chargé de souvenirs, celui des vacances en famille chez mes grands-parents au bord de la Méditerranée. L’air qui me rappelle papi, qui se levait à six heures le matin pour avoir la première baguette du boulanger. Il rentrait en nous disant, fier, « Regardez ! Elle est encore toute chaude ! »

C’est un air qui détend mes muscles. Il me fait regarder le monde avec le regard qu’ont les stars de cinéma lors d’un trajet en voiture, mélancoliques, les yeux rivés sur le paysage.

Comme tous les souvenirs doux que l’on essaie de faire revivre et auxquels on ne peut songer sans sourire, je peux presque le recréer en fermant les yeux. Lorsqu’au hasard d’une soirée d’été cet air caresse ma peau, je frissonne. Et il me vient soudainement l’envie de manger une glace.

L’enfance n’est pas un âge d’or. C’est une expression grossière : les enfants n’ont que faire de la valeur d’un métal. Non, l’enfance est l’âge de la confection des madeleines, ces « petits coquillages de pâtisserie, si grassement sensuels » que l’on pourra regoûter et déguster tout au long de la vie, avec ou sans vermicelles.

 

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