Pierre Lieutaud - Résident de passage dans un Ehpad sans histoire…

   

Le conte de Noël de Pierre Lieutaud pose une question théorique (et donc littéraire !) : la notion d’éternité est-elle compatible avec celle du vieillissement ?

  

  

Résident de passage dans un Ehpad sans histoire…

  

  

La direction est heureuse d’accueillir, pour un séjour temporaire, un nouveau résident dont le nom est Noël et qui se fait appeler familièrement  Père Noël.

Actuellement, monsieur Noël attend dans le hall d’entrée l’acceptation de son dossier, sous le regard bienveillant et attendri de la secrétaire.

Concernant le paiement de son séjour, il déclare au directeur que l’argent tombera du ciel et des recherches informatiques sont actuellement en cours pour trouver le chemin du ciel sur le module « Ressources diverses » du logiciel pluri-modulaire.

La visite médicale de pré-admission a mis en évidence qu’il s’agit d’un homme sans âge, en bonne forme physique apparente, ne présentant aucun signe de dénutrition, ni risque de chute (il déclare qu’il a bon pied et bon œil).

On note un état délirant modéré centré sur l’affirmation sans cesse répétée qu’il est le père de tous les enfants du monde. Il ne présente par ailleurs aucun trouble de la mémoire car il connaît effectivement par cœur les adresses de tous ces enfants. 

Sa venue est motivée par l’impossibilité de son maintien à domicile dans les nuages pendant l‘hiver où il vit seul habituellement et où il prétend construire des jouets nuit et jour pour faire face aux demandes qu’il reçoit sur son site ou par télépathie.

Dans le cadre de ses troubles du comportement, il exige l’autorisation de sortir tous les soirs de la résidence afin, dit-il, de faire son boulot, et il ajoute avec le sourire que si toutes les portes sont fermées, il sortira par la cheminée. Il est donc demandé au personnel de le surveiller tout particulièrement (il porte un bracelet d’identification au nom de Père Noël).

Concernant le régime alimentaire, il insiste sur les nuages de lait qu’on doit ajouter à son café.

Concernant ses préférences, il indique aimer les chansons, il cite « Mon beau sapin, roi des forêts », et il fredonne « Petit papa Noël » en faisant une œillade et en disant dans le cadre de son délire : c’est moi.

Il est instamment demandé aux membres du personnel d’éviter toute manifestation de raillerie, d’ironie ou de familiarité douteuse envers cet homme vulnérable au prétexte qu’ils ne sont plus des enfants, ce qui est bien regrettable et constituerait un acte de maltraitance obligatoirement inscrit sur le registre des évènements indésirables et aussitôt sanctionné par la direction.

  

  

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