Florence Deminati - Fracta sed invicta

    

Le lamento n’est que le dernier chant du monde ancien, avant que la vie ne triomphe enfin, ne triomphe à nouveau. Un chant d’espoir par Florence Deminati.

 

 

FRACTA SED INVICTA

 

J’entends gronder l’orage au loin, la pluie tombe, sournoisement, et vient ternir la couleur de mes sentiments. Du monde, je ne vois plus que des ombres. Je me sens seule, terriblement seule. Quand viendra la fin de ce long hiver ? J’ai passé ma vie à couper les liens qui me retenaient au fond de ma grotte et aller toujours plus haut vers la lumière pour me retrouver par la force des choses devant mon écran, seul lien avec le reste du monde. Tout ça pour ça… Quand viendra la fin de ce long hiver ? J’aimais follement la danse des lumières dans vos regards, vos sourires et vos pas dans les miens qui venaient ponctuer la valse des saisons. Vos mots, vos musiques et rires qui fusaient, votre légèreté, vos souffrances qui rythmaient notre quotidien. Aujourd’hui, comme un jour sans fin, je reste hagarde devant ma fenêtre déversant sa lumière bleue et blafarde. Mes sens me trahissent. Je ne sais plus pourquoi je dévorais la vie avec tant d’ardeur, ou était-ce elle, plutôt, qui me dévorait ?

Je ne sais plus. Je l’ai pourtant combattu, ce foutu virus, avec obstination, avec toute ma foi… mais je ne suis pas endurante. Chaque regard d’enfant ou de vieillard hagard, chaque rêve brisé éteint un peu plus ma flamme de vie. Elle vacille, je vacille… Mon royaume intérieur, avec son cortège d’espérance et de projets fous, est en berne. Rien pour le nourrir… Méritons-nous vraiment de vivre captifs ? À présent, plus de quête, plus d’espérance, plus de rêves, plus de prières. Juste de la désolation. Le navire craque et hurle et nous attendons la lente descente, paralysés et pantois. Le silence s’installe, les odeurs s’estompent. J’assiste, impuissante, à la lente agonie du monde, de l’amour et de l’imaginaire, des arts et de ceux qui le portent, et je pleure. Cette souffrance n’est pas mienne mais elle le devient. Je suis lourde des souffrances et des peurs qui m’entourent. Je voudrais tellement, même un instant, retrouver l’insouciance et la liberté, voler tel un goéland au-dessus des protocoles et des incertitudes, au-delà des nuages et de la pluie, des interdits, des gestes-barrière et des frustrations, des angoisses et des idées reçues.

Puisse cette traversée du désert augurer des jours meilleurs. Pour cela, je nourris secrètement cette petite graine que je laisse germer au fond de ma carcasse et de mes ténèbres, nourrie de mes colères et de mes espérances. Je veux retrouver la légèreté de nos partages, je veux retrouver la liberté. Je hais les naufrages sans panache.

Le navire sombre et nos graines errent tels des noix de coco sur les flots tourmentés de la mélancolie et de la désespérance. Elles sont porteuses de tous nos rêves et nos espoirs. Au gré du vent et du hasard, elles rejoindront un jour la terre ferme où leur semence libérée de leur écrin viendra fertiliser les terres brûlées et asséchées pour réinventer la vie. Une autre vie, d’autres rêves et espérances sur les ruines de l’Ancien monde qui se meurt. Alors, ils peuvent piller, brûler, ruiner ce monde décadent, ils ne pourront empêcher nos graines de voguer en silence vers l’horizon d’un nouveau monde fraternel que nous appelons de toute la force de nos âmes meurtries, mais toujours vivantes, comme la promesse d’une aube nouvelle où tout pourra se réinventer.

 

Florence Deminati, le 14 février 2021

   

  

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