Cartographies. Acte III - John

 

Après le crash, John retrouve un amour perdu… [à suivre !]

  

Jeu d’écriture à plusieurs et en ribambelles, Cartographies est un nouveau projet du Nouveau Décaméron. Il s’apparente aux fameux cadavres exquis des surréalistes, chaque auteur reprenant la plume posée par le ou les précédents.

À jouer le jeu, il y a eu Anne-Laurence Guillemet, Chantal Fournel, Patricia Meunier, Gérard Maynadié, Yves Rebouillat.

Attention : À  la fin, chaque lecteur pourra devenir à son tour auteur et proposer une fin ! 

  

 

Acte III - John

  

Quant à John, il la salua, une main sur la poitrine : « Je suis heureux de vous retrouver ! »

Il est revenu.

D’une certaine façon, je ne suis pas surprise. On s’était rencontrés de la manière la plus simple qui soit, pouce levé au bord de la route et son vieux cab fut, à partir de cet instant, le meilleur moyen de rompre avec cette vie qui ne me convenait plus. Tout quitter et partir sans autre but que de me laisser aller. La ville avait fini son travail de sape sur moi et je n’aspirais qu’à respirer ! Tout de suite j’avais adhéré à son accent anglophone, son sourire avait fait le reste.

Nos projets étaient les mêmes puisque nous n’en avions pas. Un luxe assurément.

Sans même en parler, ni même évoquer le sujet, nous avions pris tours et détours au gré de ce que nous dictait le volant de sa vieille guimbarde. Nous traversions des paysages qui nous laissaient le temps de les découvrir. Au fait… moi c’est John et toi ? Rien de bien original… Iris, née au printemps of course !

Rapidement le soir nous installions sa vieille canadienne au bord d’un ruisseau et passions des heures à discuter de tout mais surtout de rien ! Surtout pas de nos vies et de ce qui nous avait amenés à ne pas nous retourner. Il y avait hier et nous étions aujourd’hui, nous ne pensions même pas au lendemain.

Combien de temps avons-nous erré ainsi par monts et par vaux ? Je ne me souviens même plus tellement la notion du temps avait complètement disparu de nos préoccupations. La montre molle de nos vies s’était liquéfiée. Et je dois bien avouer que c’était délectable. Quand nous avons découvert Le Village, nous fûmes à peine surpris…. Une ZAD ? Un lieu sectaire ? Une projection hors du temps ? Des extra-terrestres ? Quelle importance ? Les habitants étaient souriants, accueillants, chaleureux et adeptes d’une philosophie de vie qui nous allait bien !

On y est restés tout naturellement et notre approche de l’environnement au quotidien s’en trouva sublimée. Rapidement nous adoptâmes leurs tenues simples et efficaces pour ce que nous réalisions. Les amitiés se nouèrent et je m’y retrouvais bien. Une sorte de plénitude et de bien-être m’enveloppait. Habitats simples et fonctionnels, hygiène de vie parfaite, proximité totale avec la terre. J’ai ressenti le besoin d’y rester, d’y vivre sans me poser de question. Quant à John, après l’euphorie de la découverte, son intérêt s’émoussa et son désir de bouger gagna la bataille des questionnements. Je ne sais ce qu’il avait laissé derrière lui mais ça a fini par lui manquer. Un matin son sac réintégra le coffre du vieux cab, il y avait repris jean et tee-shirt abandonnés pendant plusieurs mois. Je n’étais même pas triste, juste certaine que son départ ne marquait que la fin d’un chapitre, rien de plus.

 

Pas de vieille bagnole cette fois, juste lui, à pied, accompagné d’une femme. Le récit de leur aventure m’amusa et j’ai eu aussitôt envie d’en savoir plus. Petite réunion impromptue autour d’un en-cas bien apprécié par nos visiteurs. Le hasard – le hasard vraiment ? – avait conduit ses pas à nouveau ici. L’orage qui avait causé leur atterrissage forcé avait été pour nous une bénédiction, notre terre réclamait l’eau salvatrice. John et Anna avaient visiblement besoin de notre aide pour retrouver leurs compagnons. Une équipe s’organisa rapidement avec du matériel et de quoi nourrir l’équipage en pseudo-perdition.

Des points d’interrogation dans les yeux, Anna pleine de retenue, n’osa rien formuler qui risquait de briser le charme. Je dois bien avouer que ça me convenait ainsi, parfois il faut laisser une part au mystère, s’en imprégner, juste le prendre pour ce qu’il est. Pourquoi toujours tout expliquer ?

Les rescapés de l’orage n’étaient pas bien loin, juste frigorifiés et désireux de se "remettre en selle" afin de reprendre l’aventure là où la météo en avait décidé autrement. Habitués à gérer, à s’adapter à toutes les situations même les plus improbables, notre groupe de villageois aguerris fut d’une efficacité totale.

C’est avec de grands sourires, soulagés et impatients, que la fine équipe de l’air put reprendre son envol. Bras levés, au-revoir tonitruants, mercis à la clef, leur aérostat reprit de l’altitude et ils disparurent rapidement de l’autre côté de la colline.

 

Te voici reparti John l’anglais, tes nouveaux amis désireux d’aventures ne vont pas s’ennuyer avec toi, j’en suis certaine. Tu laisses ton amie Iris à son jardin, à ses amis, à sa vie de quiétude et de simplicité, sans état d’âme, sûr que tu es de sa sérénité. J’avais retrouvé l’espace de quelques heures ces échanges d’un autre monde et ça m’avait ravie.

Ma micro société, pour l’instant, me suffisait, me comblait même, mais revoir John en jean délavé et tee-shirt publicitaire avait eu sur moi plus d’effet que je ne l’aurais imaginé. Non pas de la nostalgie, juste un brin de mélancolie en retrouvant le rire de ses yeux.

Rentrant au bercail, je pris bien garde de me faire légère, légère, légère… pour ne point dévaster de mes petits pieds cette flore de fin de printemps qui ponctuait l’herbe tendre. L’odeur du tapis vert fraîchement arrosé ou le numéro 5, mon choix était fait !

Je découvrais subitement que John me manquait. Mille amis ne peuvent en remplacer un seul. Son émerveillement constant, sa spontanéité, sa curiosité, il est d’évidence un homme selon mon cœur. Il est parfois des gens qui nous sont indispensables mais on ne le sait pas toujours.

Nul doute que les passagers de son engin le découvriront à leur tour. Que le vent les emmène !

Il me reste quelques rangs de haricots à semer, les tomates à attacher, de la salade à ramasser. La terre est juste humide comme il le faut, odorante et noire. À chaque fois que je la travaille, je mesure ce qu’elle me promet de trésors. Elle me noircit les ongles mais je m’en moque, elle sait que je suis son alliée. Elle et moi nous sommes copines, et comme toutes les copines on se fait des cadeaux. Je lui offre les perles translucides de mon front, les graines savamment semées en prenant bien soin de les laisser toute une nuit dans l’eau (histoire qu’elles germent plus facilement) le temps dont j’ai oublié le rythme. Elle attend tout cela, un prélude à la mélodie qu’elle me réserve, moderato puis allegro, tout le plaisir qu’elle déversera en pleins paniers.

Lors du marché hebdomadaire, l’abondance sera le mot le plus adapté, assurément !

 

[à suivre en cliquant ici]

  

  

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