Cartographies. Entracte – La table renversée

 

Il est temps de reprendre son souffle et remettre quelques idées en place. Un entracte sert aussi à cela.  [à suivre !]

   

Jeu d’écriture à plusieurs et en ribambelles, Cartographies est un nouveau projet du Nouveau Décaméron. Il s’apparente aux fameux cadavres exquis des surréalistes, chaque auteur reprenant la plume posée par le ou les précédents.

À jouer le jeu, il y a eu Anne-Laurence Guillemet, Chantal Fournel, Patricia Meunier, Gérard Maynadié, Yves Rebouillat.

Attention : À  la fin, chaque lecteur pourra devenir à son tour auteur et proposer une fin ! 

 

Entracte

La table renversée

 

« Alors, comment as-tu fait ? Raconte-moi.

- Hé, j’ai envoyé les huit premières pages à Antoine, comme Émilie, sa secrétaire, me l’avait suggéré et, tiens-toi bien, trois jours après il m’a envoyé un SMS me proposant un rendez-vous ce matin à 10h30 !

- Oula ! Raconte ! Vite !

- Ben, comme à son habitude, il a tourné autour du pot un bon quart d’heure, le temps nécessaire pour une "mise à jour", bilan et perspectives du monde actuel… ! Tu le connais ! Et puis, il se dandine sur son fauteuil et me demande si j’ai lu Le tendre narrateur d’Olga Tokarczuk…

- La Nobel polack ?

- Oui, et si, accessoirement, c’est son mot, je connais Claude-Edmonde Magny et si j’ai lu le petit bouquin qu’elle a écrit à Semprun ! J’avais lu, les deux, coup de bol. Mais du coup, j’ai entendu s’aiguiser les couteaux !

- C’est quoi ? Le thème ? Le style ? La longueur ? Tu lui as quand même parlé de la fin et du cheminement ?

- Tu parles ! D’emblée il me demande si j’ai que ça à foutre, d’écrire des niaiseries foutraques à la Jules Verne mâtinées de Coelho… Que, c’est quoi cet espèce de dirigeable qui se comporte comme une montgolfière ? Ces couples frappadingues et cette allusion épaisse au "plus grand demi de l’histoire du rugby ! Au plus grand joueur, tout simplement, de tous les temps !". J’étais sûr qu’il allait bicher ! Je te passe une heure de remontrances, l’homélie habituelle… Et il me dit : "Si tu continues, me fais pas moisir. Fous la gomme et raconte ! Sinon, basta, c’est bon pour Harlequin, ton truc !". Et il me sert sa citation favorite…

- "Nul ne peut écrire s’il n’a le cœur pur, s’il n’est assez dépris de soi." C’est ça ?... Tu le connais, te formalise pas…

- Sûr ! Je l’attendais mais plutôt à la fin, sur le pas de la porte comme il aime le faire. Donc, tu en veux en voilà, je lui ai débobiné le plan sans entrer dans des détails qui lui tomberont dessus s’il lit jusqu’au bout le manuscrit terminé, je lui ai fait un topo elliptique de la psychologie des personnages, je lui ai dit que Wilkinson c’était pour lui, que c’était huit pages, peut-être même pas le début… Et-pas-plus !

- Bon. Et il n’a rien dit pendant au moins trois minutes…

- Exact ! Pour le chauffer encore un peu, et le tester malgré tout, je lui ai proposé d’envoyer le manuscrit chez Flammarion en demandant un bandeau avec une phrase de Coelho… Il a roumégué en se grattant la tête des deux mains et il a embrayé sur des conseils d’éditeur. Il est bon pour ça…

- C’est pas si mal comme réception surtout que, lui fourguer ces huit pages "brutes", reconnais que c’est un peu gonflé !

- Oui. Vultueux, comme il aime dire… Donc, il m’a dit ce que j’avais déjà entendu cent fois : J’ai pas de pré-requis, je te fais confiance, attention aux "on", demande-toi sans arrêt "pourquoi ci, pourquoi ça", conceptualise, me fais pas chier avec un devoir de philo ou avec des saugrenuités à la Ailier !... Etc, etc…

- Il l’a pas digéré, celui-là.

- Ouais. Faut dire qu’il en a encore pas loin de 1000 sur les bras, mais, bon. J’étais pas venu pour me disputer une de fois de plus avec lui à propos de ce bouquin. Et, en tout cas, j’ai compris qu’il faisait sa trogne des grands jours mais qu’il était curieux d’en savoir un peu plus.

- Tu lui as pas dit que j’avais fourré ma plume là dedans, au moins ?

- Non, ça viendra quand il aura bien mordu au machin mais, je sais pas pourquoi, j’ai l’impression qu’il se doute de quelque chose. Il m’a vaguement parlé d’un gars qu’il avait rencontré, qui expérimentait des trucs, dans l’écrit, d’ailleurs à ce propos il m’a filé un texte, une page, de ce type qui serait parue sur un site, en Corse je crois, que j’ai lu en vitesse dans le train et c’est pas mal du tout. Pas fiction, plutôt introspection-philo, le truc qu’il ne kiffe pas a priori, sur l’exil et qui brasse pas mal de choses, des Stones à l’appartenance, l’Histoire, la littérature… Une sorte d’approche "cartographiante" qui n’est pas sans rappeler les préoccupations d’Arthur & Anna…

Je sais plus ce que je voulais dire… Oui, ce gars travaillerait sur un projet d’écriture collectif. Tu sais, un peu comme les suisses de l’AJAR et leur roman Vivre près des tilleuls. Il m’en a parlé comme s’il voulait me mettre sur une piste…

- En attendant de tes nouvelles, ici il pleut quasiment sans arrêt alors depuis hier j’ai repris le texte et j’ai listé toutes les "anomalies", les incohérences, les longueurs inutiles et les fautes, orthographe, conjugaison et syntaxe. Ça m’a fait pensé à Antoine quand il déblatère comme un frénétique sur "la littérature à l’os" ! Quelle horreur, cette expression ! J’ai entendu l’autre jour à la radio Jacques Weber qui fulminait contre ce tic et revendiquait le gras en littérature. Génial !

- Tu as toujours un peu de bois pour ta cheminée et un ou deux bouteilles de Château Bournonville ? On pourrait discuter de tout ça…  J’ai oublié de te dire que, dans la conversation, citation pour citation, je lui ai rappelé, en partant, ce que disait Olga dans son discours de réception du Nobel en 2018. "Je me félicite de ce que la littérature ait magnifiquement conservé son droit aux bizarreries, aux fantasmagories, aux provocations, au grotesque ou à la folie."

Et bien, il a rigolé et il m’a tapé sur l’épaule en me traitant de sacré emmerdeur ! J’ai pris ça, de sa part, pour un compliment !...

 

|à suivre en cliquant ici]

  

 

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