Paul-Antoine Colombani -  Dernière lettre de Liège / La veillée des arrière-mondes

  

Ulysse voyage encore et toujours. Depuis Liège, Paul-Antoine Colombani nous envoie sa lettre.

 

 

Dernière lettre de Liège 

La veillée des arrière-mondes

 

  

Ma main lâche le petit cheval de bois, de la grotte accoudée à la montagne j’aperçois toutes les nervures, les veines de granit quand mon sang se fige. Il joue à la mesure de la pierre. Pénélope, au-loin-des-monts-aqueux, ne te résous à rien sauf à vivre. En la guerre bat le sursaut du thumos, les chamades de l’œil qui se ferme plein de l’agitation des autres. Nous ne mourrons pas, nous nous essoufflons, toute une nuit durant.  

De retour aux atomes, rien ne défile devant mon regard, sauf cette tempête qui empêche les lendemains de brûler, mon cœur de rougir à tes lèvres. Je fus l’homme l’intempéré, et les arrière-mondes tremblent de le voir triompher de la placidité de l’être. Regarde la pierre, celle friable dans mon poing, toujours-là dans un interstice du réel. Réduite à néant elle résiste encore. 

Je suis humain dans la guerre, à la mort qui m’emporte jusqu’aux traits noirs du soleil. Il pleut, ici, des âmes humides ; ci-gît le ciel bordé dans ma main. 

Pénélope, sans tes yeux je ne vieillis plus, ils meurent avant ma peau, ils se ferment tandis que mes doigts serrent le pain. Eh bien, il faut remplacer la lame brisée par la fourche, et au printemps nouveau réclamer une terre plus friable. Essaimes-en ton nom, fille de Périboea, car dans l’Océan marqueté je suis l’homme sans souvenir ; je suis l’heure morte.

Souviens-toi la fragilité des arrière-mondes ; il suffit d’un vent debout pour les pousser plus loin, et des idées qui germent dans ce néant plein de contes, en faire des devenir. Il faut chanter pour que les montagnes paraissent flotter ; il faut chanter Pénélope, des monts aqueux jusqu’aux rivages de l’être endormi ; il faut chanter Pénélope, la voix du monde et la création humaine ; il faut chanter Pénélope, aux rythmes géographiques des collines et des ruines. 

Creuse jusqu’aux gencives retournées, 

Tu dois trouer la chair et dépoussiérer l’émail, cherche l’apex enseveli. 

De tes mains plongent aux couronnes de la terre, 

De ces corps portés au triomphe d’une vie. 

« Restez à la pierre ». 

 

Le chant d’Ulysse s’éteint dans les larmes du fils manqué. Descendant de Hermès, nous n’oublierons pas ce que nous devons à tes vers malins ; nous nous souviendrons du chant d’Ulysse. La tristesse est notre chemin mais, sache-le, tu ne meurs en vain. Tu as donné un feu aux mots ; vogue à l’âme. Et moi, fille de Zeus, née en rugissant, je te le dis enfant des poètes : va maintenant ; reste à la pierre.

 

 

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