- Le Nouveau Décaméron
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Dominique Taddei exhume la mémoire de prisonniers corses de son canton durant la Seconde guerre mondiale. Évadés, blessés, courageux, jamais oubliés.
Prisonniers de guerre fiumorbacci
Peu de personnes connaissent aujourd’hui Catastaghju situé au-dessus de San Gavinu di Fium’Orbu ; pourtant dans les années 30, cet endroit connut une intense activité de la filière bois et nombreux avaient été les bûcherons venus de toute l’Europe pour y travailler.
La forêt du Fium’Orbu est immense et le domaine agricole de la FORTEF était dirigé à cette époque par un génie, M. Ducreux de Bellavalle, qui avait mis en place son exploitation selon les méthodes les plus modernes.
Il est facile de s’en rendre compte en visionnant les vidéos réalisées en 1930 par British Pathé cinéma. Mais au-delà de l’extraordinaire spectacle des billes de bois dévalant la montagne pendues à un téléphérique, ces images me font penser à l’histoire extraordinaire vécue par deux Corses partis combattre dans le nord de la France en 1940.
Bûcherons travaillant le bois dans la forêt de Catastaghju en 1930
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Lisandru Defendini, comme de nombreux Corses, était parti comme volontaire pour défendre la patrie, pensant comme beaucoup d’autres que cette guerre allait être très courte. Le moral était très bon et tous, comme le Général Weygand, se disaient : « Qu’est-ce qu’on va leur mettre !!! »
Comme vous le savez ce fut la débâcle et pour nombre de civils l’exode. Un désastre !
Nombreux furent les Corses faits prisonniers et qui furent envoyés dans les camps de prisonniers en Allemagne.
Lisandru connut le même malheureux sort, mais son histoire fut toute particulière. Refusant la captivité, il réussit à s’évader en compagnie d’un de ses amis de San Gavinu di Fiumorbu, Dédé Achilli. Ils traversèrent une partie du Tyrol à pied, mais s’étant perdus et arrivés au bord du Lac de Constance, ils tentèrent de se jeter à l’eau pour ne pas se faire attraper. Malheureusement pour eux, un policier les avait aperçus et ils furent à nouveau capturés.
Les policiers allemands les firent entrer dans une auberge pour qu’ils puissent se sécher avant de les remettre aux autorités militaires. Lisandru et Dédé n’espéraient qu’une chose, celle de ne pas être remis à la Gestapo ou aux « SS ». Avec eux, ils n’auraient plus eu aucune chance de s’en sortir vivants.
Un des policiers interrogea alors Lisandru : « Toi, Französisch? »
- Ya Corsica ! », répondit-il.
Le policier sursauta : « Corsica ! Corsica ! Moi bûcheron Catastaghju ! San Gavinu di Fiumorbu ! »
Lisandru lui répondit : « Nous du Fiumorbu aussi ! »
Le gars le prit alors par le bras et leur dit : « Schnell ! Schnell ! Raus ! Raus ! Kurs ! Kurs ! »
Ces mots n’étaient pas difficiles à comprendre ! Et c’est ainsi qu’ils se retrouvèrent dehors à fuir de nouveau. Cet homme venait de leur sauver la vie.
Je pensais à tort qu’ils avaient pu rejoindre la Corse, mais sa fille Marie-Ange m’a raconté la suite de leur évasion : rattrapés une seconde fois ils furent envoyés à Rawa-Ruska en Pologne. Ce camp était aussi réservé aux prisonniers qui avaient tenté de s’évader, il avait été baptisé « Le camp de la goutte d’eau » car il n’y avait qu’un seul robinet d’eau pour 15000 prisonniers.
Lisandru à Prunelli di Fiumorbu (M.A Defendini)
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Dédé Achilli : Le 25 août a lieu à Sangavinu di Fiumorbu la fête de la Saint Louis. Dédé Achilli tenait un bar situé à côté de la petite piste de danse. Nous y allions souvent et je voyais Dédé boitillant mais je ne m’étais jamais posé la question de savoir cette infirmité. En fait, la fille de Lisandru, Anne-Marie Defendini, m’a raconté que Dédé marchant dans la neige avait eu les pieds gelés et qu’on avait dû l’amputer.
Lors de ma recherche sur les aviateurs américains présents en Corse durant la Seconde guerre mondiale, je trouvai un témoignage de jeunes GI’s qui parlaient avec délectation des brioches et du café de Madame Achilli de San Gavinu (là se trouvait le centre de repos des aviateurs américains du 428th BS de Ghisonaccia).
San Gavinu di Fium’Orbu en 1944 (Brian Shear)
Désirant obtenir une photo de Dédé Achilli, je pris contact avec sa petite-fille, Laetitia Bertone, qui travaillait à Migliacciaru. Ella me confia un portrait de son grand-père, mais je voulais en savoir un peu plus sur cette famille de San Gavinu.
Al Opick, du 428th BS de Ghisonaccia, avait notamment décrit la salle à manger de Madame Achilli et évoqué la maquette du croiseur « Maroc » de l’oncle Roger, placée au-dessus de la cheminée. Comme il y avait aussi un piano, les jeunes GI’s avaient demandé aux deux jeunes filles de la maison, Marguerite et Marie-Jeanne, de leur chanter des chansons américaines. Ils furent surpris lorsqu’elles entonnèrent South of the border de Gene Autry (1939).
Je demandai donc à Laetitia si elle était parente avec Roger, Marguerite et Marie-Jeanne.
Elle me répondit : « Oui les deux jeunes filles étaient mes grandes tantes, Roger mon grand-oncle et madame Achilli était ma belle-arrière-grand-mère ». Son arrière-grand-père, Julien Achilli, divorcé et père de Dédé, avait été élu maire à San Gavinu di Fiumorbu dans les années 40.
Dédé Achilli (Laeticia Bertone)
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Ignace Damiani, mon oncle, ne s’en était pas trop mal tiré, lui. On l’avait envoyé travailler dans une ferme dans la région de la Forêt noire, il nous racontait que cette famille était d’une extrême gentillesse. Il pouvait grâce à elle apporter de la nourriture à ses copains confinés dans le camp.
Libéré en 1945 et parlant couramment l’allemand, c’est lui qui était devenu le surveillant des prisonniers allemands travaillant pour la FORTEF de Migliacciaru juste après la guerre.
Parmi ces prisonniers allemands se trouvait un géant allemand, Karl, qui avait été international de foot en Allemagne. Il joua demi centre dans l’équipe locale que nous avions baptisée l’OM (Olympique de Migliacciaru). Les joueurs des équipes adverses étaient très impressionnés par sa taille et par son jeu. Quelle différence !
Ignace en Allemagne en 1943 Ignace à Migliacciaru en 1946 (Anne-Marie Chiodi)
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Toussaint Taddei, cousin-germain de mon grand-père Louis Carlotti, fut prisonnier dans un camp en Allemagne lui-aussi. Il avait vu arriver avec tous les autres prisonniers corses réunis dans le même camp, des officiers italiens fascistes qui proposaient la liberté aux Corses à condition de reconnaître le régime de Mussolini.
À l’annonce de ces conditions leur permettant d’être libéré et de rentrer en Corse, Toussaint était monté sur une table et avait entonné L’Ajaccienne : aux paroles « citoyens, frères, à genoux » tous les Corses s’étaient agenouillés. Les officiers allemands les avaient salués et les Italiens étaient partis la queue entre les jambes. .
Toussaint Taddei (Santu Taddei)
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Martinu Gelormini : Martinu faisait partie d’une section défendant un lieu de passage important, tous ses compagnons blessés avaient été évacués et, resté seul, il avait refusé d’abandonner son poste. Pendant deux jours et deux nuits, il était arrivé à bloquer une colonne ennemie. N’ayant plus de munitions, il dut se résoudre à abandonner la lutte.
Les Allemands en le capturant se mirent au garde-à-vous et lui présentèrent les armes. Il revint en Corse comme tous les autres à la fin de l’année 1945.
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