- Le Nouveau Décaméron
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Aux premières heures de l’été, petite fille éblouie par les étoiles et les feux, prends garde : les somptueuses gitanes et les sorcières aimantes ne font pas l’unanimité.... Un chant de l’enfance par Christiane Guidoni.
Le temps de la Saint-Jean
« Dans tout enfant il est une gitane » - Mahmoud Darwich
C’est l’été le jour on va à la rivière on tresse des fleurs en couronnes dans les cheveux l’herbe sent si fort on rit on éternue les branches du figuier sont peaux d’éléphant et on se balance comme enfants de rois superbes et oisifs le ventre repu de poires vertes volées aux espaliers on se baigne en culotte dans le lavoir on s’éclabousse on crie on glisse dans l’odeur laiteuse du savon de Marseille et du linge battu
C’est l’été la nuit quelque chose brille dans la nuit dans la nuit noire de nuit la lune fait briller l’eau les buissons les yeux les boucles de cheveux le cœur la peau brûlent des désirs inconnus de la rosée de lune Jean le bleu dessine au ciel un grand serpent d’étoiles tu sortiras quand tu seras grande dans la nuit interdite
Petite fille amie des lucioles je me rêvais gitane au jupon coquelicot et sandales dorées jaillissant par-dessus les flammes mais on sait bien qu’à trop s’en approcher le feu brûle.
Dans la ville balcons hauts
Si étroits aux chevilles et pieds nus talons cambrés
Le visage penché dans le vent un goût d’écume sur les lèvres
Dans la ville la plainte marine
On l’entend le vent qui ramène la poussière des sables les premières étincelles les étoiles tombées les arbres affolés répandent la nouvelle les gitans ne sont plus des oiseaux il le dit leur chant lourd de peine et les gitanes quand elles arquent leurs bras ne s’envolent plus les corps encerclent l’espace les mains lancent des éclairs dans la nuit liquide la lune pierre blanche posée sur un nuage laisse une trace ronde
C’est le temps des bûchers la sorcière connaît la musique sorcière et l’odeur de la peur dans les chemins de l’aube seule avec son lourd fardeau d’herbes à miraculer à aimer à guérir à naître à mourir l’odeur forte de sa peur l’odeur de sa peau gibier sous les jupons amoncelés ferait surgir les chiens mais le loup ami veille et avec lui hiboux chouettes crapauds et corbeaux elle court sans trébucher son cœur cogne les sentiers mènent à la clairière
Quand elle arrive les chevaux dorment tournesols sentinelles sur tapis vert et coqs rutilants la gitane aveugle l’attend regard blanc naufragé posé ailleurs là où triomphe la terre vermeille sous un ciel serein elle se tient dans l’entre-temps dans sa main la petite plume rouge ou plume de verre ou plume de paon celle qui désigne la demeure la fin de l’errance et qui disparaît un matin incandescent dans l’eau noire de la mare quand il faut partir
Fièvre d’enfance loin là-bas loin la nuit palpite
Ailes repliées des oiseaux veillent des mains s’éprennent on entend des rires
Volé aux dieux rendu à la terre le feu danse en flammes folles la belle colère des insurgés
Espoirs et blessures secrets oubliés douleur et joie d’un même élan
Dans l’air rouge la terre et le feu s’épousent le ciel se souvient
Une voix chante rumeur d’eau vive et mémoire du vent la lune passe Icare est tombé
L’oiseau de feu déploie ses ailes
Petite fille ivre de sommeil j’attends le jour
Christiane Guidoni 10 juin 2020