[ Écrire pour JP Santini ] Xavier Casanova – Interrogatoire

   

Jean-Pierre Santini, l’écrivain-éditeur est emprisonné depuis le 10 octobre sous le régime de la détention « préventive ». Contre l’arbitraire et pour servir de chambre d’écho à l’émotion partagée par de très nombreux auteurs de Corse ou d’ailleurs, Le Nouveau Décaméron ouvre ses colonnes.

   

  

L’interrogatoire

  

— Oui ! Sur le shop, j’ai commandé les chaussettes du bandit.

— Non ! Pour offrir. Moi, c’est du 38-42 et j’ai pris du 39-45.

— Pour qui ? Pour mon père.

— Pourquoi ? Il a de grands pieds, mais pas que… En chaussettes, il fait du 39-45 et il a fait 39-45. Ça ne s’invente pas.

— Mon grand-père ? Il a fait 14-18. Mais, primo, il est mort. Secondo, sa guerre à lui c’est pas dans les tailles de chaussettes, si vous voyez ce que je veux dire.

— Pas de souci. Je sais que vous n’êtes pas ici pour rigoler. Moi non plus.

— Non ! Je vous l’ai déjà dit. Je ne sais pas pourquoi vous m’avez coffré.

— Oui ! Sur le shop, j’ai bien commandé les chaussettes du bandit.

— Pourquoi ? Pour son anniversaire, pardi. Celui de mon père.

— Oui ! Il est né un 14 juillet.

— Non ! Ça me dérange pas. Ça m’amuse. D’autres aussi…

— Non ! Sa mère ne l’a pas appelé Fêtnat. L’ha chjamatu Pasquale.

— Pardon ! Elle l’a appelé Pascal.

— Non ! Pas de sous-entendus. C’était l’aîné. C’était un garçon. Le prénom de son grand-père lui revenait d’office, et basta !

— Bien sûr ! Elle savait ce qu’est le 14 juillet. Et alors ? Le prénom, ça se décide bien avant. Après, c’est pile ou face : Pasquale ou Anghjulumaria…

— Revenir aux fait ? Si vous voulez.

— Oui ! Sur le shop, j’ai bien commandé les chaussettes du bandit.

— Oui ! Après, j’ai téléphoné à plein de monde.

— Oui ! Des complices. On s’arrange entre nous pour qu’il n’y en ait pas deux qui fassent le même gag.

— Oui ! Chacun a fait le sien.

— Des exemples ? Orsulamaria, c’était une petite boîte à musique God save the queen…

— Et alors ? Pendant la guerre, il était parti à Londres, et elle lui avait déjà fait Big Ben. Il adore.

— Oui ! Un 14 juillet, aussi. Son anniversaire.

— Oui ! Sur le shop, j’ai bien commandé les chaussettes du bandit.

— Non ! C’est pas des chaussettes en poil de chèvre !

— En quoi ? Je sais pas. C’est comme des chaussettes de tennis.

— Non ! Passer de ça aux Meindl Perfekt pour crapahuter la nuit, c’est un peu du délire.

— Non ! Ce que je veux dire, c’est que c’est des chaussettes pour touristes. Hier, c’était le cendrier souvenir de Corse. Maintenant, c’est bandit partout. Le mug bandit pour infusion aux herbes du maquis, la coque bandit pour customiser son Smartphone, et je vous en passe… Ça le fait encore rire. À 99 ans.

— Non ! Je vous dit que c’est un gag.

— Oui ! Je commence à m’énerver.

— Oui ! Sur le shop, j’ai bien commandé les chaussettes du bandit.

— Non ! Je suis pas touriste et mon père encore moins…

— Soit ! Mais je vois vraiment pas le rapport avec l’état d’urgence.

— Ah ! On a arrêté de faire de la pédagogie ? Bonne nouvelle, merci. On n’entend plus que ça. En boucle. À toutes les sauces…

— Oui ! J’ai quelque chose à ajouter. U versu chì mi venne in capu :

Di a Republica ne anu fattu un puzzicheghju.

Arrestati sò tutti quelli chì si tuppanu u nasu.

— Non ! C’est intraduisible. Pire, c’est même inaudible.

— Non ! Rien à ajouter.

— Ben voyons ! Et de quoi il va trancher, le juge ?

Xavier Casanova, 5/11/2020

  

  

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