Par-delà le mal - Robert Colonna d’Istria

L’homme confiné de Robert Colonna d’Istria, en Candide moderne, regarde le monde autour de lui… celui d’avant aussi. Que sera celui de demain ?

  

  

Par-delà le mal

  

Une des questions du moment – thème favoris des bavardages, sujet des forums organisés par les media – était de savoir si la crise déboucherait sur un monde meilleur. Si le « monde d’après », selon l’expression consacrée, serait régénéré, moins stressant, moins polluant, plus humain. Si du mal pourrait sortir un bien. Tout le monde l’espérait. Chacun avait l’impression d’un moment exceptionnel, peut-être d’un tournant de l’histoire, une de ces dates qui pour les siècles des siècles jalonneraient le cours du temps. Et chacun avait son opinion, en général dictée par ses intérêts – ce que les Anglais appelaient le wishfull thinking, manière d’accorder ses pensées à ses désirs.

Sans doute n’échappait-il pas à cette manière gratifiante d’analyser le monde. Quand on lui demandait de quoi demain serait fait, il ne dissimulait pas son embarras, assurait que personne n’était en mesure de faire la moindre prévision, mais mobilisait une série de considérations, essentiellement historiques, qui l’aidaient à y voir clair. Son analyse était moins le fruit de raisonnements savants, objectifs, rationnels que l’expression de sa très ancienne manière d’appréhender l’univers, de sa sensibilité innée, de ses marottes, de ses aversions, de ses aspirations parfois secrètes, de son âme, aurait-on dit autrefois. Comme si la crise du Grand Confinement était enfin l’instant qu’il attendait. Le moment qui allait mettre l’histoire en accord avec son être le plus intime.

 

  1. / Dans son esprit, il s’estimait un peu paysan, intellectuellement resté au stade de l’artisanat. Même s’il en connaissait l’existence, et en utilisait les produits, il n’avait pas la première idée de ce qu’était l’industrie, de ce qu’elle était vraiment, de ses ressorts. Elle constituait pour lui un monde étranger. À la rigueur séduisant, et même fascinant, quand elle permettait d’enjamber les océans, d’explorer l’infiniment grand ou l’infiniment petit, mais totalement extérieur à son univers intime : ce monde, au sens propre, ne lui disait rien. Ne lui apportait aucune information à laquelle il eût été sensible. Il lui était aussi étranger que l’univers d’une peuplade vivant en marge à l’autre bout de la terre, avec ses croyances, ses pratiques, son vocabulaire, sa perception des astres et des autres.

Il estimait – point de vue de saurien – en être encore resté, dans l’arrière-boutique de son cerveau, aux repères d’une société rurale, peu ou prou organisée selon les ordres de l’ancien régime, noblesse, clergé, tiers-état – même si noblesse et clergé n’existaient pratiquement plus depuis des lustres, et si depuis ce temps tout le monde était devenu le tiers-état et si ce tiers-état était parfois devenu riche, voire très riche. Tout cela était évidemment terminé, il n’en avait pas la moindre nostalgie. Pas la moindre nostalgie non plus du latin, par exemple, devenue « langue morte », que plus personne ne parlait, mais qui constituait pourtant le soubassement, la carcasse de la langue qu’il employait tous les jours : sans ce squelette, sa langue se serait affaissée. Le latin n’existait plus, mais était là… Il aurait pu dire la même chose de la religion catholique : plus grand monde ne la pratiquait, mais elle continuait de demeurer, soubassement de la morale, principe de beaucoup d’institutions sociales.

Il avait conscience d’appartenir à un monde pour lequel avait compté l’organisation sociale disparue. Monde impécunieux, exposé aux aléas de la vie, aux maladies justement, aux crises de toutes sortes – acceptées avec fatalisme –, monde dans lequel l’existence n’avait jamais été simple, mais à taille humaine – donc plein aussi de tensions et rivalités. Respectueux de la nature, ce monde était protégé de la toute-puissance de l’argent – on y méprisait les riches – et protégé de la foi inébranlable en la science. On préférait tenir que courir. Monde pour ainsi dire inchangé pendant des siècles, de la Grèce antique jusqu’à la Révolution industrielle, qui se déplaçait au pas du cheval, se chauffait au feu de bois, s’éclairait à la bougie, et se nourrissait de produits savoureux. Monde disparu, probablement mythifié. Qu’il n’y avait certainement pas à regretter, mais qui avait tout de même donné naissance à une pensée et à une civilisation. Toutes les époques de l’histoire du monde, toutes les étapes de la technique ne pouvaient pas en dire autant.

Quand on lui demandait de quoi demain serait fait, sans doute quelques images rurales de cet ordre, virgiliennes, éclairaient-elles ses raisonnements – ses espérances.

 

  1. / Il se souvenait que lorsque Napoléon avait soufflé dans les bronches de Barbé-Marbois, ministre du Trésor, qui avait fait une sottise et s’en défendait en protestant de son honnêteté, l’empereur lui avait asséné cette vérité qu’il croyait éternelle : « Je préfèrerais cent fois que vous fussiez un voleur, la friponnerie a des bornes, la bêtise n’en a point. » Il se trompait. C’était un homme du monde ancien. Il avait peut-être raison en son temps, mais aujourd’hui ce n’était plus exact : la bêtise n’était toujours bornée par rien, mais les trente ou quarante dernières années venaient de montrer que la malhonnêteté pouvait également n’avoir pas de limite. Du moins que l’appétit d’argent pouvait ne pas en avoir. Que des personnes infiniment riches pouvaient avoir envie de le devenir encore davantage. Que des milliardaires en dollars – ou en euros ou en yens – pouvaient désirer doubler leur fortune. La tripler. La faire grossir infiniment. C’était absolument absurde – et prouvait que les limites de la malhonnêteté pouvaient rejoindre celles de la bêtise, effectivement infinies –, mais c’était le monde capitaliste du début du XXIe siècle. On avait découvert que l’appétit – ou la soif – d’argent pouvait être insatiable, et qu’il n’y avait aucune limite non plus aux moyens d’en obtenir.

La crise qui s’ouvrait avec la pandémie du nouveau coronavirus était peut-être celle de la démesure, de l’hybris, que toutes les générations, depuis les sages de la Grèce jusqu’à la révolution industrielle, s’étaient soigneusement employées à proscrire.

 

  1. / À la base du libéralisme économique, il y avait deux notions simples : l’esprit d’entreprise était le moteur du système, le marché son régulateur. Essentiellement bon, parce qu’il plaçait liberté et responsabilité au centre de l’organisation sociale, ce système avait été perverti pour ainsi dire depuis ses origines.

Il avait d’abord été dévoyé par une réalité très ancienne, apparue à la Renaissance, au moment où le capitalisme avait vu le jour, qui ne cessait de se développer, croître et embellir : le capitalisme n’était pas une affaire d’hommes. C’était une affaire de capitaux. C’est-à-dire que les principaux acteurs de la vie publique n’étaient plus des personnes, avec leurs qualités, leurs défauts, leurs fragilités, leurs forces, leurs faiblesses – et chez qui on devait effectivement pouvoir observer que l’honnêteté avait des limites, que la bêtise n’avait pas –, mais des sociétés. Cela avait commencé au XVIe siècle, quand il s’était agi d’armer des navires pour commercer avec l’autre bout du monde – ou l’autre bout de la Méditerranée –  : banquiers et armateurs avaient constitué des sociétés de capitaux, qui les rendaient infiniment plus efficaces, et qui les protégeaient, individuellement, des coups du sort ; en mutualisant leurs risques, ils ne craignaient plus grand-chose. Ils étaient pour ainsi dire gagnants à tous les coups. Dès sa naissance, le capitalisme apparut comme un système très malin, très efficace, mais amoral : les gains y étaient individuels, les pertes socialisées.

Depuis quelques décennies, le capitalisme avait été victime de dépravations qui l’avaient hypertrophié, et il avait été victime de son succès : grâce à lui, on n’avait jamais créé autant de richesses dans le monde. Leur répartition laissait évidemment à désirer, mais la masse de richesses matérielles créées était effectivement immense. Cela avait été permis par des réalités bien connues : globalisation (le monde était devenu un seul marché), mondialisation (plus de frontières pour les hommes ou les marchandises), dérégulation en tout et pour tout, suppression des obstacles douaniers, sans parler du trading haute fréquence (qui permettait de jouer en bourse avec la rapidité de l’éclair, et d’y gagner des sommes colossales), et sans parler de l’essor des paradis fiscaux (pour mettre à l’abri les profits dégagés par tout cela), etc. Le monde avait été transformé en un formidable casino.

Aujourd’hui les principaux acteurs économiques du monde étaient des entités anonymes, dirigées par des organes impersonnels, d’une puissance terrible, bien supérieure à celle des États, d’une très grande capacité de réaction, aux appétits et aux pouvoirs illimités. Nietzsche avait estimé que l’État était « le plus froid des monstres froids ». Lui aussi avait tort. Comme Napoléon, le pauvre était encore dans l’ancien monde. Monde dans lequel les individus – et non les entreprises – étaient au cœur de la société, dans lequel les réalités concrètes – et pas seulement les abstractions financières – avaient encore un semblant de consistance, de poids. Il existait un monstre encore plus monstrueux et encore plus froid que l’État : c’était le monde des fonds de pension, des fonds d’investissement, des sociétés qui, avec le marché mondial pour horizon, géraient des masses phénoménales de capitaux, et faisaient obéir les gouvernements. La finance, gigantesque, délirante, folle, menait le monde. On avait montré que les grandes entreprises n’agissaient pas autrement que les psychopathes : elles suivaient des buts en monomaniaques, avec un appétit insatiable, une absolue indifférence aux autres, à l’environnement, une totale insensibilité à la douleur faite à autrui, etc.

Ce système était-il aujourd’hui à bout de souffle, et la crise économique consécutive à la pandémie du covid était-elle en train de l’ébranler ? Ou bien était-elle, au contraire, de nature à le consolider ? Était-on, avec le capitalisme contemporain, mondialisé et financiarisé, en présence d’un gigantesque pantin artificiel, fragilisé par ses dimensions monstrueuses, prêt à se disloquer, ou bien d’un solide gaillard, tout puissant, plein de ressources, que ne sauraient arrêter les mini coups d’épingles d’un confinement de quelques semaines ? Il faudrait voir.

 

  1. / Le système économique menacé par la pandémie créait beaucoup de richesses, mais avait des faiblesses. Il était injuste. La terre n’avait jamais compté autant de riches très riches, la fortune des plus riches n’avait jamais dans l’histoire atteint pareils sommets, et la terre n’avait jamais porté autant de pauvres, de déclassés, d’inquiets, de personnes que le système économique fragilisait, à qui il imposait des vies difficiles, qu’il rendait malheureux. Les pays de l’OCDE, les plus riches, avaient un revenu par habitant 52 fois plus élevé que les pays les plus pauvres, différence qui allait en s’accentuant. Aux dernières nouvelles, vingt-six personnes possédaient autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité, soit 3,8 milliards de personnes ! À la mi-avril, Jeff Bezos, homme le plus riche du monde, avait – en partie grâce à la crise du coronavirus, qui avait favorisé les ventes d’Amazon dont il était le fondateur – avait vu sa fortune s’accroître de 22 milliards d’euros depuis le début de l’année ! Cela dépassait l’imagination. D’aucuns admettaient ce constat avec une philosophie résignée, rappelant qu’il y avait toujours eu des riches et des pauvres, et que depuis que le monde était monde les uns avaient toujours eu besoin des autres.

Indépendamment de leur aspect moral, ces injustices indécentes avaient de fortes conséquences sociales, et politiques. Les gens – parce qu’ils étaient malheureux – supportaient de moins en moins cette situation, et l’exprimaient en votant pour des formations ou des hommes politiques qui, élus pour apaiser les tensions, n’avaient souvent de cesse que d’en créer de nouvelles, pour détourner l’attention de ceux qui les avaient élus, dont ils ne parvenaient pas à faire cesser le malaise.

Les hommes politiques – de toutes nations et de tous bords – étaient devant un dilemme : soit ils continuaient comme avant, avec le prétexte que l’économie produisait beaucoup de richesses, qui finiraient par aider à résoudre les problèmes sociaux ; dans ce cas, ils continuaient à encourager la mondialisation de l’économie, à jurer par le libéralisme, la concurrence, et invitaient à travailler dur, consommer beaucoup, s’endetter. Soit, autre solution – c’était la voie trumpienne, et le projet de toutes les formations nationalistes de la terre –, ils tentaient de mettre un terme à la sarabande délirante de l’économie, et il leur fallait alors expliquer à leurs électeurs qu’ils devraient se contenter d’un niveau de revenu plus faible, de conditions de vie matérielles moins confortables, de produits plus coûteux – mais qu’ils auraient l’impression de maîtriser leur destin. C’était le choix des Anglais en quittant l’Union européenne. C’était compliqué.

Qu’en serait-il à la sortie de la crise ?

 

  1. / La crise du virus avait imposé à la terre entière un complet changement de paradigme : en tout et pour tout, il ne fallait plus travailler avec les autres, mais s’en méfier. La pandémie avait fait passer d’une société ouverte à une société fermée, chacun, chaque individu replié sur soi, chaque pays renfermé à l’intérieur de ses frontières ; l’autre était désormais suspect, dangereux ; tout ami pouvait devenir un ennemi… Quelles seraient les conséquences de tout cela ?

Allait-on après la crise se recroqueviller, rester confiné, ou continuer sur la voie d’une ouverture illimitée, en quête d’une mondialisation heureuse ? Qui pouvait le prédire ? Dans un cas, on continuerait d’aller vers des inégalités de plus en plus grandes, vers des richesses de plus en plus considérables, et des malheurs de moins en moins bien acceptés. Avec des aberrations, dont les taux d’intérêt négatifs ou les prix négatifs du pétrole donnaient une idée, qui exposaient le système, essentiellement malsain, à des crises destinées à l’emporter. Dans l’autre cas, il faudrait renoncer à la mondialisation à tout crin, faire prévaloir les intérêts nationaux, rester chacun chez soi, pour soi, et se satisfaire alors de revenus probablement plus faibles, de situations économiques plus médiocres, mais moins stressantes. Les pays riches pourraient voir leur niveau de vie – hypothèse parmi d’autres – s’établir à 80% de ce qu’il était avant l’épidémie de coronavirus. Il y aurait moins de grosses voitures, moins de vêtements, moins d’objets inutiles – moins de faux biens, comme disaient les sages de l’Antiquité –, on irait moins souvent au restaurant, on partirait moins souvent en vacances, moins longtemps et moins loin. Et après ? Les actionnaires des grandes entreprises verraient leurs revenus amputés de 20 %. Et après ? Si c’était le prix à payer pour avoir un peu moins d’injustices, un peu moins de malaise, un peu moins d’aigreurs ? Serait-ce véritablement un scandale ? Quel groupe humain serait en mesure de faire un tel choix ?

 

  1. / Le système économique occidental était si efficace que partout où il avait pointé le bout de son museau, il avait provoqué la désintégration des sociétés traditionnelles. Le phénomène avait d’abord été expérimenté dans les provinces européennes. Puis, entre les XIXe et XXe siècles, s’était propagé sur les cinq continents, comme une maladie contagieuse. Épaulé par la science – elle aussi occidentale –, il avait littéralement ruiné les savoirs, parfois d’une richesse et d’une subtilité inouïes, que ces sociétés traditionnelles portaient en elles. Il lui était même arrivé, ici et là, d’exterminer les populations…

Cela pour dire que le système n’était pas très subtil, mais qu’il était puissant et peu scrupuleux quand il s’agissait de l’environnement naturel. Il pillait allègrement la terre et la polluait beaucoup. D’une certaine façon, animé par la soif de profit et l’appétit des entrepreneurs, ce système était un barbare. Ce qui était amusant si on songeait qu’il s’abritait derrière le faux nez de la civilisation ! On aurait pu écrire – et on avait écrit – des livres entiers sur la somme des désastres que le système économique mondialisé avait provoqués. C’était atroce.

Chaque année en France, 48 000 personnes mouraient ainsi à cause de la pollution de l’air. Morts qui n’avaient jamais mobilisé, les malheureux, autant d’énergie, autant de recherche scientifique, autant de crédits publics, que les morts – infiniment moins nombreux – tués par le covid. Comparaison n’est évidemment pas raison. Mais imagine-t-on un discours du chef de l’État invitant les gens à cesser de polluer ? « Mes chers compatriotes. 48.000 d’entre nous, chaque année, sont ravis à l’affection des leurs pour avoir respiré trop de particules fines, un air trop pollué. Des enfants, des personnes âgées, des hommes, des femmes. À la ville, à la campagne. Partout. Ce chiffre est indigne d’un pays développé. Je décrète l’état d’urgence sanitaire pour lutter contre cette pandémie de pollution de l’air. La cause n’est pas seulement française ou européenne, mais planétaire : 8 millions de morts chaque année dans le monde. C’est devenu inacceptable. La semaine prochaine, le monde se mettra à l’arrêt. Etc. Vive l’air pur !  Vive la France ! »

Et les morts sur les routes ? Chaque année, 1, 3 millions de personnes s’y tuaient dans le monde – sans parler des blessés, des estropiés, condamnés à vie à la chaise roulante – : mais on continuait à encourager l’industrie automobile – au demeurant polluante –, à laisser fabriquer des véhicules marchant à tombeau ouvert, à laisser circuler des clous dangereux, à admettre que toute la société continue à être ordonnée autour de cet engin du siècle dernier !

Et les pesticides ? Et les herbicides ? Et la pollution sonore ? Et la destruction de la faune et de la flore ? Et la production de gaz à effet de serre ? Et la fonte des glaciers ?

Par rapport au « monde d’après », ces interrogations étaient les plus inquiètes, les plus tangibles, les plus pressantes. Nombreux étaient ceux qui établissaient un lien entre l’apparition du nouveau coronavirus et les excès du système économique. Si on pouvait se fier aux premières investigations, la fameuse petite bestiole vivait dans les forêts primaires, où depuis des milliers d’années elle fichait une paix royale à l’humanité. Par cupidité, on était allé exploiter ces forêts, et, en plus de quelques millions d’unités monétaires, on en avait, via des chauves-souris et des pangolins, rapporté ce coronavirus qui avait mis le monde à l’arrêt. Beaucoup y avaient vu un signe du ciel, un avertissement, pour inviter les hommes à être un peu plus respectueux de leur environnement naturel, un peu moins cupides.  

Un jour changerait-on de système ? Les gens avaient eu peur, et s’étaient sentis coupables : il pourrait y avoir une petite chance de les voir réagir. Mais les puissants, qu’en pensaient-ils ? Les riches très riches ? Les cadres de la société ? Qui était prêt à voir la nature prise en compte, comme cela avait été le cas jusqu’à la révolution industrielle, préservée ? Leonard de Vinci aimait à dire, paraît-il, à propos de la nature : « Tout est là ». Qui pourrait jamais remettre ce principe au centre de nos vies, non pour tenir la nature comme une espèce de divinité vengeresse, qu’il faudrait écrire avec une majuscule – Mère nature, Terre Mère, Pachamama, ou quoi que ce soit de cet ordre –, divinité qui ne devrait nous inspirer que de la révérence et de la crainte, dont nous dépendrions, à qui nous serions subordonnés, qui pourrait nous nuire si nous ne la respections pas – cela serait un point de vue assez sectaire, et sot –, mais, comme un modèle de beauté, d’harmonie – bien souvent –, de complexité, qui invite à la modestie, à la prise en compte des autres, de plus fort que soi, qui invite à respecter le cycle des saisons, et à s’en inspirer, qui invite à méditer sur les différents éléments de la nature qui dépendent les uns des autres, se tiennent et se soutiennent les uns les autres – racines, troncs, rameaux, feuilles… – , petits et grands qui ont besoin les uns des autres ? Nature qui inspirerait par sa diversité, et par l’adaptation de chaque espèce à son milieu : il n’y a pas de baobabs au pôle nord, pourquoi y aurait-il des patinoires à Dubaï ?

Sous son toit, cerné par les éléments, il assurait qu’il était plat de tenir la nature pour l’ensemble des éléments extérieurs à l’espèce humaine. Cette opinion prévalait, intellectuellement, depuis le siècle des Lumières et la révolution industrielle ; elle avait construit l’univers mental de l’homme moderne : depuis ce temps, servi par la science, l’Homme se sentait tout-puissant. Lui, sur sa terrasse, estimait au contraire – c’était le point de vue d’autrefois, le point de vue des sauriens – que l’Homme faisait partie de la nature, qu’il en était une espèce au milieu des autres, et que s’il avait, par rapport aux autres espèces, des pouvoirs et des qualités intéressantes – qu’il aurait été vain et idiot de nier, et de ne pas exploiter –, il avait également le devoir de pactiser avec le reste de la création. Sous peine, effectivement, de voir la nature se venger, par toute une série de catastrophes qui pourraient l’accabler – et dont le nouveau coronavirus – qu’il se fût échappé d’une forêt primaire ou d’un laboratoire, ou qu’il fût la conséquence du réchauffement du climat, on verrait – pourrait n’être qu’un signe avant-coureur…

 

  1. / Alors, l’avenir, qu’en pensait-il ? Il avait écrit :

« La crise avait été si surprenante, si forte, que beaucoup s’étaient pris à espérer des changements radicaux. Une transformation complète de l’existence, de fond en comble. À en rêver. Et si le grand soir était là ? Si était advenu le moment de passer à autre chose ? À un autre système ? Un autre monde ? Pourquoi pas ? Pour aller où ?

 

« En fait, qui voulait changer le monde ? L’humanité n’avait jamais été aussi profondément marquée par les divisions. Chaque société, chaque nation était fracturée. La crise du virus y avait accentué les lignes de partage qui la traversaient, jusqu’à leur donner une dimension anthropologique : de part et d’autre des failles apparues dans chaque société, on trouvait non seulement des individus, mais des espèces humaines différentes. Personnes et groupes n’avaient pas tous été affectés de la même façon par la maladie, par ses conséquences, par les mesures prises pour les réparer. On rejouait Les Animaux malades de la peste : selon que vous serez puissant ou misérable… Jamais différences entre les hommes n’avaient à ce point été marquées, et jamais elles n’avaient été aussi peu prévues, pensées, organisées. Jamais on n’en avait aussi peu mesuré les conséquences. Les sociétés occidentales vivaient dans l’illusion de l’égalité, au moins d’une égalité de droits entre les hommes : les moins favorisés étaient en train de réaliser que ce n’était qu’un mensonge…

« Pour l’instant les gens – ceux qui se sentaient déclassés, qui redoutaient de perdre emploi et revenus – protestaient « gentiment ». Par exemple contre les cafouillages. Par exemple à propos des masques : fallait-il en porter ? Y en avait-il suffisamment ? Où s’en procurer ? Où les rendre obligatoires ? Les ministres ne savaient plus où ils en étaient. La plus totale imprécision régnait. Elle régnait aussi à propos des règles à appliquer après le confinement : qu’est-ce qui serait possible ? Interdit ? Quelles activités seraient les premières autorisées, remises en route ? Les écoles seraient-elles obligatoires ? Ça pataugeait savamment – non sans s’abriter derrière les « scientifiques », qui ne manquaient d’ailleurs pas de s’opposer, de se contredire, voire de se déchirer entre eux… Délices de la bureaucratie.

« Les protestations étaient moqueuses, mais aimables. Quand il faudrait dresser un bilan économique et social – forcément lourd –, ces accès d’humeur ne se changeraient-ils pas en mouvements sociaux de grande ampleur ? Personne ne le savait. Tout était possible. Y compris des affrontements durs sur les valeurs – les projets de société, comme on disait –, avec des antagonismes irréductibles. Que voulait-on pour le monde de demain ? Rien n’indiquait que sur cet aspect central on s’approchait de réponses consensuelles. Rien n’indiquait que la question serait aimablement débattue entre gens de bonne compagnie, comme dans un couple on discute par exemple du choix de sa prochaine destination de vacances…

 

« Le capitalisme néo-libéral pourrait-il disparaître, victime de la crise du Grand Confinement ? Cette question brûlait les lèvres de tous ceux qui l’estimaient pénible, injuste, violent, cruel – et plat. De tous ceux qui désiraient sa disparition. De ceux qui avaient apprécié le recul de la pollution et le silence quand le monde s’était arrêté, et qui avaient toujours jugé barbare ce système tenu pour une panacée. Et s’il disparaissait, il serait remplacé par quoi ? C’était passionnant.

« Était-il raisonnable pour tenter de sauver le système d’engager des centaines de milliers de milliards de dollars ? Ou bien n’était-ce que du délire ? Un remède pire que le mal ? Cela relevait-il de la nécessité ou bien de l’obstination ? Ou de la malhonnêteté pure ? De la friponnerie organisée ?

 

« Les dégâts causés, avant la pandémie, par le système économique aux sociétés et à l’environnement auraient dû alerter : la crise qui menaçait le monde était gigantesque. Les transformations qu’elle allait y apporter pourraient être à cette mesure. Il était malheureusement à redouter, comme le suggéraient quelques Cassandre – y compris au gouvernement –, que des changements s’effectuassent en pire – repli sur soi, systèmes policiers, contrôle accentué des individus, dureté de la compétition internationale, accentuation de la pauvreté, famines, épidémies, etc.

 

« Le point le plus intéressant – ou le plus préoccupant, comme on voudra – était que pouvait bien se jouer là, dans ce gigantesque chambardement, l’avenir de la démocratie. C’est-à-dire la norme du monde développé depuis deux siècles. Ni plus ni moins. La démocratie n’était pas une construction politique, juridique, flottant dans l’air, sans bases : elle était la fille du libéralisme économique, du capitalisme. Que pourrait-il se passer si, trébuchant, le capitalisme allait jusqu’à se casser définitivement la figure ? N’y avait-il pas à redouter la survenue de systèmes autoritaires, policiers qui pourraient se donner la double légitimité d’apporter à la fois une réponse à la crise sanitaire et à la crise politique ? Bouclage des frontières, confinement des populations, couvre-feu, état d’urgence, traçage des individus : les outils étaient déjà en place…

« “Le pire n’est jamais décevant“, assurait un de mes amis, esthète amateur de désastres, qui voyait dans l’espérance de la fin du monde la promesse d’une solution à tous les problèmes qu’il n’avait jamais pu résoudre… Patience.

 

 « La vraie question, pour l’avenir, était simple – du moins simple à formuler – : quelle vie voulions-nous ? Quelle vie voulions-nous individuellement et collectivement ? Voulions-nous des économies et des pays et des États toujours de plus en plus rentables, performants, prêts à la compétition internationale ? Ou bien des pays paisibles, agréables à vivre, bons à respirer ? Que voulions-nous ? Que pouvions-nous ?

 

« Pour tenter d’entrevoir de quoi demain serait fait – et s’il serait éventuellement meilleur qu’hier – peut-être fallait-il se demander comment et pourquoi nous en étions arrivés là. Remonter aux causes, pour y remédier. Que nous était-il arrivé ? Que signifiait cette crise virale, sanitaire, économique, politique, sociale ? Quelles étaient ses origines ? Tant qu’on n’aurait pas répondu à cette question – difficile –, toute projection dans l’avenir serait vaine.

« Paradoxalement, parce que presse et réseaux sociaux étaient saturés d’informations sur la pandémie, le virus, sur les difficultés économiques, sur les mesures prises pour réparer tout cela, paradoxalement, on était mal renseigné sur la crise. On était témoin d’un drame immense, qui se jouait sous nos yeux, qui mettait en cause l’existence de milliards d’individus, qui nous concernait au premier chef, mais auquel on ne comprenait pas grand-chose.

« D’où venait le virus ? D’une forêt sauvage ? D’un laboratoire ? Avait-il été intentionnellement lâché dans la nature ? Était-il apparu à la suite de trafics, ou bien du fait de transformations de l’écosystème à cause du réchauffement climatique ? On ne savait pas bien.

« Quelle était sa nature réelle ? Était-on en présence d’un virus durablement installé dans la population, qui allait obliger à une vie compliquée pendant des mois et des années ? Ou bien s’agissait-il d’un animalcule destiné à disparaître, voire à disparaître périodiquement, comme certains virus de la grippe, qui s’absentaient pendant l’été ? Fallait-il redouter une nouvelle épidémie ? Nul n’en savait rien.

« Le virus pouvait-il muter ? Devenir inoffensif ? Très méchant ? Être encore plus contagieux ? Pourrait-on s’en prémunir avec un vaccin ? Les laboratoires tournaient à plein rendement, mais nul n’en savait rien.

« Et le confinement, qui avait été la réponse au virus, comment allait-il prendre fin – s’il était appelé à se terminer un jour ? Comment allait-il être possible de remettre en route la machine économique et sociale ? Nul n’en savait rien.

« Quelles seraient les réponses politiques, économiques, financières, nationales, européennes, mondiales, à la crise économique et à la crise sociale ? Quels seraient les effets de la pandémie sur les rivalités politiques, internes et internationales, préexistantes ? C’était difficile à dire. Personne n’en savait rien.

«  Connaîtrait-on le monde d’avant en pire ? Ou bien autre chose ?

 

« Beaucoup avaient l’espoir d’une économie et d’une société transformées, régénérées par la crise. Mais personne n’aurait exactement su dire ce qui était attendu, ce qui aurait pu arriver, ce qui était à faire. Les experts tentaient de compter les pots cassés, mais personne ne savait exactement ce qui allait se produire. Comment, à la fin des événements, les gens se comporteraient-ils ? Les acteurs économiques ? Voudraient-ils redémarrer sur les chapeaux de roue ? Seraient-ils prudents ? Les gens voudraient-ils profiter de cet accident pour repartir d’un autre pas ? Personne n’en savait rien. Personne n’était en mesure d’apprécier les effets politiques et sociaux de la crise économique. Qui en sortirait vainqueur ? Les tenants d’une gouvernance du monde mondialisée, d’une économie limitée par rien allaient-ils continuer à tenir le haut du pavé, comme ils triomphaient depuis trente ans ? Ou bien allait-on leur préférer ceux qui auraient aimé introduire – réintroduire – des barrières nationales, des normes écologiques, juridiques, un peu de morale, en somme, et de bon sens face à l’impitoyable loi du marché ?

 

« Le confinement – un temps, un très court temps – avait vu disparaître l’esprit de compétition, qui rythmait et avait envahi le monde. Il avait vu s’effacer l’hybris contemporaine, l’appétit illimité de revenus, de profits, de consommation, de produits chers, toujours plus chers, qui est peut-être l’âme, en tout cas la conséquence, du capitalisme débridé, c’est-à-dire du capitalisme qui a supprimé toutes les barrières que l’histoire et les hommes lui avaient opposées, frontières, règles de morale, décence… Le capitalisme financiarisé, mondialisé, c’était le triomphe de l’appétit illimité de puissance sur tout le reste, le bon goût, la mesure, la justice, la beauté, la dignité de chacun… Quelques semaines – quelques petites semaines –, il avait été mis entre parenthèses. Beaucoup en avaient été heureux.

« C’est cela qu’on aurait aimé voir réformé. Et au-delà de l’économie, ce qu’on aimerait voir disparaître : le stress, le bruit, la compétition permanente, la quête abrutissante de rentabilité en tout et pour tout, le gigantisme, le carriérisme, la vie changée en “course du rat“, comme on s’en moquait dans les années 1970. Les urbains réfugiés à la campagne avaient pu apprécier les charmes du bon air, les vertus du silence, l’agrément de logements spacieux, sans parler de la possibilité de continuer à travailler à distance…

 

« Que faire ?

« Il y avait deux attitudes stériles. Premièrement, vouloir en revenir à la situation antérieure ; c’était impossible, et sans intérêt. Deuxièmement, désigner un coupable, et s’en tenir, de manière incantatoire, à cette désignation. Le capitalisme néo-libéral, mondialisé et financiarisé – appelons-le comme on voudra – était un bouc-émissaire idéal. Et après ? Confier à un sauveur providentiel, à un despote, le soin de son élimination ? Pourquoi pas ? Cela semblait difficile, aléatoire. Et dangereux.

« Que faire ? L’attitude utile aurait été, en théorie, de profiter du grand dérangement apporté à l’ordre ancien pour réfléchir. La grande crise actuelle avait aussi pour cause un défaut de la pensée ; intellectuels, philosophes, penseurs, étaient absents depuis trop longtemps, employés à faire de la communication, à pérorer ; c’était idiot… Utiliser la crise pour réfléchir, imaginer, créer, et définir un monde neuf, des valeurs différentes de celles qui étaient en train de s’effondrer. Un rêve…

« En réalité au grand cafouillage de la gestion de la crise, était en train de répondre un grand désordre d’idées jetées pêle-mêle dans le débat : retour de l’Etat-Providence, fermeture des frontières, relocalisations, démondialisation, small is beautiful… On rêvait entraide mutuelle, retour aux circuits de distribution courts, artisanat, petits producteurs. On croyait à l’économie et à la solidarité de proximité. On voulait abandonner la foi immodérée dans la croissance économique, la rentabilité à tout crin, la libre concurrence… On dénonçait les injustices, les bassesses, les saloperies. On rêvait.

« En attendant, entreprises ou particuliers, petits, gros, rêveurs, réalistes, amis d’hier, prévoyants de l’avenir, en attendant, tout le monde tendait sa sébile en espérant quelques miettes de la manne inépuisable de l’argent public.

« Il était à craindre que la réflexion sur l’avenir de la société ne fût noyée sous la masse des mesures prises dans l’urgence pour régler la crise sanitaire, ou prévenir les dégâts affolants de la crise économique. Payons d’abord, nous réfléchirons ensuite…

« Sous une pluie de milliards – qui en bonne logique auraient dû annoncer une inflation à toute épreuve, donc la ruine des populations –, c’était un sauve-qui-peut général. Cafouillage. »

   

  1. / Il se disait qu’une ère vraiment nouvelle commencerait quand les gens, tous les gens – lui le premier –, les riches et les pauvres, les puissants, les décideurs, les industriels et les consommateurs, les citoyens, changeraient vraiment, au fond d’eux, dans leur âme et dans leur cœur. Il se disait aussi que, virus ou pas, milliers de faillites et millions de chômeurs ou pas, la partie n’était pas forcément gagnée…

Qui – quels inciviques ? – jetait dans les caniveaux et sur les trottoirs des villes les gants en latex utilisés pour se protéger du virus ? Ceux qui voulaient un changement de monde, ou les autres ?

Qui, quelle organisation patronale, avait écrit au ministre de l’Écologie, avec l’excellent prétexte de faire redémarrer l’économie, pour lui demander d’abolir toute réglementation en matière de protection de l’environnement ? Ces gens hors-sol étaient-ils des tenants du monde nouveau ou bien d’inlassables défenseurs de l’ancien ? Il était vrai qu’il n’avait jamais rien compris au monde de l’industrie…

Et ces aides publiques, généreusement promises aux grandes entreprises – en particulier automobiles – sans être le moins du monde assorties de quelque incitation – ou de quelque injonction – à s’engager dans une voie nouvelle, moins polluante, plus économe en gaz carbonique, plus respectueuse de l’environnement naturel, relevaient-elles du monde d’hier ou de celui de demain ?

Et l’impréparation brouillonne de l’administration, aussi bien à la crise – la race des Gamelin semblait loin de s’éteindre – qu’à la sortie du confinement, où tout un chacun semblait empêtré dans ses contradictions, son indécision, des querelles de bas-étage, tout cela annonçait-il une ère nouvelle ? Ou bien une indécrottable tendance à perpétuer ce qui avait existé ? Cela promettait-il une administration et une bureaucratie fringantes, d’où auraient été bannies toute irresponsabilité et toute impunité ? Rien n’était sûr.

   

  1. / La crise avait introduit dans tous les domaines une immense incertitude. Ce qui, sur le plan intellectuel, était vraiment d’une étonnante nouveauté. Forgé par l’esprit scientifique et par la conviction de la toute-puissance de la science, le monde moderne se distinguait en effet par la prétention d’avoir éliminé toute incertitude, de tout maîtriser, contrôler, de tout dominer. La crise faisait renouer avec l’aléatoire, l’imprévisible, l’immaîtrisable… Dans aucun domaine, on n’était plus sûr de rien. C’était une rupture ontologique avec le monde d’avant. Rupture bien supérieure à celle des drames des milliers de morts du covid, ou aux désagréments de la perte de quelques points de croissance. Personne n’avait la moindre idée de ce qu’il en serait demain. À observer, le phénomène était prodigieux.

L’histoire ne devrait pas continuer comme avant : c’était très probable. Le cours du temps connaîtrait une rupture : c’était vraisemblable. Vers où, à quel rythme, comment allions-nous nous remettre en marche ? Personne ne pouvait encore le dire, car tout, avant que la machine ne retrouve une vitesse de croisière, tout, le pire – un effondrement du système, des tensions insolubles, l’émergence de violences civiles, des guerres, n’importe quoi –, tout pouvait encore survenir. De l’avenir, moins que jamais, personne ne savait rien.

L’incertitude a priori déroutante, désorientante, inquiétante, comporte une grande sagesse : elle permet une meilleure ouverture d’esprit ; le doute est en tout infiniment plus fertile que la certitude, il laisse place à l’imagination, à l’invention, à la création… C’était là, sans doute, que résidait le principal bénéfice de la crise du Grand Confinement : une meilleure souplesse d’esprit.

Après la crise, peut-être les hommes auraient-ils, mutatis mutandis, à faire l’expérience des émigrés. Quitter – symboliquement – leur terre natale. Peut-être – ce serait une épreuve exaltante – leur faudrait-il rompre – toujours symboliquement – avec leurs ancêtres, avec leur pays, c’est-à-dire avec le confort de repères sûrs, de certitudes. Peut-être leur faudrait-il parler une langue nouvelle – une langue, c’est-à-dire l’expression d’une pensée –, leur faudrait-il du moins faire référence à d’autres valeurs que celles prévalant dans le monde antérieur, qu’ils auront quitté. L’humanité entière, et chaque groupe humain pourrait devoir avancer sur un terrain inconnu. À tâtons. Et là rebâtir sa vie. Une vie nouvelle, et s’efforcer, pour en tracer les grandes lignes, de tirer une expérience de la crise qui venait de secouer le monde. Il faudrait organiser nos existences, nos sociétés, nos nations, le monde selon des critères complètement différents que ceux qu’on avait connus et pratiqués. Lesquels ? Toujours la même réponse : personne n’en savait rien…

  

  

Pour lire les autres textes de l'auteur :

   L'homme confiné

    Des contrées nouvelles

    En étrange pays

 

    

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