Christine Murat offre un poème marin… effluves, profondeurs, mystères…
La mer à boire
Nous voilà terrés à la même enseigne
De murs soyeux ; élidés,
Comme une pierre jetée dans un jardin
Dépayse sa demeure.
Je m’écrie d’outre-fer,
D’une autre paire de Manche,
L’île par-dessus les bords
Réponds-moi, bougre de vivant.
De qui es-tu le frère ?
Les uns, les quelques, pétris de coquille, grondaient déjà :
- Quand va-t-on mettre le monde au monde ?
- Comment savoir l’âge de la mer ?
- En la coupant en deux, en versant la sève qui nous fait bon-dire.
- Mais que faire du corps ?
- Dans quel sens coule-t-elle ? Et jusqu’où ?
- Que font les poissons quand ils ne nagent pas ?
- ils frottent des pierres
- ils envoient des lettres en hurlant dans le noir
- Et puis plus rien ne pousse ! Mais pousser quoi ?
Alors on commença par l’entendre,
Dans les recoins de nos palais
Depuis longtemps claquemurés, on avait perdu le goût et l’odeur.
Comme une lueur qui devance la lumière, comme son parfum,
Elle montait en nous, la mer
Dans le corps de notre âme,
Une sève à deux voix, entonnée.
L’eau, toutes les eaux,
Bouclées, frisant les murs
Claque-blotties,
Penchées sur nous.
Il s’en est suivi
Des échasses et des pilotis pour écarter les combles.
Nous avons tracé des cercles sacrés,
Pour les fugitifs, les écarter,
Séparer le bleu de la mer.
Mais la profondeur rendait sans cesse un peu d’ombre
Sauveuses ou sauvages ?
Les vagues gonflaient et bruissaient.
Nous avions perdu le goût et l’odeur, mais la vie monte et descend.
Nous sommes entrés dans l’eau, accroupis, lui raconter son histoire.
Moirés comme une danse, comme une anse,
À colporter des archipels.
Les vieillards et les enfants furent les premiers
-Les uns plongent, les autres s’allongent-
La mer c’était nous
Cet alangui qui fait du pêcheur le poisson
Qui ne détruit pas la peur
Cette nage qui résiste et cède à la fois
Au lieu d’ériger et de dresser
Ce jeu courbe des corps qui recueillent l’écume
Et l’écume est leur plus bel édifice
Fait de grands gestes inutiles.
Au courage de ne pas être de taille
À la force de se battre
La parole de l’eau a enfoui les lisières,
A élu domicile.
Tout ce qui nous manque nous l’avons déjà,
Sans savoir si ça ira.
Reclus du temps,
La mousse à nos pieds,
On entre-bâille, on s’écrie en dedans :
« C’que tu es noire », « C’que tu es belle »,
Une île à boire
célèbre l’ombre et le secret.
Plonger dans le flot de ce qui vit et meurt,
À mi-chemin,
Ici surgit,
Là tombe,
Loge.
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