Christiane Guidoni, par delà la mer, envoie les mots de l’éternel retour, à l’île, à la langue perdue, à la terre… à ceux qui y reposent.
Là-bas
Quand on quitte la terre on quitte la maison et la langue
Quand on quitte la terre quand l’amarre se détache on quitte la maison et la langue
Quand on quitte la terre on brûle la maison on s’arrache la langue
J’ai hérité de la perte et je l’ai faite mienne.
Toutes les voiles crissent du sable dans les oreilles j’entends si mal.
Je t’ai posé si peu de questions.
Je t’ai manqué. Voilà. Maintenant je veille à la frontière du froid.
Je te vois lavant le pont à bord de l’Alsina c’est le nom du bateau sur le livret d’embarquement.
Dix-sept ans lèvres gercées. Tu n’avais pas de colère.
Tu riais avec les oiseaux oui nous irons à Valparaiso.
Le père devint un autre il oublia la fougère
mais chaque matin quand il se rasait c’est dans sa langue qu’il chantait.
La Corse on l’a dans le cœur on parle bien le français on s’applique très bien
et puis on parle corse nous on parle corse
on dit comme ça « una rosa hè una rosa hè una rosa ».
La lettre commençait ainsi : « Tu dois peut-être penser que jamais je ne m’inquiète de toi… ».
Soudain les mots se mettent à pousser comme une herbe sauvage qui s’enracine entre les pierres recouvre le sol menace les canalisations franchit les clôtures grimpe le long de murs se glisse sous les tuiles bouche les gouttières étouffe la cheminée.
Alors il se fait tard pour la mère au balcon qui attend.
Rien ne calme la douleur d’être
et la nostalgie inscrite dans la pierre est le meilleur des répits.
On croit parfois au rêve d’enfance mais l’enfance vraie fut sans rêve.
À la fin le village encercle la vie et retient ses morts espiègles revenus à la terre
à la mer au ciel d’ici qu’ils portaient dans l’ignorance de l’exil.
Le marin ne doit pas revenir
Le jardinier ne doit pas partir
Un cimetière est aussi un jardin
Il n’y a pour histoire que ce manque à l’endroit de la langue à l’envers du temps
sous la gangue des mots épelant l’absence à l’origine de la voix appelant le nom
qui dit je sans trêve dans la nuit qui s’écrit neige primevère saisons
les vagues feuillètent le livre jusqu’à ce que le jour se lève avec le soleil
Encore
« Elle est retrouvée.
Quoi ?_ L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil »
A.Rimbaud
Toulon, le 15 avril 2020
Christiane Guidoni
Pour lire un autre texte de Christiane Guidoni : L'île silence
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