- LND 2024 - mars
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Anne Benedetti brosse un portrait plein d’amour de son père, héros du quotidien, héros d’une enfance douce et choyée.
Mon père, ce héros…
La figure paternelle est inspirante pour les enfants que nous avons été, et encore plus quand la relation a été belle.
J’ai eu cette chance, car même si je me suis quelquefois opposée à mon père à l’adolescence, il est, sans conteste, un des grands amours de ma vie.
Comment vous le raconter en quelques mots justes, et au plus près de la réalité…
Très séduisant à la manière d’un Louis Jourdan à qui on l’a souvent comparé, mon père était aussi un modèle d’élégance.
Jeune homme, ses costumes étaient faits sur mesure par le tailleur, et il avait gardé de cette époque le goût des vêtements bien coupés et de la toilette.
Je l’ai rarement vu sans cravate, et pas une seule fois en jean. Il portait des tennis seulement quand il faisait du sport – ce qui n’était pas très fréquent.
Pour lui, une tenue décontractée, c’était un pantalon au pli impeccable, un polo et des mocassins souples.
Il avait une voix chaude et vibrante, et quand il poussait la chansonnette dans les réunions familiales, avec un certain talent, j’étais au paradis et fière comme Artaban. Son répertoire était composé de Ti tengu cara, J’avais 20 ans ou Ciuciarella, ainsi que Firenze sogna, une chanson en italien qu’il connaissait par cœur.
Né tardivement dans le foyer de mes grands-parents qui avaient enterré avant lui trois enfants en bas âge, Papa est arrivé alors que ma minnana avait déjà 42 ans, et que son seul enfant survivant comptait 15 printemps.
Autant dire que ce petit prince, que personne n’espérait plus, fut adoré et honteusement gâté par les siens. Ma grand-mère l’a allaité jusqu’à ses 4 ans !
Il grandit au village dans la maison familiale composée du « haut » et du « bas » – comprendre le rez-de-chaussée et l’étage.
Papa naviguait entre les deux étages et passait des caresses de sa maman Innocente à celle de sa tante maternelle Thérèse, car les deux sœurs, ma grand-mère et ma grand-tante, avaient épousé deux frères, mon grand-père Antoine-Marie et mon grand-oncle Jean-Baptiste.
Chacune vivait à son étage avec son époux, ses enfants, mais aussi avec leur beau-frère célibataire à l’étage de Thérèse, ce dernier faisant de la politique.
Peut-on imaginer liens plus intimes et esprit de famille plus développé que dans cette tribu ?
Les cousins étaient deux fois germains par leurs mères et par leurs pères, et Innocente et Thérèse se plaisaient à dire que leurs enfants étaient presque frères et sœurs.
Tout ce petit monde coexistait en parfaite harmonie dans la maison familiale qui battait d’un seul cœur et où la vie coulait au fil des joies et des peines, ce qui semble à peine concevable aujourd’hui, où l’individualisme est roi, et où l’on supporte à peine la cohabitation avec son conjoint et son propre enfant unique, comme l’a montré la crise du covid.
Papa allait à l’école du village où l’institutrice Madeleine qui vit défiler des générations de petits villageois avait une classe unique.
Il se disputait régulièrement la première place de la classe avec deux petits camarades de son âge.
Plus tard, il poursuivit des études au lycée Fesch d’Ajaccio, avant de partir au service militaire en Algérie – qui était encore la France – où il devait rencontrer Nanie, ma mère, qui aura été, plus de soixante ans durant, l’amour de sa vie.
Les fées s’étaient sans doute penchées sur son berceau, car au-delà des inévitables pertes et chagrins qui jalonnent une existence, jusqu’à ses 82 ans, âge auquel Maman nous quitta pour toujours, sa vie fut belle et plutôt douce. Non pas comme un lac immobile, mais comme une mer du Sud parfois agitée, mais où le soleil après les tempêtes finissait toujours par briller de nouveau.
Est-ce parce qu’il reçut beaucoup d’amour dans son enfance, ou qu’il était né un 14 février, il savait merveilleusement aimer.
Sa femme, ses trois enfants – j’étais la benjamine – et la famille élargie ont été, avec la chose politique qui le passionnait, la grande affaire de sa vie.
Parfait autodidacte comme le XXe siècle savait en produire, c’était aussi un bâtisseur et un amoureux de la pierre. Il entreprit et bâtit.
Profondément imprégné par son histoire familiale et maillon d’une longue chaîne de traditions qu’il perpétua tout naturellement, ce fut également le roi de la transmission.
Bien sûr, il avait des travers : il était coléreux – ses colères étaient vives – et pas toujours facile à vivre. Maman disait de lui qu’il était patient comme un chat qui s’étrangle.
Il était aussi excessivement sensible à la réputation, la sienne, la nôtre et nous rebattait les oreilles avec cette valeur qui peut paraître aujourd’hui désuète.
Et la plupart du temps, il manquait totalement d’autodérision.
Mais à côté de ça, il faisait partie de ces êtres qui ont de l’humour sans le savoir, et qui amusent sans le vouloir par un sens du verbe qui fait mouche et un comique inné et involontaire.
Extraordinairement chaleureux, au sens figuré mais aussi au sens propre – ses mains, qu’il avait belles et soignées, étaient les plus chaudes du monde –, il était adoré par mes copines, pour qui il avait toujours un mot gentil ou une attention.
Et la gent féminine dans son ensemble – qu’il regardait peu, tout absorbé qu’il était par sa chère Nanie – était sensible à son charme et ses bonnes manières.
Cela ne l’empêchait pas pour autant d’être apprécié des hommes qui percevaient en lui le bon gars, bien intentionné et respectueux de tous. Sa gentillesse et sa courtoisie étaient légendaires, et le sont restées jusqu’à la fin de sa vie.
Tel était mon père, dont j’ai conscience d’avoir brossé d’une traite et au fil d’une plume aimante, un portrait flatteur, et je vous entends déjà dire qu’il n’est sans doute pas très objectif…
Certes, mais je n’ai pas une virgule à ôter à ce portrait que je trouve, pour ne rien vous cacher, incomplet en superlatifs et en dessous de la vérité…
Il a en tout cas le mérite et la vérité de la spontanéité et du cœur. À toi, Papa.
06 mars 2024
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