Édito janvier 2024

 

Les mots nous manquent

 

 

Les mots nous manquent parfois.

Quand ils manquent, nous savons toujours au fond de nous-mêmes pourquoi, mais nous n’oserions l’avouer. Ils manquent, voilà tout. On peut se satisfaire du silence où ils bruissent malgré tout, malgré nous.

Car il faut bien qu’ils soient importants pour que nous remarquions leur absence, notre impuissance à les expulser de nos poitrines, à les inscrire, lettre après lettre, sur une feuille, sur un écran. Notre impuissance ou notre honte… Notre incurie ou notre lâcheté. Notre pudeur ou notre mépris… Nous avons mille façons de les brimer. Nous vivons un monde violent et nous les faisons taire parfois pour que celui-ci ne soit pas plus violent encore…

Ces mots mort-nés, zombies dans nos ténèbres, sont peut-être les plus importants. En tous cas, ils le sont tant qu’ils restent muets. Car dès qu’ils ont été prononcés, dans un souffle ou une éructation, voilà qu’ils laissent la place aux autres mots, plus banals, plus convenus, mécaniques, analytiques et sans profondeur : L’âme soulagée, l’esprit reprend toujours sa folle sarabande, d’un sujet à un autre, une pensée en entrainant une autre, une pensée en oubliant une autre. À peine dits les voici à l’agonie entre les humains : désincarnés au fur et à mesure qu’ils sont prononcés, repris, répercutés, sanctifiés… passati par pruverbii. Les mots s’étiolent, vieillissent et meurent… Oui, les plus beaux mots peuvent mourir…

Faut-il donc espérer que les mots nous viennent ou bien qu’ils restent tapis au fond de nos âmes avec leurs secrets ?

Ce dilemme est celui de toute littérature. Pour qu’elle existe, il lui faut des mots. Pour qu’ils soient vrais, il faut qu’ils soient neufs. Il faut être allé les puiser au plus profond. Oser découvrir les voiles qui cachent l’âme et la protègent.

La littérature est dévoilement des sentiments, des émotions, des peurs, des illuminations… autant de cadeaux de l’Autre pour l’autre.

Avec leur délicatesse, le poète et la poétesse s’attellent à la tâche…

Qu’ils trouvent donc les mots qui nous manquent, qu’ils nous abreuvent, par pitié, car nous avons soif. Soif de vrai, soif d’humaine sensibilité…, soif de sens aussi.

Laissons-les nous éblouir encore et encore en 2024. Lisons et relisons les poètes. Et nous-mêmes, ne laissons pas mourir les mots !

 

 

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