Sylvette Pietri-Couderc - La mer

Sylvette Pietri Couderc nous donne à contempler, à travers le regard d’un vieil homme, toute la beauté de la Méditerranée. 

  

La mer

 

 

Le vieil homme s’assit, épuisé, contre un rocher déchiqueté. L’épuisement lui fit fermer les yeux et attendre ainsi un long moment. Ce bruit assourdissant, mêlé aux cris des oiseaux l’étourdit. Il sentait face à lui une immensité qui charriait une haleine iodée, écœurante. Le vent s’agitait avec force et aspergeait l’homme d’embruns, de sable fin, d’algues séchées. Il murmurait : Attends, attends, tu n’es pas prêt. Une certaine somnolence le plongea dans un état d’irréalité. Les odeurs brûlantes du désert, pleines de poussière qui vous étouffe, s’évaporaient. Il sentait dans son corps ces années infinies de chaleur mortifère, du froid des nuits d’hiver, la dureté des paysages rocailleux et les plaines de sable à vous rendre fou. Un paysage minéral qui transforme votre cœur en pierre, assèche vos espoirs, vos pensées et petit à petit votre foi, celle qui tient l’homme droit jusqu’au bout. Le vieillard ne croyait plus en cette force divine. Il ne la sentait plus et se trouvait dans une insoutenable solitude. Et le voilà voûté, incapable d’avancer vers ces quelques années qui lui restaient. Il lui fallait garder sa dignité, régler avec justice les quelques biens qu’il possédait, transmettre aux plus petits les valeurs de son peuple, celles des Anciens. Seule la foi revenue parviendrait à dénouer sa voix devenue muette et de couler comme une source, à sa main figée de caresser la tête des enfants, à ses pensées éteintes de retrouver la joie de l’élan vital. C’est pour cela qu’il entreprit ce voyage, ce voyage vers une force inconnue, celle de la mer. Redresser ce corps, gorger son cœur de la bonté divine ! Il ouvrit les yeux. Une puissance tellurique se déchaînait à quelques mètres de lui. Des murs d’eau s’effondraient dans un fracas effrayant, transportant loin une écume de rage. Il prit peur et recula. Le vent, les vagues et les nuages semblaient enlacés dans une danse folle. Le bleu-gris de l’eau heurtait le rouge – sang des roches. Puis tout se calma. Le vent n’eut plus que quelques soupirs et disparut. Les rayons du soleil traversèrent les nuages, illuminant cette masse d’eau d’une couleur devenue émeraude. La mer se fit douce et, tel un lac, ne fut plus qu’une étendue translucide, brillante. Le vieillard ressentit avec force la tendresse oubliée de sa mère, la présence rassurante de sa femme décédée Aïcha. Le sable mouillé par endroits ressemblait à un corps de femme avec ses grains de sable soyeux, doux et tièdes au toucher. Il s’approcha pieds nus et laissa l’eau lui caresser la peau. Un frémissement lui parcourut le corps, telle une vague. Au plus profond de lui, il ressentit une chaleur brûlant ses douleurs de l’âge. Il perçut son vieux cœur se gonfler de joie, de bonté. Lui l’Asséché se mit à pleurer des larmes généreuses, sa gorge se dénoua et sa voix, d’un simple murmure, se transforma en un chant mélodieux, celui d’une berceuse, celle de ses premières années, oubliées croyait-il. La mer, par sa nature féminine, force et douceur, combla le vide triste laissé par la disparition de ses femmes tant aimées et lui montra un chemin, loin du deuil, celui de la beauté du monde… et peut-être, certainement, de sa foi perdue.

 

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