Paul Dalmas - Alfonsi - Comité Dragons. Jours de pluie.

Vision d’une réunion et de sa mécanique cauchemardesque, par Paul Dalmas-Alfonsi.                                                                      

Comité Dragons. Jours de pluie

 

« Je me fais des dragons aussi bien que les autres[1]. »

 

Les réunions de régulation dont on trouvera l’écho ici sorganisent tous les trois ans. Pas tout-à-fait à date fixe mais jamais avec plus dune décade de décalage et selon le calendrier révolutionnaire que nos pères, au siècle dernier, ont décidé de maintenir[2].

                Lusage de ces rencontres les situe dans les temps où les nuits sont courtes.

                Dans ces moments "d’enclave libre" à la mode dragon, les échanges et discussions dentraide mutuelle parfois tendus et vifs se doivent de durer jusquau lever du jour.

                On les clôt avec le soleil, au risque de trouver la prouesse trop longue. Et même si, parfois, on tire à la ligne dans des propos qui seffilochent, il faut respecter les rituels pour les valeurs qui les sous-tendent et lharmonie de leurs façons.

                Pour me faire comprendre, je vais me transformer en sorte de greffier des archives dragons. Mais, à dire vrai, jignore le destin de ce texte.

                Il pleut. En pleine nuit d’été, il pleut. Il faut donc sabriter sous lauvent dentrée dune grotte. Le narthex naturel de cette réunion nous situe à quelques encablures des terrains de la Carbonite et au rebord du Val dAbsinthe.

                Il pleut. Mais ces heures dhumidité nous aideront à supporter la lumière acide du jour et ses effets que nous craignons (éblouissements et vertiges fatigue oculaire picotements). Plissés et à laffût, nos yeux restent sensibles. Au plus vif, ils sont sidérants mais, nous, nous les savons fragiles, avec larmes dirritation mucus épais qui nous dessert et nous fait passer pour sensibles.

                Ce soir, lhumidité prend de façon subtile des tons deucalyptus et de fleurs dhibiscus. Fenouil poivré, giroflées, ombre la pluie crépite ou se diffuse, varie de rythme et se prolonge. Elle finit par tout assouplir.

                Nous apprécions la nuit. Et de fait ceux qui nous connaissent nous associe à leurs cauchemars. La proximité des démons, en ces territoires incertains, ne nous dérange pas. Nous serons toujours plus forts queux. Les démons sont le mal dautrui. Nous agissons pour notre compte.

                Nous sommes taquins, fins joueurs. Lorsque des humains empruntent, inopinés, lun des canyons de nos secteurs ou savancent un peu trop dans les brèches de nos sommets, nous savons vite intercepter griffes acérées, langue de feu ces fiers-à-bras violeurs de roches.

                Voilà du jeu avec ces êtres qui se disent toujours victimes alors quils traînent en nos contrées pour explorer on ne sait quoi, en conquérants de linutile. Les croquer, ça nous désaltère certains jours où il fait si chaud que les ombres portées en deviennent violettes.

                Seul vrai problème, ils manquent souvent de lard.

                Ces présentations étant faites, lessentiel de la réunion na rien à voir avec les humains (même sils finissent par peser même sils finissent par contraindre, en rognant sur nos territoires). À lordre du jour ? La résolution délicate dune pelote de tensions où jouent les grands principes (laffirmation de qui nous sommes) et le respect des règles de dévolution de lamour (de ses vertus, de ses contraintes) dans le secret dune famille. Ces actes privés nous concernent.

                Quatre participants : trois intervenants de haut rang ; un modérateur décisif son antre  respecté est très voisin dici.

                Et puis il y a moi, cinquième personnage, qui rapporterai en détail soucis, doutes et tourments ainsi que les moments dunion et darbitrage amène (sans les privilégier je ne suis pas naïf).

                Stylet en main, fonction de scribe : jentends bien me faire oublier malgré un prénom qui mengage. En effet je suis dit Martial Martial le Belliqueux, aide soldat de plomb.

                Les séances débutent par une introduction rappelant les atours du Verbe planifié. Ils sont prologues rituels aux échanges de tout Conseil (on finit par sen écarter, emportés par la discussion, mais ils sont rappel aux usages). Récitons-en la formulette :

« – 1. Quest-ce quun programme ? 

2. Quel était notre ancien programme.

3. Pourquoi il a été nécessaire dadopter un nouveau programme.

4. Importance de notre programme.

5. Caractère scientifique de notre programme[3] (bis). » 

 

Les délibérations sont déclarées ouvertes.



[1] Mme de Sévigné (Lettre à sa fille – Paris, lundi 9 février 1671). "Dragon", ici, signifie souci, inquiétude, remords ou chimère.

[2] Calculer les jours par décades, comme aux temps révolutionnaires ? Pour leurs formulations si proches de la nature – "safran", "colchique", "sorgho" ou "écrevisse" – et parce que "dix" donne un compte rond.

[3] Reprise devenue commune de l’ABC du communisme, par Nikolaï Ivanovitch Boukharine & Evgueni Alekseïevitch Préobrajensky [1923]

 

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