Paul Dalmas-Alfonsi - Répétitions (È torn'à Vignale)

Les mots reviennent, par cycle, en rythme, en ordre… ils disent ce qu’il faut et cachent le reste. Une petite vignette temporelle de Paul Dalmas-Alfonsi.

RÉPÉTITIONS

(È TORN’À VIGNALE)

 

Quand le mari était de sortie, Luisinu s’empressait de saluer Monelle. Il disait que, pour lui [tout allait] : « Très bien ! », avant qu’elle ait pu lui répondre. Il disait : « Bien sûr, l’âge est là ! Les années sont là, quand on s’écoute. Les années. Le dos. Les genoux. »

Mais, lui, non, il n’y pensait pas. Il s’était fait son opinion et il en prenait son parti. « Pas comme certains » Il disait qu’il n’y pensait pas. Voilà ! Les docteurs, la sécu, pas pour lui. Il se connaissait bien, comme les bêtes. Au lit. Au chaud. À transpirer. En deux jours, tout était passé. Et un petit coup de rhum le matin. Tout comme son oncle, ziu Ghjuvan Paulu. « Ça veut dire Jean-Paul… Celui des Calédonies, comme on disait avant, ici. Il vous aurait plu, celui-là. » Parce qu’il lui avait tout appris. Que le corps de l’homme est pareil à celui des bêtes. Un animal qu’on porte en soi. Si l’on s’en tient à l’esprit et la tête, le plus souvent, c’est pire. Oui, le corps de l’homme, c’est une bête. Qui sait ce qui est bon pour lui, comme on le voit dans les troupeaux.

Lui, il avait gardé les fièvres, après son retour de Syrie. Il faisait ça. Transpirer. Transpirer beaucoup sous trois couvertures bien épaisses. Même l’été. Et son petit verre, le matin – d’un rhum qui était moins bon que dans le temps, bien sûr. « Parce que, moi, c’est du brun, c’est du Négrita que je parle. » Y’avait pas mieux. Et jamais de Chirac qui tienne. Pas de De Gaulle, de Mitterrand. « Pas de ces escrocs de la Corse », non plus. Les escrocs. De la Corse. Toujours les mêmes. « Nous, les petits, on peut toujours chercher. Allez. On ne peut compter sur personne. L’entente d’avant, c’est plus ça. L’entente qu’il y avait avant, c’est fini. Chirac, De Gaulle et Mitterrand et tous les escrocs de la Corse. On ne peut plus compter sur personne. Pas mêmes les siens. Surtout pas les siens. Maintenant. L’entente d’avant n’est plus là. » Chirac, De Gaulle et Mitterrand et puis les escrocs. Dans cet ordre. Et soudain, pour finir, comme toujours, tel un métronome : Laurette…

Laurette ? Il n’avait jamais rien eu avec elle, mais il y avait quand même pensé. « J’avais quinze ans. Je commençais à tâtonner. Mais lui, il l’a prise sur les genoux et il lui a dit : "Tu seras mon héritière." Il ne lui a pas donné ça, cet escroc. Elle l’a toujours repoussé. Elle le savait bien que c’était une canaille. Moi, j’étais caché dans les fougères, à plat-ventre. Que ce que je bois devienne poison, si je mens ! Voilà comment ils étaient des fois, les riches, avant. Mais il y en avait aussi de confiance. Honnêtes et francs. Il y avait des gens de poids. On pouvait leur demander des conseils, et même un petit service. Maintenant, on irait demander des conseils à qui ? À qui on peut aller les demander, ces conseils ? À ceux qui vous ont volé ? Ils se sont mangé les cochons entiers avec la politique. Et nous ? À travailler ! Nous avons jusqu’à trois voitures alors que deux nous suffiraient. Quand je parle des vieux, j’oublie les belles voitures. J’oublie tout. Jusqu’à l’âge de six ans, j’ai dormi avec mon arrière-grand-mère. C’est des romans. Oui. Des romans, ce qu’on a vécu. Et, alors, Laurette… Laurette… Bon, là, elles m’attendent. Elles vont encore se demander où je suis. J’y vais. »

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