L'oiseau s'envole du nid, un jour... Une nouvelle de Michel Bouchy
Le pilote
Commencer une carrière de pilote dans l’aviation civile par un vol de nuit, cela fait penser aux héros de l’Aéropostale qui ont rempli des nuits de rêves et de cauchemars extraordinaires en établissant la route vers l’Amérique du Sud.
Sur terre, l’automne est propice aux promenades en solitaire, en l’air les intempéries de toutes sortes nous font apprécier la présence des instruments pour piloter car la seule utilisation des ressources humaines est insuffisante pour assurer les meilleures conditions de sécurité.
Je dois passer à minuit neuf au-dessus de notre maison. L’aéronautique est une école de précision. Ma mère sera sur la terrasse, scrutant le ciel parsemé d’étoiles, sacrifiant une fois encore son sommeil comme elle l’a fait depuis ma naissance, toujours présente pour compenser l’absence du père parti piloter dans des territoires retirés d’Afrique.
Ma mère vivait une histoire d’amour contrariée par ce virus du pilotage que mon père avait contracté à l’adolescence. La tentative de guérison marquée par ma naissance n’avait fonctionné que quelques jours. Rien n’y faisait. Pire, j’étais atteint des mêmes symptômes ! L’hérédité avait frappé !
Plutôt que me dissuader de m’orienter vers des études longues et difficiles, ma mère a été un soutien constant pour me permettre de réaliser ma vocation, tenant le rôle de père quand il fallait inviter l’autorité à la table des discussions. Ceci sans jamais oublier de m’entourer de sa tendresse maternelle, tout en sachant très bien qu’elle creusait un sillon de douleur. L’amour d’une mère n’a pas peur de l’absurde : il le combat ou s’y associe selon les besoins du moment.
Je l’imagine sur la terrasse, sa main posée sur son cœur, me souhaitant bon voyage dans la vie, une boule de feu lui serrant la gorge, précédent des sanglots mêlés de douleur et de joie, trouvant une part de bonheur dans l’accomplissement de mon désir.
Je t’aime maman !
Ce texte répond à l’une des propositions de l’atelier d’écriture de Racines de Ciel. Le thème de l’édition 2023 était « les réécritures », soulignant le lien entre lecture et écriture. Les propositions s’appuyaient sur des textes de Sheila Watt-Cloutier (Le droit au froid), Albert Cohen (Le Livre de ma mère), Antoine Ciosi (Peut-être qu’un jour), Baudelaire (La Chevelure).
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