Pierre Lieutaud - Aigle noir

Aigle noir

    

Un matin, sept heures trente. Notre agence, perchée tout en haut du building de verre, sort de la brume comme un avion qui crève les nuages et découvre la piste où il va se poser, une tâche de gazon où est planté l'immeuble, totem de la grande tribu de lhomme moderne, œuvre d'art aux volutes translucides irisée des arcs-en-ciel de passage et des pinceaux laser qui le caressent.

Et moi, petit homme du ras du sol égaré dans les étages, je suis assis devant mon bureau, face à la fenêtre, dans le confortable, insonorisé et lumineux clapier où je suis employé et je regarde l'infini bleu qui me berce.

Je dis souvent à Daniel que nous sommes sur le toit du monde. Il marmonne je ne sais quoi et me tourne le dos. Instant figé où sempilent dans ma tête des tas de petits riens qui font un souvenir : chuintement de la machine à café, carillons des téléphones, rires étouffés, grincement de porte et lui qui me tourne le dos. Un souvenir qui veut sincruster. Je résiste. Daniel est mon ami.

Au début, les choses étaient claires, les routes tracées. À lui les comptes, les réceptions, les réunions, les invitations, les voyages, à moi limaginaire, la création. Chacun son rôle. Daniel est le patron, moi le directeur de la création. Un métier d'artiste : photographe, peintre, psychologue, voyeur, exhibitionniste, humoriste, visionnaire. Tout ça à la fois. Un métier solitaire. Capter l'instant, deviner ce qui va venir, décortiquer l'indicible, découvrir les attentes, les envies, comprendre le pourquoi des choses et créer le concept, le produit que tout le monde attend sans le savoir. Voilà mon job.

Et pendant quil téléphonait à la terre entière, que tournaient autour de lui les secrétaires comme des volées de moineaux, j'avançais sur les ailes du vent.

Les affaires marchaient. Et puis, comme un nuage venu du fond du ciel, un nouveau monde avait remplacé l'ancien. Exigeant du confort, des voyages, des sucreries et des fariboles. Un autre viendra, j'en suis sûr, et c'est à lui que je pense.

Daniel n'est pas de cet avis.

- Tu rêves, Joseph, tu nes pas dans la réalité. Regarde ce que tu as sous les yeux. Creuse linstant présent, enjolive-le, colorie-le, chante-le…

Les employés disent qu'il a raison. Peut-être. Moi, j'explore le monde de demain, j'invente la pub pour le monde à venir, je prépare l'adhésion à ce qui n'existe pas encore, l'exigence future de posséder ce qui sera dans un monde nouveau fait de milliers de choses nouvelles. 

Daniel ne comprend pas. Moi-même, je me demande parfois ce qu'il se passe dans ma tête, de quelle pelote je tire le fil. Alors, je bois un coup. Et n'allez pas croire que  mon cerveau est une vieille éponge imbibée d'alcool, que la folie m'habite… Non, je bois pour garder toute mon acuité. L'acuité, c'est un projecteur de marine qui rend le monde et les gens diaphanes, transparents... Un regard d'aigle qui fouille l'univers... À la vôtre !

 

Mon armoire est pleine de dossiers, il y en a même dessus, des pages empilées comme un nid d'aigle en haut d'un rocher... Mais chut...La pub du monde de demain dort dans mon armoire. Top secret. Comment j'ai conçu tout ça ? Le contre-pied, le surprenant qui ouvre les yeux et les cœurs, les musiques qui explosent les certitudes, les voix off qui semblent des murmures de ruisseaux, voilà mes outils. Et aussi en regardant au fond du ciel, du haut du building de verre. Mon regard s'est affiné... Je vois des choses lointaines et minuscules, je crois bien que c'est l'avenir qui stationne sur l'horizon avant de se jeter sur nous.

Et puis, de temps en temps, je bois un coup. Le bruit caoutchouteux de la porte du petit réfrigérateur qui s'ouvre, les bouteilles alignées sur les clayettes, ma main qui prend, le froid du verre, la buée, le décapsuleur, le liquide qui coule, brûle ma gorge, réchauffe mon corps et fait redémarrer ma vie. J'ai besoin de tout ça à la fois, le ciel bleu, l'infini, le rêve, l'alcool...

 

- Joseph, tu ne crées plus rien…

Daniel  me ménage, mais il doute de moi.

- Tu as oublié ? Les cormorans englués dans le naphte qui parlent aux enfants pour que la pureté revienne, les femmes nues qui pleurent avec dans les yeux un petit mot qui clignote: VIH...VIH…Qui a eu lidée de tout ça avant qu'arrivent ces catastrophes?

- C'est vrai, tu as eu de bonnes idées, Joseph, mais c'était avant.

Quand il  dit ça, il soupire... Et moi, pendant quil se prélasse cinq étoiles jacuzzi, quil mène la belle vie en attendant que me vienne le scénario, le slogan, le clip ravageur denvies, de tendresses, de peurs, je trace ma route. Je travaille la matière humaine comme le boulanger sa pâte, je cherche les failles inexplorées, les envies muettes, les haines tenaces, les jalousies infantiles, je découpe les Œdipes en petits morceaux de désirs, je mets tout à nu, en salves, en images arrêtées, en calques, en silhouettes, en kaléidoscopes, en papillotes, en escarbilles.

Vous vous demandez comment je peux maîtriser tous ces flux qui n'en finissent pas de tourner dans ma tête, rester lucide face à cet envahissement? Je réfléchis, seul dans mon bureau, seul avec le ciel bleu et ma bouteille.

Lalcool, cest un tire-bouchon à idées. Quand il en fait sortir une de ma tête, ça fait un bruit de bouchon de champagne qui saute. Elle est là. La mettre en musique, cest mon boulot. Lalcool, cest mon facilitateur, mon remède, mon Lexomil, mon antidépresseur, mon souffle de vie, mon technicolor, mon avenir, mon soleil dautomne, mon ciel étoilé, ma jouissance, mon oublie-vie, mon oublie-con, mon pardonne tout. Avec lui je surfe sur la vie, la vie surfe en moi.

Des moments pareils, ça n'a pas de prix. Le reste suit. Le projet est vite prêt,  Un scénario qui doit étonner et rassurer à la fois, des images qui prennent le client par la main et lemmènent où il voudrait bien aller mais où tout seul il n'irait pas. Un voyage où l'enfant qu'il était accompagne l'homme moderne et fort qu'il rêve d'être. Attention, pas d'excès, il faut garder la distance entre ce qu'il est et les personnages. Pas d'Apollon, de madones érotiques, il doit s'identifier à des personnages qui lui ressemblent.

Après, c'est la routine. Toujours la même. Monotone. Le dressage des consommateurs. On balance dans laudiovisuel un patchwork de milliers de micro instants, de micro sentiments, de micro sensations, de micro paysages. Une cinquième colonne dacteurs, si petits, si fugaces quils sinsinuent incognito dans les circuits de leurs cervelles… Et là, sous le chapiteau de cirque de la voute crânienne de chaque auditeur, la compagnie Alchimie donne une représentation. N'ayez crainte, venez tous, regardez vos vieux souvenirs qui dorment au fond des gradins, sur les banquettes de velours rouge poussiéreuses, ils  tournent maintenant sur la piste avec les acteurs. Et regardez aussi vos certitudes, droites comme des I qui semblent le dernier carré dune vieille troupe, elles dansent, et puis aussi vos sentiments endommagés assis au premier rang comme des infirmes ou des grands blessés sur les places réservées dun bus, ils dansent aussi avec les autres. C'est le final, mesdames et messieurs, l'interprétation, l'adhésion au message, un pliage accordéon de femmes et dhommes qui font une ronde type Matisse sous la voute crânienne en palpitant de désir…

Ils suivront mes conseils, ils n'ont plus le choix. Et d'abord, je bois un coup parce que ce que je vais leur dire, c'est d'abord une confession, ce que je pense du monde et de la vie. Je suis prêt. Mesdames et messieurs, la compagnie Alchimie vous remercie de votre présence, de votre participation à son spectacle. Vous avez compris qu'il s'agissait d'une publicité, mais ce n'était que le début, l'amorce, le prétexte pour attirer votre attention. Vous savez de quoi elle cause, cette pub ? De vous, de nous, pauvres humains, de linsondable gouffre au bord duquel nous marchons, en nous demandant ce quil y a dedans et si nous finirons par y tomber. Scoop, nous y tomberons, cest sûr, mais avant suivez la pub... Pub pour enjoliver la vie, pub pour exister, pub pour oublier, pub tout azimut… J'ai soif... Mon petit réfrigérateur est vide, désert des Tartares dans les clayettes, je suis perdu, la pub seffiloche, le temps s'embrouille, heureusement, là-haut, sur larmoire, il y a mon nid, ma vie d'altitude, de domination du ciel et de la terre, veuillez m'excuser un moment je vais y faire un tour.

 

- Les recettes diminuent, Joseph, les clients rechignent. Nous perdons des parts de marché. Nous manquons de projets sur les produits qui sortent. Serre la réalité de plus près, il me faut des projets  Joseph, des recettes, des parts de marché !

Jessaye de lui expliquer :

- Les idées, ça naît quand ça veut au fond de la cervelle, des choses inertes qui sortent sans prévenir et puis sen vont. Mon travail, cest de les arrêter au passage, les apprivoiser, les moduler, les enjoliver, les organiser, mais pour en arriver là, il faut du temps.

Il ne me croit pas, il rigole, un rire un peu jaune, un peu sarcastique, un peu désespéré, un rire qui dit que quelque chose entre nous est en train de se casser… Daniel sen fout de ce que je raconte, retour sur investissement et rien dautre. Un jour, je dirai stop à ce pantin gestionnaire.

Tous les jours, il s’éloigne un peu plus. Ce désamour, je ne my fais pas, ça menlève les idées. Jaugmente lalcool, mais rien. Les bouchons de champagne ne sautent plus, Dans ma tête, cest le silence des cimetières. Stand-by. Bye bye. Je naurais jamais cru en arriver là.

 

- Alors, Joseph, comment ça va ? Tu tes mis à leau? Tu deviens raisonnable?

Il aurait pu me dire bonjour. Non, droit au but. Affection zéro, chaleur humaine zéro. Comment entamer un dialogue, parler de demain? Je fais comme lui, je réponds style morse:

- Non. je bois….Et cest tout…

Dans ces yeux passe un nuage gris, avec derrière un vieux soleil qui essaye de chauffer le monde comme un Applimo déglingué.

-Tu nas plus dimagination, de créativité, plus rien… Tu ne peux pas continuer comme ça…

Il est désolé. Cest bien, le Daniel davant revient. Le nuage gris hésite un peu, le vieux soleil se retape... Continue, Daniel, on y retourne, dans notre amitié davant, tu te souviens les filles, les ballades en moto, les mondes qu'on refaisait… Vas-y, continue !

- Je te laisse quelques jours pour te reprendre. Quelques jours, pas plus !

 

Dans le fond, je me fous de ce quil pense. Je suis indifférent, imperturbable, aérien, hiératique. Un aigle qui regarde le grouillement servile autour de lui…Un aigle dans son nid, là-haut, sur larmoire du bureau. Personne ne sait que jai un nid. Jai mis des mois pour le construire, feuille par feuille.

Je me blottis dedans, les yeux mi-clos, il me semble que je ronronne comme un chat, mais non, cest impossible, je suis un aigle. Jobserve Daniel, sa petite horde… Et mes serres…Y en a qui se font les ongles, moi je me fais les serres… Serre après serre, une serre avec lautre, sans bruit, jaiguise, jaiguise. Mes serres, cest des poinçons de diamant qui scintillent sous les néons du bureau.

Tout à l'heure, je suis descendu du nid… Ils ny ont vu que du bleu… Je ne vais pas épiloguer sur le bleu, mais le bleu, cest ma couleur, lazur infini, mon domaine.. Pas le leur…

Je suis assis devant mon bureau, jai replié mes ailes du mieux que jai pu pour me caser entre le dossier et les accoudoirs du fauteuil, jai rentré mes serres pour ne pas déchirer la moquette. Et jai bu un coup… Pour commencer la journée…

Daniel me regarde bizarrement. Je me recroqueville dans mes plumes, je brille, je suis tout lustré. Un mec alpaga, voilà de quoi jai lair.

- Alors, Joseph, ces idées, ça vient quand ?

Une menace. « Le coup passa si près que le chapeau tomba et que le cheval fit un écart en arrière… Donne lui tout de même à boire, dit mon père ». Une citation de Victor Hugo qui me revient chaque fois… Jai pas de père, pas de cheval, pas de chapeau…Mais jai soif… Je me dis : Joseph, pauvre Joseph, tu es un zéro, un gouffre à courants dair, une bouffée de rien du tout… Mais non, trois fois non, je suis un aigle…Vite, un whisky, que je réfléchisse...

 

Il faut en finir. Trouver quelque chose doriginal. Pourquoi pas un clip pour la lutte antialcoolique ? Marrant. Qui pourrait servir aussi pour une eau minérale, dune pierre deux coups.  En attendant, jen bois un… Par exemple une eau qui pétille, une eau aérée des bulles d'une cascade, dans une bouteille en forme de rocher bleu délavé où se mélangent l'eau vivante et le ciel bleu. Un truc stupide, terre à terre, ça va lui plaire… Après, on verra.

 

Lair frais du matin entre par la fenêtre grand-ouverte. Les vols de martinets sifflent comme des frondes, les mouettes hurlent au-dessus des toits, les bruits de la ville escaladent les façades, une odeur de mazout, de grésil et de poussière tournicote. Je sirote mon whisky, il pleut, très peu, quelques gouttes perdues qui ne savent où se poser. Les nuages ont laissé un trou dans le ciel pour que le soleil Applimo puisse se montrer. Je le vois, un jaune d’œuf dégoulinant de pluie, une lueur blafarde dauto en code, jai beau le fixer, aucune éruption solaire ne pointe sur sa surface. Applimo, mon vieux, tu es mal en point, comme moi, et vous les mouettes, pas la peine de hurler, votre tour viendra, un tour de quoi, jen sais rien, avec vos yeux  remplis de cruauté, vous êtes bien capables de vous en sortir, du merdier qui arrive.

Vous voulez que je vous dise, lalcool ça branche directement sur la réalité du monde, le fond du problème. Et quand on y est, il aide à trouver des solutions. Je bois un coup, vite, vite, pour pas perdre le fil. Je le tiens, le fil. Deux secondes, je ferme la fenêtre de lagence de merde où Daniel est le patron. Voilà, on y est : silence, odeur légère de désinfectant de chiot, de parfum dambiance pour le masquer, la clim fume la pipe et envoie des bouffées de chaud, murmures-gloussements de secrétaires au loin, elles sont en train de pondre un œuf, ou deux, oui, daccord, mais après, il faut les couver et quon vienne pas memmerder, elles ont fait leurs œufs, elles les couvent et ce qui va en sortir, cest le fruit de leurs entrailles. Jai mal au ventre. Cest lalcool. Il faut choisir. Si je bois jai mal au ventre, si je bois pas, jai mal au monde et à la vie et ça, cest pire et inguérissable.

 

Bon, à propos du fil que jai pas perdu, écoutez un peu ça. Daniel ne le sait pas encore, mais mon affaire est bouclée, jai trouvé un scénario et un slogan. Un chouette slogan: « Leau, cest fort, leau cest bien, leau cest bon ». Avec ça, je vais faire une petite histoire, simple, efficace, percutante… Une histoire deau pour faire plaisir à mon directeur. Une pub pour une eau minérale. Celle quil voudra… Et après, je le saigne avec mes serres et je remonte dans mon nid… De là-haut, je regarderai tourner autour de son corps le ballet des inspecteurs, des techniciens de la police scientifique, des photographes, des médecins légistes. Je les entendrai dire: pas dennemi connu. On la surpris dans son travail. Aucune trace deffraction.  Un familier, probablement. Il faut chercher dans son entourage immédiat. À propos, inspecteur, vous avez vu cet énorme oiseau, sur l'armoire ? On dirait un aigle, un balbuzard ou quelque chose du genre. Laissez, sergent, tout le monde a le droit de vivre avec le volatile qu'il veut. D'accord, mais il est si grand !

On verra ça plus tard. Le scénario dabord…Écoutez ça… Le premier plan, cest un type, avachi dans son fauteuil. Profond, le fauteuil, en velours, posé sur un tapis et devant lui une télé super grand écran avec un film qui passe. La routine. Le type boit. Il est ivre...On voit une cascade qui gronde… Stop.

Deuxième plan… Je bois un coup pour lamorcer…Travelling sur un campement dindiens Cherokee. Des tepees, des squaw, des papoose circulent et au milieu des guerriers emplumés, complètement ivres. Ils se racontent le temps où ils étaient maîtres des grands prairies, où ils tuaient les bisons, où ils régnaient sur leurs terres. Autour du campement, une clôture avec un écriteau: « Réserve d'indiens. Ne pas pénétrer». Et derrière, on aperçoit la cavalerie du général Grant ou dun autre général de l’époque qui les regarde et rigole… Le type du fauteuil, il continue à boire… Stop.

Ça veut dire quoi, ces deux plans? Personne ny comprend rien… Cest gagné, jai réveillé les endormis qui regardent la télé. Cest ça la pub.

Et maintenant, le troisième plan. Le dernier, la synthèse, lancrage du message dans les cervelles, lassociation didées, lenfance, la réalité, la vie, le danger, la nature… Tout. Il y a tout dedans, mesdames et messieurs. Je balaie les imaginaires, le monde souvre comme une fleur… Bon, calmons-nous…Les indiens suivent un sentier qui mène à une cascade. Ils sont toujours ivres, ils titubent, ils chantent, ils passent sous la cascade. On se dit: ils sont fous, noyés, disparus. Non… Ils sortent de lautre côté, droits, sérieux, les plumes sèches, leurs yeux lancent des éclairs, ils chantent une chanson de guerre. De vrais indiens davant, quoi ! Cest pas fini. Ils retournent au campement, ils arrachent les clôtures, ils font fuir la cavalerie du général, les squaw et les papoose applaudissent. Au loin, on voit se pointer un immense troupeau de bisons qui couvre lhorizon… Fin… En surimpression sur la dernière image, on lit: « Leau des cascades est plus forte que leau de feu». Et après: « Leau, cest fort, leau cest bien, leau cest bon »…

Et voilà laffaire… Ficelé le produit, bouclé le clip, expédié le message : leau et rien dautre… Terminés, apéro, digestifs, grands crus et vinasses….Qui cest qui va dire maintenant quil faut virer le mec, quil est fini, cuit, foutu, desséché ? Hein ! Qui ?… Au fait, à propos de sécheresse et si je men versais un ?

 

Hier, il a lu mon scénario.

- Banal, Joseph, et trop long… Arrête dabord de boire...

Il est extraordinaire. Il reste à la surface des choses, aucun humour, Jen ai assez, vraiment…

 

Je suis seul dans le bureau, dans mon nid, je pense, je réfléchis jattends. Bientôt, il va arriver… Je bois un coup, je me dresse sur mes pattes et je déploie mes ailes. Envergure : deux mètres dix… Le bureau est trop petit, je fais tomber des paquets de dossiers, des bibelots s’écrasent sur les chaises, sur la petite table, roulent sur la moquette. Tout est en lair, je me blottis dans mon nid… Le voilà, il pousse la porte :

- Oh ! mon dieu, qui a mis un bordel pareil ?

Cest moi ! Allez, Joseph, vas-y ! Je déploie mes ailes, je plonge vers cet homme que je hais, les serres tendues, je fond sur lui, je lui tombe dessus, je lenveloppe de mes ailes qui nen finissent pas, comme un enfant quon protège, mais cest trop tard… Je laimais, maintenant cest fini…Il se laisse faire, comme une poupée de tissus, mes serres se plantent dans sa veste, il se débat un peu.

- Mais enfin, Joseph, lâche-moi… Arrête, je te dis… Arrête…

Il mappelle Joseph… Il na jamais vu un aigle ? Il a raison, jarrête, je vais regagner mon nid…

- Joseph, maintenant ça suffit. Tu es viré. Sur le champ.

La fenêtre est ouverte… Laigle est le roi du ciel. Mon domaine, cest lazur infini, les vents daltitude, les simouns, les tornades. Je plonge, jouvre mes ailes. Dehors, il pleut, je plane, des paquets deau me giflent, jai rentré mes serres, pour aller plus vite, jouvre mon bec, je bois la pluie…« Leau, cest fort, leau cest bien, leau cest bon » … Je descends, je descends, je me cogne aux façades des tours de verre… Applimo est de sortie et se regarde dans les flaques deau. Il a besoin dun bon maquillage pour avoir lair dun soleil et moi,  je descends. Quelquun me chante une berceuse cherokee. Bientôt, j'arrive dans les grandes prairies...

Nous allons continuer de grandir, éloignée l’une de l’autre par ce quotidien qu’un jour nous ne passions qu’ensemble. Nous devrons aller au travail, faire des courses, nourrir nos enfants. Mais, comme aujourd’hui, je continuerai de t’appeler, pour rire simplement. Comme aujourd’hui, nous partirons à deux hors des vies bien rangées, pour vivre une belle épopée. Je ne sortirai pas mes fesses du grand train de notre amitié. On ne se perdra pas. 

 

 

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