Nathalie Bompart Patchine - Ce n'était qu'un jour de pluie

 

Ici, le portrait se dessine au fil des souvenirs… Un texte de Nathalie Bompart-Patchine.

 

 

Ce n’était qu’un jour de pluie

 

 

Elle se réveille dans ce triste matin où la pluie frappe fort sur le carreau de sa porte.

Un peu comme une invitée non conviée qui lui ferait presque pleurer son visage.

Elle accueille cette émotion sans en comprendre la raison.

Elle pleure, doucement, presque tendrement, mais elle pleure.

Elle ouvre la porte, s’avance pieds nus sous ce ciel d’été larmoyant et se laisse inonder par ces gouttelettes abondantes et fraîches.

L’eau du ciel lui offre ce reflet unique et éphémère de son visage en morceaux qui lui échappent entre les mains.

Elle la sent se mélanger à ses larmes tièdes pour se précipiter et dériver vers cette zone où la vie a gommé la fraicheur de son printemps pour réécrire d’un trait plus puissant les vérités de son automne.

Elle ne sait pas encore que ce début de journée, qu’elle ressent comme sombre et triste, lui fera faire une bien surprenante exploration.

Un cheminement où elle « quittera » la Terre sur ce tapis d’Orient rêvé et volant pour aller aux confins de sa mémoire et faire se rencontrer son passé et son présent.

Elle n’avait pas envie que cet aujourd’hui prenne la couleur du temps pour teinter sa journée de ce gris morose.

Sécher ses larmes et partir en quête de son soleil… s’ouvrir à sa lumière.

Danser… 

Elle dépose un disque, choisit au hasard, sur sa platine vinyle et elle se met à écrire sa propre chorégraphie…

Elle danse, sans réfléchir, avec ignorance… laissant son corps s’exprimer avec liberté, elle s’abandonne, sans jugement avec même une certaine élégance qui la surprend …

Elle sourit, elle rit, elle est musique, elle est peinture et littérature, elle est couleur et vie…

Presque enivrée par les émotions, par sa danse exaltante et bouleversante… un faux pas la fit basculer sur sa bibliothèque.

Tous ses livres s’envolèrent pour terminer leur échappée à terre.

Elle pouvait ressentir la confusion de ses étagères dénudées semblables à de petites allées désertes et effeuillées.

Est-ce par hasard si ses yeux se sont posés sur cette vieille boite en fer abandonnée et gardienne de ses souvenirs de voyages ?

Trésor délaissé, caché derrière ces montagnes de mots.

Passeports noircis de tampons à l’odeur d’un passé presque oublié.

Tous ces continents sillonnées…

Des images lui revenaient en mémoire au fur et à mesure qu’elle visitait les pages estampillées... C’était il y a si longtemps…

L’Europe, l’Afrique, l’Asie, l’Amérique…

…L’abaya qui lui couvrait le corps à Ryad ; sa fuite face aux Muttawa balafrant une européenne ne portant pas le hidjab pendant un ramadan ;  les cailloux qu’elle cassait dans le désert saoudien dans l’espoir d’y trouver un diamant ; l'Hamour, le roi des poissons bahreïnis dont elle savourait plus le nom que la chair ; les trois jours qui lui ont été indispensables pour pouvoir réussir à traverser cette rue de Beijing ; sa rencontre avec des étudiantes qui l’avaient interpellée dans la rue simplement parce qu’elles avaient été fascinées par son regard,  qu’elle avait accepté de suivre jusqu’à la Central Academy of Fine Arts où elle a rencontré ce professeur de dessin lui avait offert son prénom peint en lettres calligraphiées ; cet Amérindien en Guyane opérant comme un chirurgien, à la pointe de son couteau pour lui ôter la chique de son pied ; sa peur de mourir quand elle s’était perdue dans cette forêt amazonienne ; cette cérémonie insolite du henné du mariage que des femmes du Maghreb avaient accepté de lui faire vivre ; et… et tant d’images encore dont elle ne parlait jamais.

Assise au centre de ses livres, la boite en fer sur les genoux, ses souvenirs surgissent sans aucune logique ni chronologie, l’entrainant dans cette balade inattendue.

Le temps décroche lentement les portraits des êtres rencontrés et pose une brume sur les paysages parcourus.

Elle se remémore cette l’époque avec tous ses étonnements et se voit remplir son sac à dos de couleurs, d’odeurs, de surprises, de peurs, de sensations, de découvertes… qui font d’elle la femme si singulière qu’elle est aujourd’hui.

La musique qu’elle n’écoute plus, perdue dans ses rêveries, se fait de nouveau entendre sur les paroles de « Besame mucho…

Como si fuera esta noche la última vez…

Besame, besame mucho ».

Elle écoute, regarde devant elle à la recherche de son point à l’horizon…

Elle imagine le sourire tendre qu’aurait pu lui adresser Confucius et l’entendre lui dire qu’elle est devenue la plus grande voyageuse pour avoir su faire le tour d’elle-même… avant d’avoir terminé son tour du monde !

« …Quiero tenerte muy cerca

Mirarme en tus ojos

Verte junto a mi besame mucho… »

Son horizon… serait-ce cette ponctuation qu’il lui offre à chacun de ses écrits ?

Ces trois petits points de suspension qui lui murmurent en silence que la séparation ne s’invitera pas…

Dans cet autre voyage, croisière d’écriture, il l’a guidée, aidée à passer et à abolir ses frontières pour y découvrir des paysages de liberté et d’amour.

Elle s’est tellement envolée sur le dos de ses mots pour le rejoindre, l’atteindre et l’enlever sur ses lignes rêveuses.

Il n’a pas toujours été simple de traverser parfois certains nuages de proses, de trouver le juste équilibre dans les limites qu’ils s’imposaient.

Ne jamais basculer ou franchir cette ligne de démarcation imaginaire entre le rêve et la réalité, entre le défendu et le permis… Ligne qu’ils avaient dessinée d’une seule main pour le plaisir de s’écrire.

La dernière page de leur carnet de voyage était très loin d’être écrite.

Le disque s’est arrêté, le silence respire les dernières notes de la partition de « Besame mucho ».

Le souffle du vent réveille ses mots, s’invite alors la caresse qu’elle fera au pinceau pour coucher les lettres à son intimité de papier.

Elle osera reprendre le chemin de son imaginaire, poursuivre le périple qui s’allonge sur ses feuilles et découvrir le mystère caché bien au-delà de la ligne.

Il aimait sa poésie mais elle ne se ressentait pas poète. S’il lui avait demandé de définir sa plume, en faisant rire son crayon elle lui aurait très certainement écrit qu’elle était une Femme de l’être !

Il aimait la lire mais, quand il la lisait, elle n’était déjà plus le frisson composé.

 

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