Michel Bouchy - Évasion Interne

L’écriture est un refuge face à l’adversité, en voici un émouvant témoignage, par Michel Bouchy.

 

 

Évasion Interne

 

 

26 juin 2009, le couperet vient de tomber. Le neurologue a mis un nom sur mes tremblements : Parkinson, maladie neuro-dégénérative ! La vie s’effrite en une fraction de seconde.

Il va falloir se battre, un combat contre l’obésité psychique. C’est le début d’une autre vie.

Pour l’instant il me faut murir mes pensées et imaginer un secret pour la journée. Car…

 

26 juin, jour anniversaire de mon épouse, présence surprise d’un fils géographiquement éloigné. Étant en confidence pour cette nouvelle le secret doit être gardé.

Double obligation, la journée festive sera longue.

Je vais devoir combattre, un combat perdu d’avance, mais un combat à mener pour ma famille et un hypothétique espoir…

 

Toute la journée j’ai navigué sur une mer océane en prétendant, à plusieurs reprises, qu’elle était calme. De la réflexion naquit une interrogation prégnante : comment combattre au mieux ?

Parler, crier, hurler…

Se taire, réfléchir, peut-être écrire ?

Écrire voilà le mot magique

Pourquoi ? Je ne sais pas, mais ce sera l’écriture. Chaque jour j’organiserai un peu mieux la scène en sélectionnant le porte-mine, la mine 2B qui laisse des traces grasses après gommage, la gomme, le stylo bille pour recopier si besoin, le stylo à encre pour le respect de ce liquide magique que l’instituteur versait avec précaution dans l’encrier amovible du bureau, le papier de qualité différente à choisir selon l’humeur : vieux cahiers d’école à peine commencés, feuilles anciennes issues du rangement d’archives, enveloppes dépliées, verso de bulletins de vote dont l’utilité ne fait plus de doute.

Et puis…

 

Mon âme lentement s’étale

Sur cette page immaculée

Cette encre est une arme fatale

Qui me prive de liberté

Laissant des traces d’idéal

Noircir la blanche éternité

 

 

Mais où écrire ?

Le site le plus fréquenté c’est un bureau avec ordinateur et imprimante par qui tous les écrits passent pour être déchiffrables. Ce n’est pas un lieu intime mais un passage utile qui permet la relecture, les corrections. À y réfléchir c’est ma maison d’édition qui peut aussi être lieu de création si le besoin se fait sentir.

Deux lieux offrent une ambiance particulière favorable à la création.

Ma maison natale, dans un petit village bourguignon, qui offre chaleur du recueillement, douceur du silence, et dont les murs sont imprégnés de joie et de souffrances mêlées. Les mots qui s’y invitent sont chauds l’été et froids l’hiver, excès continental.

Un village de Castagniccia, lieu de musique de la nature, d’odeurs inégalées, d’amour irraisonné s’offrant aux circonstances.

La production est volcanique.

La page blanche m'enivre et que tourne ma tête

Depuis le bateau ivre nausée tu es saison

L'écriture me ranime sorte de floraison

Le mal d'écrire butine des pistils en fête

 

Le mal d'écrire me tord de douleurs intestines

Je veux crier plus fort tous les maux que j'ignore

Ancrés dans le cerveau ou cachés dans le corps

Laisse échapper mon âme tes colères assassines

 

Telles les nuées ardentes ou rivières rougissantes

Les reflux du volcan sont des plaies gigantesques

Vomissement de vers un univers dantesque

Ma bile qui s'écoule exutoire qui m'enchante

 

Et cette marée verte déferlant comme un gave

Remplie de mots magiques et d'accords improbables

Imprime sur la feuille alanguie sur la table

Mes émotions acides mais quelquefois suaves

 

Quel exercice étrange que d’écrire sur l’écriture. Un combat s’est engagé entre mon Moi et l’Autre qui est en moi et qui a besoin d’exister. Et ce lieu virtuel qu’est l’Atelier d’écriture permet un moment de partage et d’empathie naissante.

 

Madame l’Ecriture nous vous remercions

De faire germer en nous ce mode d’expression

D’abord en solitaire un moyen d’évasion

De ce monde ordinaire tueur de passions

 

Si l’on vous fait la cour outre votre beauté

Insolente prêtresse ce n’est pour vos atours

Mais simplement les joies que vous nous procurez

Et qui n’a d’autre nom que celui de l’Amour

 

Mais pour vous courtiser vous voulez de l’audace

Cette ambition tenace remplaçant le métier

Vous voulez nouveauté pour accorder vos grâces

A quelque prétendant se trainant à vos pieds

 

Nous sommes venus à dix galériens du naufrage

Vous apporter le fruit de notre volonté

L’originalité le désir du partage

A guidé nos esprits restant vos obligés.

 

Madame l’Écriture je vous consacrerai des moments d’exception, des rendez-vous intimes, des imprévus du soir, des insomnies hasard, des rêves prémonitoires, qui m’aideront à supporter mon combat permanent contre la dépendance mangeuse de liberté.

 

 Ce texte répond à l’une des propositions de l’atelier d’écriture de Racines de Ciel. Le thème de l’édition 2023 était « les réécritures », soulignant le lien entre lecture et écriture.  Les propositions s’appuyaient sur des textes de Sheila Watt-Cloutier (Le droit au froid), Albert Cohen (Le Livre de ma mère), Antoine Ciosi (Peut-être qu’un jour), Baudelaire (La Chevelure).

 

 

 

 Avis aux lecteurs

Un texte vous a plu, il a suscité chez vous de la joie, de l'empathie, de l'intérêt, de la curiosité et vous désirez le dire à l'auteur.e ?

Entamez un dialogue : écrivez-lui à notre adresse nouveaudecameron@albiana.fr, nous lui transmettrons votre message ! 

Nouveautés
Decameron 2020 - Le livre
Article ajouté à la liste de souhaits