Patricia Meunier - Les Cathédrales (1997-1998)

 

 

Les Cathédrales

 (1997-1998)

 

  

ENFANCE

 

Mes blanches terrasses de marbre à l’ombre du château

Que vous me fûtes douces au devant de mon âtre

Quand flambait mon jeune âge au soin d’une marâtre

Et tous ces ciels d’orage pressentis au berceau

 

Broderies, soieries d’ors et d’argents tressés

Croyances chantées dans les marches aux noms savants

Mille et une différentes devant durer cent ans

Que nous avait prédit un vieil enchanteur pressé

 

Nous allions à travers les salles de livres emplies

Chercher dans les dédales d’une science apeurée

Le nom d’une île certaine si loin de nos envies

Et nous plongions dans la nuit froide des siècles oubliés

 

Si beaux sont les écrins à nos amours premières

De cet enfant surpris aux aurores printanières

À l’appétit sans fin jusqu’aux dernières gouttes d’ors

Du bas des âges, enfance, t’en souviens-tu encore ?

 

  

LA DANSE

 

 

Dans la vaste salle de grands feux toute éclairée

Chaude résonnait la danse devant les invités

 

Les belles effigies figées de lueurs colorées

Au dessus des troubadours de bois lointains étaient sculptées

 

Seuls nous les voyions danser et leurs éclats de rire

Nous étaient légendes des plus douces et des plus vraies

 

Aux soirs où nos invités, aveuglés, dansaient

Gorges qui frétillent elles lançaient leurs beaux soupirs

 

 

LE CONTE

 

Et ces douces mandorles d’or de vierges

Nous fascinaient et l’on riait d’extase d’enfant

Comme une douce histoire aux coloris éclatants

Apparaissait le visage, au soir le conte des rois mages 

 

LE VITRAIL

 

I

Une installation étrange toute de couleurs ignorées

Dessinait sur ma tunique de fantasques feuillages :

Des arabesques vertes et bleues comme un langage

Par lequel la lumière parlerait sans arrêt

 

Je m’approchais éblouie et déjà convertie :

Une sainte à ma ressemblance mystérieusement

Sous un dais trônait dans ses mains des onguents

Et ses longs cheveux blonds comme moi d’ors sertis

 

Sous une voûte inconnue à l’architecture osée

Des anges joueurs de luth et de psaltérion

Voltigeaient et riaient de ma maladroite vision :

Sous la divine lumière ma verte bouche bée

 

 

II

Et nous riions de ce pétale d’une fleur fraîche éclose

Qu’on appelait benoîte et qui était rouge sang

Mais qui sait des verreries les secrets ravissements

Quand l’aube des temps s’émerveillait d’une rose

 

 

III

Vers le clair étage des nefs transversales

Là est mon cœur dans son berceau de pierre

Nul ne vient recueillir ses lumineux pétales

Nos âmes n’en sont-elles pas moins fière ?

 

 

 

BEATO ANGELICO

 

Au transept mon âme déjà trois fois recueillie

Du vitrail à la voûte trouve son plus sûr chemin

Et mes bruissements d’ailes et mon souffle serein

Dessus les carreaux et les fresques ont rejailli

 

 

SANDRO

Des vierges en tondo sourient en un monde doré

Où balbutient des anges. Leurs ailes à peine volages

Bruissent infiniment dans l’air sous l’éclat mordoré

…Sandro, tes sels divins posés sur mon visage…

 

LA SORCIERE

Des boîtiers renfermaient quelques sels mauvais

Des formules hostiles sortaient du vieux grimoire

Jetant des sorts inquiets dans le plus grand secret

Aux portes de mon souvenir on a cloué mon beau chat noir !

 

 

AN MILLE

I

Dans une dentelle de pierre en haut des tours

Une rose de lumière brillait aux alentours

Et laissait croître mon souffle vers ses divins rayons

Que jalousaient les colonnes effleurées de halos

 

Je suis dessus cette voûte en songe montée

J’ai vu les lueurs parées de froids incarnats

Une kyrielle de couleurs frappait de la claire-voie

Tout l’œuvre était là et le pur esprit tenté

 

J’ai donc monté plus haut encore, laissant la lumière

Devinant les minces piles de pierres élevées

Prise de froid et de tristesse accablée

Je contemplais en bas nos peines et misères

  

 

II

Et mon cœur et mon corps comme mille éclats croisés

Qui en baies colorées se brisent et s’abandonnent

Sous les rinceaux d’acanthes aux courbes épuisées

Jettent leurs dernières lueurs aux passants monotones

 

Et les plus lourdes de tes pierres, feuillages et fleurs

Lèvent leurs tours immenses aux yeux du nouveau monde

Et mon sang au bas des siècles abasourdis de peurs

Au pied de l’édifice auréole ma petite tête blonde

 

 

LA FOI

 

I

Quand je serai descendue de ma cathédrale de verre

Mes pas se posant au bas de mes idoles de pierre

Que j’aimais tant ; peut-être aurais-je la foi ?

Mes couleurs au ciel comme des rubans de soie ?

 

II

Leur amour est comme un vase aux décorations ciselées

Qu’elles tiennent parfois dans leurs mains longues, effilées

Peut-être y a-t-il un ciel pour mes vitraux amers ?

Se trouve-t-il au delà de mes déesses de pierre ?

 

 

L’ENTREE DANS LE TABLEAU

I

Mes pas menus me portent vers l’entrée du tableau

Sur le fond se détachent d’anges les plus jolis minois

Sur mon cœur des cheveux, filaments épars et halos

De lumière, ne cachent point mon étonnant émoi

Je viens, dis-je, sur fond d’or et de poussière

Prendre place dans vos couleurs opalines et bleutées

Place est donnée au milieu des saintes et, fière,

S’offre dans les tissus chauds d’un habit velouté

 

 

II

Quelle beauté en mon sein cette pluie d’or

Jeune fille à la blonde chevelure alors

Aux premiers soupirs ce changement nouvellement né

Berçait mes vingt ans d’Iseult blanche dessinée

 

LA CHUTE DE L’ANGE

 

Que le sol est dur et que chaque pas me pèse

Disait l’ange en sa pâleur nouvelle

Que mes pas sont lourds et la terre de braise

Et pénible le souffle dans vos cités nouvelles

 

Rendez-moi l’air évaporé de nos cieux sans limites

Et le vent céleste et frais glissant sur nos voiles

Rendez-moi l’idéal, la fierté et ces lumineux pétales

Que sont nos yeux ouverts sur l’éther sans limites

 

(Mais la voix a grondé et mes jambes plus lourdes

Au sol se sont comme écrasées

Je garde la rancœur comme une colère sourde

Aussi vile que l’ennui de ce corps empesé)

 

 

LES SŒURS

 

I

C’était un cloître de mille ans

Sur une colline, là en plein vent

Ouvert au ciel, ouvert aux chants

De leurs âmes de vingt ans

II

Elles étaient pures, riantes et pures

C’était comme un jour de fête tout le temps

Elles chantaient, serrées dans leurs robes de bure

Et riaient comme on rit à vingt ans

III

« Ai-je l’air, du haut de mes vingt ans

de ne pas savoir quoi faire de mes mains ?

Elles sont lisses et faites pour la prière

Quant à mon âme, elle bat dans le grand vent »

IV

Qu’ont-elles à rire ces prisonnières ?

Pourquoi ces regards si contents ?

Elles chantent depuis deux fois mille ans

Le regard clair, et sûres dans leurs prières

V

La foi, à toute heure et toujours

Aucun doute, seule la douce certitude

Qu’Il attend au bout du jour

Nos âmes prudes

 

LA FIN DES CATHEDRALES

 

 

Dans ce préau froid, au creux de la grand nef

J’ai cherché l’immense à mon cœur similaire

Les statues blanches ne regardaient qu’en l’air

Leurs robes immobiles de courants d’airs brefs

 

Hélas, ai-je pensé, si notre nature avide

Se perd si facilement dans ce couloir de vie

Et n’entend que l’écho d’une certitude ravie

Comme au sein de cette église froide et vide

 

Alors, où est la vérité et le feu des passions ?

Feux de la vie qui s’écoule et trépigne

Au son d’une danse le contrat que l’on signe

D’être heureux tout le temps et sans plus de questions

 

J’ai rêvé ces heures sans jamais les connaître

Toujours le froid, le vide des journées vaines

Mon dieu pourquoi éloignes-tu ce que nous désirons ?

Et l’écho de l’édifice me rendit ma question

 

 

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