Doria Pazzoni - Le musée de l’impossible

 

Doria Pazzoni invite à visiter le plus riche des musées : celui du monde de ses objets familiers. Vaste farandole qui vit en ses lieux et son imaginaire.

 

 

Le musée de l’impossible

 

 Je suis du genre « on ne sait jamais », ce qui cautionne le fait de ne rien jeter puisque tout peut avoir une utilité. Jusqu’à la superstition d’ailleurs et les déménagements n’y changeront rien. Les tiroirs et les paniers débordent… Des fils, des lacets de toutes formes de toutes les couleurs entrelacés dans une boite. Des bouts de corde, de la laine pour la fabrication future de pompons. Du fil de fer, des élastiques de différentes tailles et des déco de noël qui n’ont pas trouvé place dans le rangement. Des fèves, du papier bulle, des punaises, des vis, des écouteurs de toutes sortes, la plupart hors d’usages. Des prises, des piles hors circuit, des cartouches d’imprimante inutilisables, des bouchons de champagne en liège souvenir d’un mariage, des bougies d’anniversaires dépareillées, des brins de muguet séchés dans leurs emballages et qui trouvent refuge dans de gros dictionnaires… Bref de chez bref… Une sacoche de marionnettes à doigts, une de marionnettes à mains, un sac de course à roulettes et dix têtes de chevaux et leur bâton qu’on enfourche pour un spectacle d’enfants à la découverte des muletiers de l’île. Toutes sortes de cloches, de sonnailles, de baguettes. Toutes sortes d’instruments, mandoline, accordéon, violon, guitare, flûtes en roseau et corne de chèvre, balalaïka, alto, banjo etcetera etcetera. Tout ça vit en bonne entente et trône dans le salon. Il y a de quoi rêver, enchanter la terre entière et ramener des sourires aux lèvres de milliers d’enfants. Il n’en est exactement plus rien... Tout dans la tête et une lampe d’Aladin. Donc cela peut aller de coquillages déposés dans une coupelle, de pierres en forme de Corse ou de cœur ramassées lors d’une ballade, d’un bout d’obsidienne de Sardaigne, de morceaux de pierres volcanique d’Auvergne, d’un bouquet d’immortelle séché, de branches d’eucalyptus, le tout exposés sur les étagères d’une bibliothèque, elle-même débordant de livres entassés et de toutes sortes d’objets et de bibelots divers et variés.

Et toujours la rengaine du « on ne sait jamais ». Une vis, un boulon, un bout de tissus, une baguette en bambou, des porte-clés, certains cassés, des crochets petits, moyens, plus grand, des clous parsemés, une moitié de ciseaux recyclée en coupe papier, des prises électriques de toutes formes entremêlées. Si bien que dans ce fouillis tu sais qu’c’est là, mais voilà… régulièrement tu te poses la question « objet inanimé avez-vous donc une âme ? ». Il était là, exactement, des jours durant, sous les yeux et, à l’instant précis et urgent du besoin celui-ci a disparu de tout contrôle. Et là tu mets tout en œuvre pour ne pas péter les plombs, mais hélas tu exploses jusqu’à l’épuisement. Comment, il me résiste ? C’est impensable, impossible, insoutenable. Tu lâches prise, impassible et en général dès le lendemain, comme par enchantement, il est là sous les yeux et ça rassure. Oui ! Il en est ainsi, « la nuit porte conseil ». Et des cordes d’instruments, des neuves des usagées entortillées, des médailles de victoires enfantines, des dés sortis de leur contexte, des équerres et doubles décimètres en bois, en fer et pourtant... C’est le musée des paradoxes, du range tout, trouve tout et trouve rien… Si bien que lorsqu’il m’arrive de jeter la moindre des petites choses, contraintes par une boulimie soudaine d’ordre, celle-ci devient aussi vite l’objet du désir, et au désespoir celui du regret. Du coup, je n’ose plus me séparer de la moindre babiole. Ne serait-ce que jeter des pétales de rose séchées… aussitôt une culpabilité. Faut dire que j’ai des idées à revendre. Les boites rondes métal qui trainent sur le frigidaire pourraient être recouverte de laine et servir de percussions pour enfants. Les nombreuses boites à chaussures vides pourraient servir à la fabrication d’un théâtre de miniatures. Il y a aussi les objets qui me font rêver, comme la série de chapeaux et le minuscule piano de bois, un Vilac 1911 qui trône en plein milieu du salon en compagnie d’un tricycle de bois à la tête de chien dont je suis fière et qui pourraient servir de décors pour un futur spectacle de poésie.

Et, il y a le bureau… Et il y a les paniers qui servent à entasser, des écrits sur feuilles volantes, des papiers administratifs qui ne tiennent pas en place si bien que régulièrement c’est la chasse aux papiers manquants. Mais là aucun espoir de mise en ordre, chercher est une règle. Et une boite transparente avec crayons, pastel feutres, des plumes, des trousseaux de petites clés dont on oublie la serrure, des photos d’identités qui traînent ici et là, des jetons caisses, des pièces de monnaie de différents pays, un amoncellement de cartes de visites, de cartes postales, certaines épinglées sur les murs, des dessins d’enfants à customiser, un cahier de timbres, des masques, une couronne des Rois en papier. Jeter serait se séparer de son monde intérieur. Et s’ils contenaient un pouvoir magique ? Et des objets magico-religieux, des médailles de A santa du Niolu, des yeux de Sainte Lucie, des Vierge à l’enfant, un Saint Antoine en plastique, un éléphant miniature, un bouddha, un bout de corail, des chapelets, certains pendus et d’autres à l’abandon, des gobelets de tout horizon, anniversaire, souvenirs de voyage, de prestations écolo ou soutien à une œuvre caritative. Et tout le patrimoine immatériel alors ? Dans d’énormes cartons qui monopolisent une armoire entière d’enregistrements et de passions pour la mémoire musicale collective de nos ancêtres. Des kilomètres de routes pour interviewer le dernier violoneux et son histoire d’abeilles qui se posaient à l’écoute d’un morceau et qui facilitait la récolte du miel. Extraordinaire ! Aller à la recherche d’un sonneur de guimbarde, a riberbula pour les connaisseurs. Enregistrer des messes dans de minuscules chapelles, ou des chants de travail, ou des nanni pour l’endormissement des enfants, des heures et des heures d’écoute sur les traces des poètes improvisateurs du Chjami è rispondi. Et que l’on ne s’y trompe, certains ont un savoir d’érudition ancestrale et l’école n’y est pour rien. Et une valisette spéciale bijoux à retaper... Et sous le bureau, de grosses valises remplies de cadres, de support bois, de morceaux de carton pour les futurs tableaux qui ne se feront pas, de documents anciens, de souvenirs inutilisables, des documents comptables qui sont la preuve irréfutable d’un travail de jeunesse. Souvenirs, souvenirs... D’ailleurs mon intervention de quatre ans dans un studio d’enregistrement de disque comme secrétaire-comptable, mdr, se solda par un licenciement sur ma demande dû à une incompatibilité d’humeur, de sensibilité et caprice d’artiste que je vivais secrètement et qui avait pour effet la blessure de l’invisibilité. Ben quoi ? J’étais artiste, je le sentais, je le vivais dans mes fantasmes, dans mes os, dans ma peau, dans mes veines, je l’exprimais dans mes rêves. Je la ressentais cette fibre qui enveloppe de la tête au pied et ne vous lâche pas d’un iota. Un bonheur teinté de joies, de rires, de pleurs, de nerfs de tout foutre en l’air et soit avec. Oui ! Elle est belle, vivante, énergique, émouvante et ainsi faite une vie d’artiste. Et un tiroir accessoires et peintures, on ne sait jamais, quand l’inspiration se pointe autant l’attraper au vol. Une sonorisation énorme et deux sonos portables, un jeu de lumière, tout est en place pour les futurs spectacles qui n’auront pas forcement lieu mais qui se déroulent au quotidien dans ma tête, mon esprit, mon espoir et ma mémoire. Tous ces petits mondes se côtoient et répondent à mes folies créatives. Ainsi, vous avec moi voyagez dans le musée des bizarrerie, le théâtre « du Perlimpinpin» . 

Et Non je n’ai pas le syndrome de Diogène.

 

 

Ce texte fait partie du nouveau compagnonnage mis en place entre Le Nouveau Décaméron 2022 et l’atelier d’écriture Racines de Ciel, animé par l’écrivaine Isabelle Miller, dans le cadre des activités littéraires du festival Racines de Ciel.

Le thème choisi cette année était « Le musée imaginaire » articulé autour de plusieurs propositions successives.

La quatrième proposition à laquelle le présent texte souscrit était : 

« Mon musée imaginaire. Les auteurs deviennent curateurs ou conservateurs d'une exposition imaginaire ou d'une salle des réserves. »

 

 

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