Christiane Guidoni - Abécédaire de l'arbre

Abécédaire de l’arbre

 

Dans le désert des déserts, le Ténéré, veillait un acacia, souvenir d’une entière forêt, ami des oiseaux et des caravaniers. On l’appelait l’arbre du Ténéré. En l’année 1973, dans la solitude d’un soir de novembre, il attendait la nuit. Du haut de ses 300 ans, il a vu les phares du camion au loin. Le chauffeur ivre l’a renversé, déraciné, écrasé. Mort, le grand immobile. Aujourd’hui, on se souvient et on  l’appelle l’arbre du vent. Les chèvres ne poussent pas sur l’arganier comme le croient les touristes en route vers Agadir. Le Roi des Aulnes est un vieux dealer qui aime la chair fraîche et susurre des parfums de sa voix létale. L’arbousier rougissant reste discret à l’orée du maquis. Suivre Proust sur les sentiers où respirer l’aubépine pépite de l’instant pure blancheur immaculée du temps perdu à jamais retrouvé.

Le bananier aux longs doigts toujours te nourrira. Que balbutie le baobab à l’abri du temps ?  Garde en ton logis le buis bénit car sinon qui te protègeras du mauvais œil ?

Dans la Sicile de Maria Occhipinti la ronde enfantine encercle le grand  caroubier. La fleur du cassier la fleur de Carmen la fleur qu’elle t’avait jetée son odeur t’a enivré pauvre José. Les enfants chantent Sayonara et le cerisier pleure ses fleurs. 

Le catalpa triomphe à l’entrée du village. Le châtaignier est un bon arbre à pain le bûcheron ébahi lâche sa hache quand s’élève « u lamentu di u castagnu  a morte cundannatu ». 

Dattier. Enfant mange la datte don de l’éternelle oasis et n’effleure pas l’herbe du diable datura qui te tuera.

Érable. La neige boit le sirop d’érable et les indiens disparaissent. Dans le Jardin des Délices de Bosch l’ermite est juché dans l’arbre qui n’a pas de nom : c’est l’Arbre de l’Ermite. Dans l’île règne l’Eucalyptus bienfaisant chasseur de moustiques. 

Figuier d’enfance fidèle guetteur de lune in paradisu peau contre peau croquer la figue féconde pour l’éternité. Frondaison Feuillage Fleur Feuille Fruit. La  feuille blanche fait le livre comme la flamme fait le feu qui détruit la forêt. Forêt refuge hanté de toutes nos peurs. À l’automne regarde tomber la dernière feuille en souriant.

Grenadier sans danger et sans uniforme offrant son fruit grenu. Ginkgo biloba l'arbre de Goethe dans le parc du château d'Heidelberg deux feuilles d’or collées et un poème au sens secret. L’arbre survivant dans le parc d’Hiroshima anonyme témoin de notre humanité « une et double ».

Hévéa impuissant à endiguer le cynisme colonial  fournisseur de nos imperméables bruits de bottes et pneus increvables. « Des centaines de milliers de travailleurs indigènes saignaient les arbres… se saignaient à ouvrir les arbres… Le latex coulait. Le sang aussi. Mais le latex seul était précieux, recueilli, et recueilli, payait. Le sang se perdait. »* 

L’If qui n’en finit pas de mourir et de devenir peut donner des flèches empoisonnées. Il ombrage l’Achéron et t’accompagne au cimetière en gage d’immortalité.

Le Jacaranda ne jacasse pas, il flamboie bleu dans Lisbonne la ville blanche. Jujubier : comment ne pas se réjouir en mangeant des jujubes ? L’Arbre de Judée ne jure que par Dieu dit-on.

Le Kiwitier venu de Chine répand ses fruits dans le monde entier. China belle ou sungold kiwi vert kiwi jaune kiwi jaune à cœur rouge …

Laurier. Impossible d’oublier la fugitive Daphné échappée aux bras d’Apollon. Lentisque u Lentiscu surnommé l’Arburacellu (l’Arbre Oiseau) gloire de Ghisonaccia. Lianes propices à l’envol de Tarzan.

La mangue trop verte du manguier sauvage tue l’enfant des Tropiques. Le  merisier si rouge  roi des meubles luisants appartient au mobilier soldé. Le micocoulier fanfaron aime les inaugurations maire fanfare et cordon célébrant le village républicain. 

Ne pas s’endormir sous un noyer ton rêve pourrait s’y noyer. Le noisetier gentil ami de l’écureuil n’aime pas qu’on lui cherche des noises. Méfiez-vous du néflier qui vous fait travailler pour des nèfles. 

Olivier gage de paix et d’hospitalité. Les suppliantes d’Eschyle brandissaient les rameaux protecteurs en terre d’exil. Vénérables oliviers arrachés replantés et toujours menacés. Ceux de  Delphes  perdurent mais la Crète abandonne les siens à l’aéroport d’Héraklion. 

Peuplier si peu plié. Superbes pins parasols déployés sur la mer. Le  Pistachier de Cézanne dans la cour du Château noir. Plaqueminier des rires sur les lèvres et jus des  kakis volés sur le chemin de l’école. Je croyais ma mère éternelle au printemps quand le plaqueminier a refleuri dans le jardin de mon enfance elle n’est pas revenue.

Quinquina sauvage ou pas son écorce aux mains des écorcheurs te requinque quelle que soit sa couleur et quand vient le Covid la chloroquine est là puis la chloroquine s’en va comprenne qui pourra et bien malin qui guérira.

Ramboutan aux beaux litchis chevelus d’un rouge farfelu. Méfie-toi : à trop en consommer tu te retrouveras dans les bras de Morphée. 

Saules chagrinés le plus souvent pleureurs. L’arbre des Sephirot l’arbre inversé racines du ciel et feuillage de terre. Avec la sève de l’arbre  Pennone peint il verde del bosco pour retrouver la sève des mots. Sycomore sous le berceau des sycomores Roméo cultive  sa  mélancolie. Roméo, pourquoi es-tu Roméo ? **

Tamarinier.  Invitation au voyage exotisme absolu parfums lourds et vert paradis des amours enfantines chevelure et mâts oiseaux ivres d’écume et chants de mariniers. L’étrange  douceur du tilleul breuvage ami du marchand de sable.

Ulmus. Tous les ormes sont ulmus dit-on en latin. À la croisée des chemins si tu rencontres l’orme oublie ton ennemi repose-toi puis reprends ta route et laisse dormir l’ami des songes et des elfes.

Vigne vierge ou dionysiaque à la feuille pudique aux fruits qui font la fierté des vignerons chérissant leurs vignobles.  La viorne se dit et se chante Kalinka jamais dépourvue quand la bise fut venue elle est gardienne d’amitié. Le virgilier pensif sous son éclatante toison jaune se demande d’où vient son nom. 

Wengé n’est pas cri de guerre mais faux ébénier ou palissandre d'Afrique au bois sombre et non pas doré qui finit par échouer dans une salle à manger on l’aime aussi en parquet. Et pour en finir avec le W évoquer  la  question lancinante : de quel bois les wagons des trains de la mort complices de  « l’Histoire avec sa grande hache »? *** 

X l’arbre inconnu. L’autre nom de l’unique l’arbre qui se fait arbre quand tu le nommes arbre. L’absent de la forêt. 

Yeuse.  « Côme était dans son yeuse… Côme regardait le monde du haut de son arbre… » . C’est ainsi qu’il devint, à passer « des années entières dans les arbres », le baron perché ****.  Ylang-ylang tu respireras et t’abandonneras dans les bras d’Aphrodite.

Zamana le géant généreux nourrit qui veut. Arbre à tout faire  il  survit à tout. Quand du magma jaillit la lave ses racines demeurent et quand les vents se déchaînent ses branches enlacées ne se laissent pas emporter par les diables martiniquais.

Et voici venir l’intense désir d’automne 

Quand le vent  écoute

L’arbre se met à danser

Les feuilles flamboient

Notes

*      M. Duras,  Barrage contre le Pacifique 

**    W. Shakespeare, Roméo et Juliette

***   G. Perec, W ou le souvenir d’enfance

** ** I. Calvino, Le baron perché

 

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