Yves Rebouillat - De la guerre et de celui qui l'a voulue

Chroniques ukrainiennes n°10

24 juillet 2022

De la guerre et de celui qui l’a voulue

Déplorer

Ignominie sans trêve, agression sans répit :

Pilonnages, destructions sauvages, massacres, pillages

Déchaînement d’artillerie, étripages, déblayages.

Aucun signe de sortie d’une si longue nuit,

Sauf les rossées infligées par la résistance

Sur chacun des fronts procédant avec constance,

D’une bravoure immense qui hélas ne peut pas tout,

Une supériorité un atout mais comment venir à bout

Du monstre indécent et du déluge de ses bombes,

Le faire tomber, le précipiter dans sa tombe ?

Lui qui affame, effraie avec entêtement,

Assiège des villes, les réduit par étouffement,

Les achève sans lâcher ses sombres escadrons

Ultra-violente, patiente, vile tactique du chaudron,

Vidées après les mises à l’abri, les tueries,

Prises sans honneur ni combat d’infanterie.

Les mensonges absurdes insensés grotesques tragiques,

Testés en leurs gigantesques palais cousus d’ors,

Entre hommes et shots de vodka, rires épais de porcs :

« Appartements abritant des états-majors,

 Entrepôts d’armes déguisés en supermarchés,

Salles des fêtes emplies de munitions par milliers,

Écoles, nids de nazis, sybarites léthargiques »,

Qui relèvent – le discréditent – d’un choix stratégique.

Espérer

Scruter les images, les discours, les analyses,

Chercher un signe prouvant que le « monstre » est touché,

Affecté, estropié de manière décisive,

À bout de souffle, médusé prêt à s’arrêter ;

Non pas à se rendre, mais rêvant tranquillité,

Normalité, jeux en famille, complicités,

Repos, remise à jamais des hostilités.

Le savoir exposé, puis surpris, rendant gorge

Dans les rues, les airs, les champs de maïs et d’orge.

Voir, entendre, un geste mal retenu, une rumeur,

Un tremblement, l’indice fugace d’une douleur.

Un rien, la faute à l’imagination fertile ?

 Lui est fort de sa grande indifférence aux gens,

Nourrissons, enfants, femmes, aux quidams impotents,

Aux soldats, les siens, l’ennemi, aux vies qui défilent,

Aux missiles imbéciles qui abîment et mutilent,

Traces gravées dans les corps, les terres, indélébiles,

Aux patrimoines qui vacillent s’effondrent et s’entassent

En d’immenses et noirs espaces et de crasses surfaces,

Aux charniers où sont jetés les morts putréfiés,

À la dilapidation de l’argent public,

Aux souffrances de son peuple que vainc la pauvreté

Et dont le réveil tarde dans l’attente d’un déclic,

Leurré par un patriotisme ensanglanté,

Bercé de rêves erronés au pouvoir vomique,

Assises incertaines d’une fierté bon marché,

Où s’oublie la menace planétaire atomique,

Avec célébration chronique de son martyr,

Désespérant qu’un jour l’État cesse de mentir,

Qui choisit la complicité et s’abrutit.

Deviner

Pendant des années à ces fins, des armes stockées :

Vengeances et revanches qu’il rumine depuis longtemps.

Aucun espoir que le tyran-parrain, l’escroc,

Ce fou de guerre soit rudement éconduit bientôt.

Les services secrets étrangers l’affirment : Toupine

Assure sans trembler ni vaciller son pouvoir.

Ni cancer, ni maladie dégénérative

Ne l’empêcheraient de s’obstiner dans ses routines.

Il a du temps, des munitions bien des canons

Et encore les chairs sacrificielles qui les servent.

Cependant qu’à Moscou et en cour, tous les jours,

Son gang de vauriens, de noceurs, ivres de haine,

Petits maîtres-chanteurs hystériques tutoyant,

Inconvenants, les démocraties qui les maudissent,

Les croient parfois ou hésitent encore à les craindre,

Tentent d’affoler le monde, de le prendre en otage

Menaçant tout l’Occident, troublé, attentiste

S’il résiste, conforte l’agressée et persiste,

De confrontation directe, des feux de l’enfer,

 D’engagement nucléaire ultime, d’apocalypse.

De quels bois sort-il cet homme aigre, de foi sans loi,

Médiocre en tout, brute absolue, faux visionnaire,

Âpre aux gains, parangon du vice, cœur infertile ?

Ses parents avaient laissé la graine de crapule,

Croître, s’épanouir à la va-comme-j’te-pousse,

Régner sur la cour de l’immeuble de toutes les frousses.

À la tombée du mur exécrable, enfin libres,

Les Allemands n’osèrent pas lyncher le lâche Russe.

L’espion s’enfuit de Dresde, l’épouvante au ventre,

Dans une vieille automobile, avec femmes, enfants,

Craignant pour sa vie, sa carrière ses roubles, ses marks.

À Saint-Pétersbourg, gangs, mafia et KGB,

Organe central du crime légal, veilleront sur lui,

Manipulateur utile, dès lors introduit,

Jouant des vents, des vagues, des brouillards, devenu

Fomenteur, profiteur de tous les coups tordus,

Faisant main basse sur les richesses du pays,

Premier des très enrichis, kleptocrate en chef,

Porté au pouvoir faute de meilleur prétendant.

Le président d’avant, corrompu, corrupteur,

 « Dépeceur du pays », marinait dans l’alcool.

Ce qui suivit ne fut franchement pas un progrès.

Et quand le monde comprit, il était déjà tard.

Proie observée qui accordera sa confiance

Tandis qu’elle était disséquée, analysée,

Aux fins calamiteuses de son asservissement.

Un long chemin aux indices soudain évidents.

Lui, flanqué du sentiment de persécution

Avec cocktail explosif de monomanie,

De pensée paranoïaque et mégalomane.

Il affuble ses forfaitures d’idéologie

Ubuesque, délirante, plus qu’à moitié sincère

Grandiloquente, effrayante, raciste, belliciste :

Eurasie, sols des Slaves, hors de là, terres d’esclaves,

Russie, érigée haut-lieu des patriotismes

Zélatrice de Dieu, de Satan, de guerres saintes,

En réaction au « déclin » des pays chrétiens

Où « s’effondrent » les valeurs millénaires,

« Triomphent » toutes les déviances, Sodome, Gomorrhe,

« Dépérit » ainsi que la Famille, la Patrie

(Des préjugés, la volonté de perpétuer

Et d’affermir l’ordre inique antédiluvien,

 Violences, ségrégations et loi du plus fort).

Tandis que le despote patriote ivre, rêve

De modèle slavophile, impérial et mystique,

Eurasiste, fidèle à ses racines orthodoxes,

Fruit des violences dont le Pays est coutumier,

Désirer

Rien n’y fait... espérer, imaginer toujours :

Un soulèvement révolutionnaire, l’implosion,

Raids improbables jusqu’au ressui du malfaisant.

La crème des forces spéciales des armées du monde,

Trois cents commandos, trente hélicoptères furtifs,

Une nuit favorable, l’ennemi sûr de lui,

Dormant du sommeil lourd du meneur satisfait,

Des félons flattés, des mercenaires surpayés,

Des infâmes infatués après viols en séries,

Pochetrons assassins, forniqueurs assouvis,

Bâfreurs répugnants, nauséabonds rassasiés.

Des armes perforant tous les murs et les métaux,

Des outils infaillibles de localisation,

Du chef de gang suprême, de ses trois mille séides ;

Un contre dix : succès et justice assurés.

Un feu d’artifice final sans guerre nucléaire.

Puis l’arrêt des combats, de rudes négociations,

La trêve, la paix, les difficiles reconstructions,

Démocratie et prospérité en Russie.

Une Ukraine libre, souveraine, européenne...

En attendant, ministres et anciens dignitaires,

Menacent d’étendre et de faire durer le conflit

Si l’Occident ne se plie pas au nouvel « ordre »...,

Déchaînés, aux rires féroces et rictus macabres,

Increvables « je-m’en-foutistes », joueurs de poker

Contre des participants forcés, moins habiles,

Au cours d’une incompréhensible et folle donne :

Confusion des camps, des cartes, des mises et des règles :

Deux cents KT de TNT le jeton seul,

Grandeurs des Bankrolls russes obscures, bluffs incertains,

Menaces, enjeux respectifs disproportionnés,

Où personne ne se couche ni ne paie pour voir,

Ni ne gagnera en dansant si près de l’abîme.

Poker du fou et bras de fer minable, on frime ;

Derniers jeux : Bad Run et Broke garantis pour tous.

Démasquer

Démarche chaloupée, dégaine de frimeur

Ou déhanchement appuyé de frappe de quartier

Guinche de fripouille ostensible sur tapis rouges,

Fauteuil de monarque, tribune officielle en vue,

Il baisse le regard, dodeline de la tête,

Sale gosse impoli, olibrius « anobli »,

Complexé qu’il était n’a rien su corriger.

 Même déguisé en Tsar, il se sait chef de bande.

Habile, dépourvu d’émotions, sauf la colère,

L’envie, la peur de la mort, jalousie, dégoût,

Fierté mal placée, nostalgie des temps maudits

Plaisir intense à la mise en joue de ses proies.

Il a dompté d’autres frayeurs et frustrations,

Il assouvit ses haines, se sent grand, surpuissant.

Opportuniste dans le chaos de l’histoire russe – 

Règne du KGB, défaite lors de la Guerre Froide

Effondrement politique, krach économique,

Démocratie temporaire, droit mal arrimé,

Exclusion du club sélect des grandes puissances... –,

Il a arraché par le mensonge, le chantage,

Les fausses promesses, les impostures, les attentats,

La manipulation, de lâches assassinats,

Le pouvoir grisant de faire ce que bon lui semble.

Il a répété ses grands méfaits à venir

Sur de rudes théâtres : géorgien, tchétchène, syrien,

Maquettes en réel de projets pan-asiatiques.

Affûtant nombreuses techniques de meurtres de masse,

Gagnant au passage une réputation d’homme fort,

Providentiel, « à l’égal » de Djougachvili,

Galvanisant un peuple sans culture ni repères.

Il s’est fait courtois, ne pas dire « civilisé »,

Tant que la Russie était militairement faible

Puis a balancé aux orties ses affûtiaux

De diplomate souriant, accueillant au monde

Quand son arsenal de l’apocalypse fut plein

Et prêt à se déverser d’abord sur l’Ukraine.

Petit voyou, espion, devenu chef d’État,

Président reconduit. Au total, vingt-deux ans

Qu’il se prépare à l’assaut des démocraties.

Nationaliste par ânerie inventant l’Empire

Fusion des épopées tsariste et soviétique,

En terres démesurées de steppes et permafrost,

Agitant des emblèmes kolkhoziens, athéniens

Et romains : muscles nus, chevaux, pêche athlétique,

Lutte, buste retouché, mime de statue antique ;

Lui, avatar indigne de Tsar et de César,

Important les mots non poétiques de la rue

 Simplistes, effrayants, grossiers et scatologiques,

Dans les palais, devant les micros et les foules.

Dans un pays revenu de l’effondrement

À grand peine, loin de la prospérité. Armé.

Oppositions muselées, interdites, tuées.    

Légions au drapeau rouge retrouvé, célébrées,

Choyées, héritières des victoires lors des batailles

Décisives de Moscou, Kharkov, Koursk, Stalingrad...

En ce siècle de guerres nouvelles, une résolution :

Russes, Slaves, orthodoxes incontestables, préservés ;

Aux non-Russes d’envoyer leurs jeunes gens à la mort

Depuis les confins sous-développés de  « l’empire »

Où tout est dur, rare ou inaccessible : la vie,

L’emploi, l’argent, des études gratifiantes pour tous,

Où les familles Bouriates, Tchétchènes, Daghestanaises,

Turciques... fidèles aux traditions, soutiennent Toupine,

Auteur d’un parcours de vile brute, de psychopathe.

L’Ukraine, nouvelle première marche ? Qu’il la rate et chute,

Et se tue en son blockhaus comme l’autre avant lui !

Sa place dans l’histoire de la Russie, des nations,

Voulue à hauteur de celle des grands dirigeants –

Alexandre et Pierre les Grands, vrais conquérant, tsar –,

Ne sera pas celle qu’il avait imaginée.

Jugé grand criminel du vingt-et-unième siècle,

Calamité  de l’humanité, comparable

Aux pires tyrans depuis l’avènement de l’Histoire...

Et dire qu’il se croyait lucide, inspiré, grand...

Ni Pierre, ni Alexandre, rien qu’un chef de bande

Sur des territoires immenses où tout fut permis. 

 

 

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