- LND 2022 - Novembre
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Le testament sentimental de l'Empereur Napoléon
À mon fils,
à mon épouse,
retournée en Autriche
et à qui je pardonne,
à ma mère,
à mes frères et mes sœurs,
à mes amis d’enfance de Corse et d’Ajaccio,
à mes compagnons de règne et de batailles,
Desaix parti si tôt,
Murat l’intrépide,
mes généraux fidèles,
mes lanciers de Pologne,
ma garde,
mes grognards,
au souvenir de tous ceux des champs de bataille
d’Italie, de Prusse, d’Autriche,
de Russie et d’Espagne,
qui ont fait trembler
les vieilles monarchies
et sont morts là-bas
pour porter en Europe
le souffle des Lumières et de la Liberté,
aux peuples d’Italie, de Bavière,
de Westphalie, de Pologne,
à mes amours passés,
à Joséphine, l’irremplaçable
à Désirée Clary la douce,
à Marie Walewska la fidèle,
à toutes celles qui un moment
ont réchauffé ma couche et mon cœur,
je veux dire ici
que je vous ai tous et toutes
passionnément aimés.
À vous, les Anglais
ennemis de toujours
qui avez dressé contre moi
des coalitions incessantes
conçues dans le seul but
d’empêcher mon pays
héritier d’une révolution
dont vous ne vouliez pas
de changer votre monde,
à vous, qui jusqu’au bout
avez entravé ma route
jusqu’à m’interdire l’exil en Amérique
et m’avez emprisonné ici
dans cette île perdue,
je redis mon regret
d’avoir abandonné notre camp de Boulogne
et d’avoir renoncé
à prendre pied chez vous.
J’ai deux autres regrets
que je vous livre ici
avant de m’en aller :
jamais je n’aurais dû
vendre aux Etats-Unis
la Nouvelle France,
notre terre d’Amérique
qui occupait le tiers de ce continent
du Canada à la Louisiane,
jamais je n’aurais dû non plus
envahir la Russie,
je fus vaincu là-bas
par l’immensité et l’hiver
plus que par ses soldats.
Le tsar Alexandre aurait pu devenir
mon allié et mon frère
et l’Europe alors
aurait ouvert ses ailes de géant.
En faisant ces erreurs
j’ai soulevé le voile
du monde de demain.
L’Amérique se lève,
la Russie le fera,
la Prusse et l’Angleterre
s’affronteront bientôt.
J’aurais été, je crois,
le dernier éclat de la France éternelle,
jalousée par les grands
attendue par les peuples.
Homme parmi les hommes,
perdu dans l’Atlantique,
rongé de maladie,
je n’échapperai pas
comme tous les vivants
au destin qui nous lie.
Et maintenant, je pars
avec au fond des yeux
les enfants d’Ajaccio,
la fraicheur des Milelli,
les soirs de bivouac avec mes généraux,
le soleil d’Austerlitz
et l’infinie douceur
du corps de Joséphine.
Adieu.
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