Pierre Lieutaud - Le testament sentimental de l'Empereur Napoléon

 Le testament sentimental de l'Empereur Napoléon 

 

À mon fils,  

à mon épouse,

retournée en Autriche

et à qui je pardonne,

à ma mère,

à mes frères et mes sœurs,

à mes amis d’enfance de Corse et d’Ajaccio,

à mes compagnons de règne et de batailles,

Desaix parti si tôt,

Murat l’intrépide,

mes généraux fidèles,

mes lanciers de Pologne,

ma garde,

mes grognards,

au souvenir de tous ceux des champs de bataille

d’Italie, de Prusse, d’Autriche, 

de Russie et d’Espagne,

qui ont fait trembler 

les vieilles monarchies

et sont morts là-bas

pour porter en Europe

le souffle des Lumières et de la Liberté,

aux peuples d’Italie, de Bavière,

de Westphalie, de Pologne,

à mes amours passés, 

à Joséphine, l’irremplaçable

à Désirée Clary la douce,

à Marie Walewska la fidèle,

à toutes celles qui un moment

ont réchauffé ma couche et mon cœur, 

je veux dire ici 

que je vous ai tous et toutes

passionnément aimés.

À vous, les  Anglais

ennemis de toujours

qui avez dressé contre moi

des coalitions incessantes

conçues dans le seul but

d’empêcher mon pays

héritier d’une révolution

dont vous ne vouliez pas

de changer votre monde,

à vous, qui jusqu’au bout 

avez entravé ma route

jusqu’à m’interdire l’exil en Amérique

et m’avez emprisonné ici

dans cette île perdue,

je redis mon regret

d’avoir abandonné notre camp de Boulogne

et d’avoir renoncé

à prendre pied chez vous.

J’ai deux autres regrets

que je vous livre ici

avant de m’en aller :

jamais je n’aurais dû

vendre aux Etats-Unis

la Nouvelle France,

notre terre d’Amérique

qui occupait le tiers de ce continent

du Canada à la Louisiane,

jamais je n’aurais dû non plus

envahir la Russie,

je fus vaincu là-bas

par l’immensité et l’hiver

plus que par ses soldats.

Le tsar Alexandre aurait pu devenir

mon allié et mon frère

et l’Europe alors

aurait ouvert ses ailes de géant.

En faisant ces erreurs

j’ai soulevé le voile

du monde de demain.

L’Amérique se lève,

la Russie le fera,

la Prusse et l’Angleterre

s’affronteront bientôt.

J’aurais été, je crois,

le dernier éclat de la France éternelle,

jalousée par les grands

attendue par les peuples.

Homme parmi les hommes,

perdu dans l’Atlantique,

rongé de maladie,

je n’échapperai pas

comme tous les vivants

au destin qui nous lie.

Et maintenant, je pars

avec au fond des yeux

les enfants d’Ajaccio, 

la fraicheur des Milelli,

les soirs de bivouac avec mes généraux,

le soleil d’Austerlitz

et l’infinie douceur

du corps de Joséphine.

Adieu.

 

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