- LND 2022 - Mars
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Jocelyne Normand invite à visiter son musée personnel : un musée à ciel ouvert, riche , vivant, coloré !
Musée personnel
Avellen, « la rivière des grands vents », l’expression ou le mot breton très mal traduit au cours des siècles en « la Vilaine ».... Je dévale les quelques 300 ou 400 mètres qui séparent ma petite maison des marais très en pente, inondés en cette saison hivernale. À cet endroit, le fleuve (car c’est bien plus qu’une rivière) s’alanguit en s’étirant en plusieurs larges méandres.
La vue plongeante est ravissante en toutes saisons. « Je ne m’en lasse pas », m’a dit un randonneur que je viens de croiser. Pour moi, c’est un terrain que j’arpente avec bonheur quotidiennement en compagnie de mes différents chiens, depuis quatorze années. Ici, les marais de Vilaine, à Béganne (572 ha), sont classés Natura 2000.
Nous sommes dans un estuaire (étymologiquement « Béganne » signifierait « l’extrémité » (beg’ en breton) d’un « fleuve » (amnis un dérivé latin). Une autre traduction donne « promontoire » pour « beg » et « landes » pour « ann » ; car c’est un territoire où le breton mâtiné de français ou le français mâtiné de breton est devenu le gallo.
Avant le barrage d’Arzal (à 20 kilomètres) en 1970, à marée haute, la mer recouvrait les marais de Vilaine à cet endroit. Donc, enfant et adolescente, en vacances d’été chez mes grands-parents maternels, j’avais là l’océan atlantique sous les yeux.
Oui, en toute saison ! Aujourd’hui, en me baladant avec Vanille, la petite chienne setter adoptée (qui, elle, folâtre allègrement), par très grand vent et sous un franc soleil heureusement, j’admire les hauts chênes et les saules qui bordent les marais. Lorsqu’ils sont isolés, leur ramure noire fait de la dentelle et prend des poses de danseurs. S’ils sont regroupés, c’est curieux, ils apparaissent vaporeux, dans des halos rosés. Il y a un chêne presque bonsaï à cause du grand vent et un châtaignier mort, au tronc et à la ramure tout blancs, qui fait comme une sculpture contemporaine.
Sur un terrain privé, au-dessus des marais, il y a deux mimosas énormes en pleine floraison opulente en ce moment (comme celui de chez moi) derrière une épine blanche en fleurs aussi et un autre très gros mimosa fleuri moutonne un plus loin près d’une maison.
Il y a parfois une luminosité exceptionnelle qui fait que tout se reflète exactement à l’envers dans l’eau du fleuve avec une clarté parfaite. Ainsi, les épis (ou les fleurs) des phragmites (roseaux), si délicats, sont reproduits à l’identique tandis que, dans un bras du fleuve, un saule, toutes branches étalées, exhibe, dans l’eau, des sortes de grosses racines (ses branches ?).
Les buissons d’épine blanche sont soit en boules soit échevelés, annonçant ainsi le printemps. Immuables, à quelques encablures, à Foleux (le port à la campagne de Béganne qui compte plus de 400 bateaux de plaisance amarrés), les mâts des voiliers se dressent, verticaux et, dans la luminosité d’un jour quelque peu laiteux cette fois, ils apparaissent aussi tout blancs.
La Vilaine abrite de très grosses écrevisses, des ragondins et des loutres d’Europe. Celles-ci montrent plus facilement leur tête hors de l’eau que les ragondins. Elles émettent un petit cri qui ressemble à un aboiement. Au repos sur les rives, elles se grattent comme les chiens. Je les observe aux jumelles de marine. Il y a aussi les cygnes nombreux qui, en s’envolant en quadrille font un bruit d’avion.
Enfin, ces marais – zones humides par excellence – accueillent, outre le héron cendré, hôte permanent avec les mouettes et les aigrettes, beaucoup d’oiseaux migrateurs. Le grand héron blanc est de plus en plus présent ainsi que les cigognes. Il y a des passages de troupeaux de grues cendrées et de bernaches.
Quant aux plus gros animaux, on voit des sangliers trapus et noirs, des biches et des chevreuils qui, en faisant des bonds ont des allures d’antilopes. Il paraît que les uns et les autres traversent la Vilaine à la nage. Personnellement, je ne les ai pas encore vu faire mais des navigateurs en route vers l’océan et des pêcheurs me l’ont affirmé.
Sans parler, en plus, des chauves-souris « rares », les grands murins dont une colonie nidifie et se reproduit dans les combles de l’église du XVIe siècle. Elles font l’objet d’un programme de protection européen (il y a eu un article dans Le Monde sciences en 2019 à ce sujet). Les scientifiques viennent régulièrement les baguer. Et, un soir d’été, après une conférence de Bretagne vivante par le conservateur du site, avec d’autres, j’ai assisté, à la nuit tombée, à la sortie des grands murins du clocher, direction les marais pour aller « chasser ».
Bientôt, les marais deviendront des prairies colorées puisque la biodiversité a été heureusement préservée (jusqu’à présent...). Il y aura une telle variété de fleurs et d’herbes qu’il est difficile de toutes les identifier. Pissenlit, dent-de-lion, épervière en ombelle, iris, voici pour quelques fleurs jaunes. En rose, il y a le lychnis et la salicaire par exemple… Les herbes aussi ont des noms savoureux : fétuque rouge, brize intermédiaire-langue-de-femme, eupatoire chanvrine, agrostis commune, houque laineuse, molinie bleue... Cette végétation mélangée donnera un foin très riche, très odorant et très recherché.
Avant 1970, les parcelles n’étaient pas cadastrées et le marais appartenait à la « collectivité ». Les lots étaient tirés au sort. C’était les « hommées » c’est à dire ce qu’un homme peut faucher comme foin en une journée. Il arrivait que quelqu’un « hérite » d’une parcelle de 800 mètres de long sur un mètre de large... Donc, à l’époque, rigolade... « Subtilités du partage», c’est le titre de plusieurs panneaux en céramique colorés explicatifs (très beaux), installés en différents points des marais. Ils ont été confectionnés par des membres de l’association de restauration du patrimoine bégannais (ARPB) dans les années 80, association à laquelle j’ai adhéré en revenant en Bretagne après mon exil sudiste. Une association qui n’existe plus hélas ! À relancer sans doute...
Un 23 juin 2010 : Dans les marais, sous un soleil implacable, lors qu’il est presque 20 h, un homme – short blanc et torse nu – court. Sa silhouette, entre les grosses bottes de foin rondes, ressemble à celle d’un archéologue, au milieu de gros blocs, vestiges de quelque temple païen. |
Pour finir, au-dessus des marais, sur le territoire de la commune, il y a 28 calvaires médiévaux naïfs que je trouve très beaux (et dont je joins une photo si elle est exploitable toutefois).
Voilà, c’était mon musée personnel, très riche je trouve évidemment.
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