- LND 2022 - Mai
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Les écrans transforment tous les drames en tragi-comédies. Les acteurs appointés pitoyables, les paroles déplorables, les postures dérisoires… Même pour la guerre en Ukraine ? Oui, même pour elle… Une chronique d’Yves Rebouillat.
Chroniques Ukrainiennes - n° 4
Un souffle diabolique
(allusion à Mikhaïl Boulgakov, écrivain russo-soviéto-ukrainien né à Khyiv en 1891, tourmenté par la censure, mort à Moscou en 1940)
Février- Mars 2022
Un satellite américain
Les images ne sont pas d’une netteté absolue. Elles sont moins réalistes que celles des applications Géoportail et Google-Earth. On voit, sur une route, au nord de Kyiv un long convoi de rectangles gris alignés alternativement sur une file, puis sur deux ou trois rangées. Partout autour, des paysages de campagne, de plaine. Les couleurs des clichés – des sols, de la végétation – sont celles de l’hiver.
La journaliste vedette en studio tournant le dos à une immense carte de l’Ukraine
L’armée soviétique, pardon, russe, a massé à la toute proximité de Kiev (si je disais Kyiv, en ukrainien, les téléspectateurs ne me comprendraient pas, je dis donc Kiev en russe), des dizaines de milliers d’hommes qui ont pour objectif de déferler sur la capitale historique de l’Ukraine dès samedi, c’est à dire demain selon les Américains ! Les Ukrainiens s’attendent à une pluie de bombes et à la dévastation de leur ville, au feu de l’enfer. Ils se terrent dans les sous-sols de leurs maisons et de leurs immeubles. Les enfants pleurent, les vieillards s’emmitouflent dans des couvertures et ne quittent plus les caves.
À l’Est, des troupes russes ont fait leur jonction avec les séparatistes pro-russes. Au Sud, profitant de leur appui sur la Crimée, arrachée à l’Ukraine en 2014, l’envahisseur progresse vers Odessa et pilonne les villes. Au Nord, Wo... heu, pardon... Pitoune[1] contrôle une large bande de territoire allant du nord de Kiev à Kharkiv. À l’Ouest, rien de nouveau, sauf des bombardements qui se rapprochent de la Pologne. Le ciel appartient aux agresseurs. Les avions bombardent les aérodromes, des cibles militaires et civiles.
La journaliste courageuse présente sur le théâtre des opérations à Kharkiv
Je crois pouvoir dire qu’au-delà de la colère et de la peur, ce sont le courage de se battre et l’envie partagée de bouter hors du pays l’ennemi russe qui dominent. Les habitants s’organisent, établissent des check-points, remplissent des sacs de sable. Les personnels reviennent dans leurs entreprises, reconvertis à la fabrication de herses, de triangles de crevaison, de hérissons. Ils découpent l’acier, assemblent les barres de métal, soudent, ouvrent de nombreux chantiers dédiés à la libération nationale dans des ambiances aux antipodes de celles qui règnent dans les nouvelles forges du diable. Partout, au pied de leurs immeubles, sur les avenues, des personnes de tous les âges creusent des tranchées. Tout est fait pour interdire l’entrée dans Kyiv des véhicules de l’armée russe et rendre efficace l’utilisation d’armes de proximité et les lancers de bouteilles incendiaires. Plus loin, des femmes s’affairent à la confection de gilets pare-balles, de filets de camouflage pour les soldats et leurs véhicules... Des femmes se sont aussi engagées en nombre important au sein de l’armée, on les voit fusil d’assaut en bandoulière ou plaqué contre leur ventre. L’esprit, l’activité, sont à la résistance tandis que l’armée régulière, plus loin, guerroie contre l’armada russe, avec toute l’énergie de l’espoir. Des colonnes de femmes et d’enfants à pied et des files ininterrompues d’automobiles se dirigent vers l’Ouest pour y trouver une protection dans des lieux d’où nombre de personnes reviendront pour continuer la lutte. D’autres s’enferment dans leurs habitations.
Un vieux général ayant l’habitude des plateaux TV et radio
Sur les clichés satellitaires, assurément, il s’agit d’un convoi militaire formé de camions transporteurs de troupes et de véhicules blindés. Wo... kof, kof., kof... heu... le président Pitoune n’a pas l’intention d’attaquer Kyiv, le risque est trop grand d’une guérilla qui n’en finirait pas et contre laquelle aucune armée classique ne saurait se battre. Il y a au bas mot, cinquante mille hommes massés au nord. C’est plus une opération de communication que la préparation d’une attaque imminente. Mais, dans un deuxième temps, le dispositif pourrait évoluer et viser le contrôle de la ville, son encerclement et son siège. Dans les deux cas, Wo..., Merde ! Pitoune envoie ce message au président Zelensky et aux Occidentaux : « Maintenant (enfin, pas tout de suite), on négocie sur la base de mes objectifs et de mes acquits de guerre, sinon je rase la ville ». Dans l’attente, les forces sont maintenues en pause tactique. Il faut aussi envisager comme cause de l’immobilité des véhicules, la formation de bouchons successifs... quand on met en branle un si grand nombre d’engins lourds, il ne faut pas s’attendre à une circulation fluide. C’est un phénomène bien connu des automobilistes français, l’été sur nos autoroutes.
Un autre général âgé, plus tard (seuls les généraux à la retraite ont le droit d’émettre des analyses personnelles – avoir plus de soixante ans est une liberté et un plaisir qu’on savoure une fois entré dans la septième décennie, préoccupé par la mise en ordre des traces matérielles de son existence afin de ne pas empoisonner sa descendance)
Ces colonnes figées (d’un cliché l’autre) s’expliquent par des pannes de carburant, des incidents mécaniques,... la logistique russe a toujours été faiblarde. L’armée russe va prendre Kiev, la détruire, et de guérilla, il n’y en aura pas quand la ville et sa population n’existeront plus. Je n’ai aucun doute sur la folle détermination du chef Wo... hum, hum... du chef de guerre Pitoune. Il faut que l’OTAN déploie des troupes aux frontières polonaise, slovaque, moldave, hongroise et roumaine pour envoyer un avertissement solennel à Moscou : « Vous avancez, vous touchez à un centimètre carré de terre placée sous la protection de l’OTAN et nous vous expédions au diable ! ». Pitoune a du temps devant lui, tellement qu’il n’a toujours pas proposé une négociation sérieuse, au contraire, il fait croire qu’il veut bien discuter, mais c’est toujours pour rabâcher les mêmes revendications.
Le premier général un peu plus tard encore
Pitoune n’est pas un démon, pardon... je veux dire n’est pas dément, il cherche à instaurer un rapport de forces en sa faveur et s’il n’y parvient pas, il saura s’arrêter. Le temps joue contre lui. Il ne veut pas faire de l’Ukraine un nouvel Afghanistan puissance cent, déclencher le retour au pays des cercueils de zinc, révéler l’insupportable alignement des sacs de cadavres qui provoqueraient une nouvelle révolte des mères. À ce sujet, il faut retenir que pour le grand stratège, une dépouille n’a aucune espèce de valeur ; lors de ses précédentes aventures militaires, il a abandonné nombre de ses soldats morts, en enfer... pardon... sur place ou dans des fosses communes. Il n’attaquera pas l’Ouest de l’Ukraine, il veut mettre la main les régions riches de la mer d’Azov et de la mer Noire. Il n’ira pas à Odessa ou la neutralisera en laissant à l’Ukraine un accès au port.
La journaliste vedette ne se risque pas à mettre en exergue l’inutile « tout est possible » auquel ses interlocuteurs ont recours un peu facilement et les contractions qu’elle a repérées dans les exposés des meilleurs experts de France des questions géopolitiques et militaires. Elle a noté les hésitations, les certitudes mal étayées, des curiosités, des transitions surprenantes, les bafouillements autour de l’évocation du président russe ; elle continue à animer les échanges et a elle-même été touchée par ce mystérieux phénomène
Si la guerre s’éternisait, le rejet par le peuple russe de cette folie est-il certain ? Les positions militaires évoluent peu, la blitzkrieg de Pitoune n’aurait-elle pas eu lieu ? Serait-ce déjà une défaite ?
Une journaliste de la chaîne
Il faut comprendre la probable impopularité de cette guerre en Russie. Dans mon récent livre paru aux Éditions du Diable Vauvert, j’explique en quoi les deux populations ukrainienne et russe sont proches. Les Ukrainiens parlent également russe, et les russophones sont attachés à l’Ukraine en tant qu’elle est leur première patrie. Des mariages mixtes sont légions, les descendants de ces unions en nombre infini. Les pouvoirs russes n’ont cessé de prétendre que les deux peuples n’en faisaient qu’un ou étaient frères, ils ont d’ailleurs pris soin, du XVIe au XXe siècles de les mélanger lorsque déjà, en matière de crimes contre l’humanité, tout était possible, de sorte qu’en appeler aujourd’hui à la guerre entre eux détonne et pourrait ébranler la population russe. Cette guerre va disloquer des familles et faire douter les Russes du caractère juste de cette opération spéciale. J’ai des amis à Moscou qui m’ont dit leur sidération, leur incompréhension, leur exécration et que j’avais raission, pardon, raison.
L’historien qui vient d’écrire un livre sur la Russie du Nouveau Tsar
Comme je l’écris dans mon livre paru chez Buchet-Chastel, le patron Wol... qu’est-ce que je raconte, pardon, Pitoune, l’autocrate, n’est à l’aise que dans les confrontations, pas seulement sur un tatami. Si l’Occident résiste, si le président Zelensky et son armée ne se rendent pas, il n’hésitera pas à raser Kyiv. Il n’a jamais fait dans la subtilité, il a longuement mûri son projet et attendu le moment favorable : celui de l’impuissance avouée des Américains – confer l’Afghanistan – de la faiblesse et de la division des Européens.
Un docteur en géostratégie, historien sur les bords, au débit verbal agité
Le grand Wol... holà ! Que m’arrive-t-il ? Désolé... Monsieur Pitoune ne dissimule pas ses buts de guerre, bien au contraire, il les affirme depuis le début du XXIe siècle, son rêve c’est celui de la Grande-Russie augmentée des territoires acquis par l’empire soviétique. Il se délecte au souvenir de l’ancienneté et du lustre de la première et de la puissance de la seconde, de la peur qu’elle inspirait au monde jusqu’au dernier quart et un peu plus du XXe siècle. Son problème c’est Kiev. Il sait pouvoir compter sur un clergé belliqueux et un peuple de croyants, profiter des dissensions entre le patriarcat de Moscou qui, en gros, souhaite que la Russie s’attaque aux forces du diable qui sévissent en Ukraine et le patriarcat de Kyiv qui appelle à cesser une guerre fratricide. Une guerre sainte peut mobiliser des foules en Russie mais sous cette limite forte que Kiev a tout d’un lieu saint pan-russe qui rayonne dans toute l’Orthodoxie indépendamment de l’affrontement entre clergés Moscovite et Kiïviens. Il doit, sinon épargner un lieu mythique de l’Eurasie, au moins faire bien attention à l’endroit où il met ses bombes.
Un deuxième docteur, en géostratégie, celui-là, au débit verbal apaisé
On est ni dans la tête du diable... je veux dire : Diable, on n’est pas dans la tête de Pitoune ni au Kremlin. On ignore les forces internes, les rivalités, les fissures politiques... c’est pire qu’à l’époque où le pouvoir était plus ou moins collectif au sein du Politburo du PCUS, quand les oppositions se manifestaient par quelques signes seulement déchiffrés par d’éminents kremlinologues... mais on sent bien que les oligarques pourraient le lâcher, qu’une partie de l’église pourrait exiger la paix.
Un docteur en psychologie organisationnelle et politique
Quand ses interlocuteurs français, allemand, et autres européens tiennent Wol... je veux dire Pitoune pour un homme capable de discuter, d’entendre des arguments rationnels, de se rendre à quelques évidences, et même, d’hésiter devant des menaces, lui les voit comme des représentants corrompus, décadents, d’entreprises mercantiles sans vision. Il semble les mépriser doucement, les considérer avec une apparente froideur, mais, sous le masque, la haine sourd. Lui, se sait Héritier et César-Tsar d’une civilisation qu’il a pour mission sacrée de réinstaller dans la Grande Histoire et sur un territoire fait de 17% des terres émergées de la planète (ce qui est considérable !), Europe géographique et Russie réunies. Sa morgue, son assurance, son arrogance et ses provocations répétées ont immanquablement marqué ses interlocuteurs.
La journaliste vedette ne comprend pas ce qu’il se passe. Tous ses invités, elle comprise, trébuchent sur l’identité et la qualité de Pitoune : Wo, Wol. L’allusion plus que subliminale aux substantifs « Diable », « enfer », fait plus qu’émailler les propos. « C’est complètement fou. » Elle s’étonne que souffle sur le plateau, précisément juste avant les confusions, cette sorte de courant d’air brûlant qui cesse durant le court instant d’après.
Un commando
Un grand vacarme se fait entendre depuis le studio d’enregistrement, des cris, des ordres incompréhensibles, une douzaine de personnes, journalistes, cameramen, maquilleuses, preneurs de son..., entrèrent en trombe sur le plateau de l’émission spéciale. Julien, l’homme de ménage hurla : « Les hommes d’un commando ont pénétré dans la Maison de la Radio et de la Musique, ils se revendiquent de l’Eurasisme, de Belzébuth, de Wagner et de la Nouvelle Russie allant du détroit de Béring et de Vladivostok, au Portugal et à la Bretagne ! Tous aux abris ! »
Boris le cameraman
Qu’est-ce que tu nous chantes ? Wagner, les musiciens de Belzébuth et d’Eurythmics à la Maison de la Musique ?
Julien
C’est juste le binz et j’ai les j’tons !
La direction de la Maison... Rectification
La Maison de la Radio... etc. a prêté ses studios pour le tournage d’une série TV où il est question d’un coup d’État en Russie appuyé sur les commandos Wagner aux ordres d’oligarques devenus anti-pitouniens... Ce n’est pas encore bien clair, mais une scène de combat aurait débordé dans les couloirs... la « Sécurité » s’emploie à faire cesser ce bastringue...
Un quidam au téléphone qui voudrait comprendre, pose une question à laquelle il a été incomplètement répondu
Pensez-vous que Monsieur Vlad Pitoune soit un fou ou un démon, qu’il va envahir l’Ukraine et poursuivre sa route jusqu’en France ? À quoi Satan tend, pardon... à quoi s’attend-on ?
Le chœur brisé des spécialistes omniscients et des journalistes ayant insuffisamment travaillé leur sujet mais faisant mine de tout maîtriser
- Pitoune joue au fou pour faire peur et persuader l’Occident réputé froussard qu’il ira jusqu’à utiliser l’arme atomique, cela s’appelle la dissuasion du fou au fort. Ce faisant, ceux qui ont bien compris, font comme si Pitoune étaient réellement le diable... non pas le diable... mais le fou pour, à leur tour, faire peur à leurs populations afin qu’elles acceptent de se ranger derrière eux, les chefs d’État éclairés, et que la démocratie soit suspendue tout le temps que le stratagème maintiendra le climat de peur et le besoin des foules d’un chef clairvoyant et décidé et celui du chef qu’on le laisse gouverner à sa guise. Je ne sais pas si je suis bien clair...
- Pitoune n’est pas fou, cela se voit dans son regard de glace qui ne regarde rien, où l’on devine sa détermination.
- Il est tout de même un peu bizarre : il a peur du coronavirus mais pas de l’Occident et garde des distances fantastiques avec ses interlocuteurs, sauf, on l’a vu, les jeunes femmes d’une école d’hôtesses de l’air. Il est plus vraisemblablement, malade, regardez comme il est bouffi, gras, sans ressort physique, marchant comme un canard, alors qu’il mettait encore récemment en scène ses pratiques sportives viriles – pêche au gros en rivière, judo, natation en eaux glacées, chevauchées en montagne... – comme pour compenser sa honte d’être si petit.
- Peut-on avoir peur d’un petit homme qui s’effraie d’un coronavirus ?
- Pitoune développe des théories fumeuses sur la supériorité de l’Eurasien slave et sur sa multi-culture, rallume des théories fascistes autour de la notion de suprémacisme... ce n’est pas de la folie mais de l’idéologie, il n’est pas un dément, mais un fieffé doctrinaire.
- Il est fou de défier l’OTAN, de jeter des bombes sur des immeubles d’habitation, d’affamer les populations, de massacrer des enfants, de tuer, tuer, tuer...
- On n’est pas nécessairement fou parce qu’on est un grand multi-criminel justiciable devant toutes les cours pénales, ni parce que nous ne comprenons pas bien ce qu’il fait.
- D’après les Américains Pitoune devient fou.
- Oui, mais les Américains ne sont pas fous... faut en prendre et en laisser.
Pitoune inspiré (par qui ?)
Les ministres invités par Pitoune à une communication solennelle avec court échange de vue, sont venus avec leur longue-vue, comme d’autres, pour un dîner, avec leurs longues cuillers. Mais Pitoune a dénaturé le « conseil » du Dromio Shakespearien, puisque c’est lui qui tient ses complices en laisse longue. En réalité, ils sont tous en vidéo-conférence et cette distance entre le maître et ses laquais est très cocasse.
Il pérore. Sur les crânes chauves, les tempes grises, le long des dos, sous les bras des hommes présents – il n’y a aucune femme –, les sueurs coulent comme au sauna. Les ventres se nouent, les digestions deviennent difficiles, les pouls s’emballent, les extrémités des corps se glacent, les cheveux se dressent, les épidermes démangent, les libidos s’éteignent... L’angoisse règne : être pris à témoin, être questionné, devoir répondre en confirmant une information qu’on a déjà donnée ou en révélant un fait nouveau, risquer d’être accusé de mensonge, de dissimulation, de crime anti-régime, de désaccord funeste, de sabotage, de double-jeu, de pourvoyeur calamiteux de renseignements, risquer d’anéantir sa carrière, sa vie...
Les Occidentaux sont des pleutres, des dégénérés. Leur libéralisme a dissous les fiertés nationales, effacé les notions de Patrie, de cause sacrée, de famille. Ils n’oseront pas affronter la Sainte Russie au risque de voir leurs petites richesses matérielles pulvérisées par une guerre juste, totale. Leurs miteuses démocraties paralysent les piètres gestionnaires qu’ils sont parce qu’elles ont donné la parole à tout le monde. Les chefs n’existent plus, leur ont succédé des pantins ectoplasmiques élus pour faire plaisir à des électeurs impuissants, incultes et imbéciles qu’ils nomment leur «peuple ». Le nôtre, le Peuple eurasien, a l’habitude de la souffrance, des privations, du combat pour sa survie, il puise sa force dans la terre, la glace et le permafrost, pas sur les planches de surf, les bancs confortables des hors-bords ou les ponts rutilants de voiliers efféminés de Californie et de l’Atlantique Est. Nous, nous procédons de l’immensité et de la force de nos territoires qui nous rendent supérieurs aux viles et décadentes populaces des puissances marchandes et maritimes. Notre peuple sait que Dieu est avec lui parce qu’il est fidèle à l’Orthodoxie, à l’Église Chrétienne des Origines. Sa foi en Dieu, sa foi dans ses chefs le rendent invincible. Il ne craint ni le diable – qui n’est pas aussi terrible qu’Ivan IV Vassiliévitch, mon inspirateur – ni le feu nucléaire. Nous sommes les plus forts parce que la grandeur de notre nation plantée dans le vaste sol de l’Eurasie nous enjoint de placer au-dessus de tout, le service de sa cause sacrée. Ainsi, c’est sans état d’âme que nous muselons les opposants abêtis, drogués, influencés par les réseaux sociaux, le rap, le hip-hop, la CIA, Internet et l’idée dégoûtante du mariage homosexuel et que nous réduisons au silence et en cendres les habitants de Grozny, en Tchétchénie et Kharkiv, Tcherniguiv, Soumy et Mykolaïev, Marioupol, en Ukraine. Leur mort ne nous atteint pas, ils ne comptent pas. Nous allons annexer l’entière Ukraine et aviserons pour la Géorgie et la Moldavie. Jusqu’au Cap de Roca au Portugal et à la pointe bretonne de Corsen. Si je le veux, Dieu le voudra ! Aïe ! Ouïe ! Aah !, Ouille ! Arrête Wol !... Si les Américains, leurs nains français, allemands et leurs auxiliaires minuscules restent couchés on reprendra rapidement les factices États Baltes et la blonde Pologne qui s’offre toujours au plus fort comme une fille de joie ! Et s’il le faut on les forcera ! Nous sommes invincibles parce que nous avons cultivé les virilités, le sport et excommunié les homosexuels et les femmes exhibitionnistes. Quant à l’Angleterre, elle gesticule pendant que l’Amérique et la petite Europe se moquent de ce qu’elle est devenue, elle n’existe politiquement plus. Son bouffon de premier ministre est une baudruche impuissante. Churchill ne reviendra pas la sauver !
Un général russe, un favori de la cour, assis à vingt mètres du chef, sans personne entre eux deux
Il fait remarquer au Nouveau Tsar d’extraction kagébienne que s’il y a une faiblesse, elle est dans le fait que les Russes ne sont pas tous convaincus de la justesse de la politique gouvernementale très Grand-Russe, qu’il y en a qui manifestent dans de nombreuses villes contre l’opération spéciale militaire sous le mot d’ordre « нет войне ![2] », il dit son inquiétude devant la possible extension de ce mouvement.
Pitoune, met au défi son préposé-général de trouver des contestataires et l’enjoint de les emprisonner tous s’il en trouve. De les faire soigner, lobotomiser ou de les piquer au Novitchok. On ne peut pas accepter la prolifération de micro-oppositions, il faut les extirper comme des phlegmons suppurants. Il ajoute que son subordonné ne doit pas relayer la moindre information sur les protestations crasses d’une poignée d’irrécupérables malades mentaux, et qu’il doit, dorénavant, se considérer lui-même prévenu. En attendant, il décide de couper les réseaux sociaux, de fermer les radios et les télévisions indépendantes, d’étoffer l’arsenal juridique répressif en interdisant l’utilisation des mots guerre, soldats russes tués, blessés, résistance ukrainienne, nation ukrainienne, Europe, droits humains, démocratie, liberté, opposition, la publication de rubriques nécrologiques dans la presse autorisée qui porterait un coup au moral de l’arrière et fournirait des informations à la CIA américaine...
Résistances ukrainiennes
Le petit gang pandémoniaque de meurtriers à la tête de la Russie ne se doute pas qu’il rendra compte de ses crimes massifs de civils, d’enfants, de vieillards, de femmes et d’hommes. En attendant ce jour, des centaines de personnes, instruisent, documentent, les futurs procès pénaux. Éradicateurs de cœurs de villes, de cités populaires, d’usines, d’hôpitaux, de crèches, d’écoles, de musées, de médiathèques, de commerces, les gens y compris, ces barbares osent tout.
Les courts films vidéo, les entretiens entre habitants de quartiers bombardés et journalistes ne donnent qu’une très vague idée de ce qu’est l’enfer d’une nuit sans sommeil, retentissant des hurlements des sirènes et du fracas des bombes, passée dans l’ignorance des points de chute des projectiles qui pulvériseront les appartements, les étages des immeubles, déchireront et disperseront les corps ou les mutileront à vie... fermer les yeux jusqu’à s’en faire mal, rentrer la tête dans les épaules, ne plus respirer, s’enfoncer les ongles dans les bras, les mains, les corps que l’on serre, le sien, celui d’un membre de la famille, d’un voisin de couloir de métro, d’abri de fortune, de cave, de mur le plus proche, dehors parce qu’on a été pris au dépourvu... tandis que la poitrine fait mal à en crever d’où le cœur s’emballe et veut s’échapper en même temps que la conscience aimerait le faire du crâne qui la protège si mal. Ne plus penser, mais c’est alors l’épouvante absolue qui submerge... la chair de poule, le désir de mourir dans la fraction de seconde qui vient, ne plus rien ressentir... Et l’enfant rendu à la solitude en dépit de l’amour éperdu qui l’entoure qui, comme si tout cela n’était pas suffisamment monstrueux, ne comprend pas, ne peut se livrer à aucune conjecture, faire confiance à aucun dieu et erre hagard dans l’irrationnel jusqu’à la folie... En finir... Non ! Résister encore, une nuit, une journée...
L’armée ukrainienne, sûre de son bon droit, combative, livrant une guerre de libération nationale, hardie, mieux préparée, plus résolue que ce que redoutaient les experts occidentaux, fait flèche de tout bois : confrontations frontales avec chars et fantassins, harcèlement par petits groupes des lourdes colonnes russes, tirs d’artillerie, assauts d’infanterie, emploi des techniques de guérilla dans les faubourgs des villes, tireurs embusqués... avec les effets attendus : soldats ennemis mis hors d’état de nuire à nouveau, destructions d’avions, d’hélicoptères, de chars, de blindés, de véhicules de transport de troupes... exaltation de l’esprit de résistance des peuples d’Ukraine. Le refus de la reddition, la liberté et la sauvegarde de l’honneur n’ont plus de prix. Se battre c’est vivre, pas question que meure la Nation.
La résistance n’est pas qu’une force d’appoint à l’armée, elle est le deuxième ventricule d’un même cœur de la nation en lutte, une force considérable qui décuple la puissance et l’énergie de l’armée régulière, qui à son tour rassure les partisans. La liste est longue de ses habiletés. Génie civil militarisé : mise en place des dispositifs d’immobilisation-destruction de l’ennemi et de postes de combat. Ateliers Molotov, armement des populations civiles, entraînement au maniement des armes, création d’une légion internationale de combat. Changements de panneaux de signalisation pour tromper les convois, pancartes brandies par des civils, villageois, citadins, jeunes, âgés et très âgés face aux blindés et camions ennemis avec, écrits dessus, les mots, « Les Russes, dehors ! Allez vous faire foutre ! », criant, « Rentrez chez vous, en Russie ! », les grandes manifestations dans les rues, sur les places, face aux occupants, aux vendus, aux traîtres, drapeaux jaune et bleu déployés. Information des familles des soldats russes via les réseaux sociaux à travers les outils connus de nombreux Russes et qui permettent de contourner les censures. Actions des hackers cherchant des informations sur les serveurs russes civils et militaires susceptibles d’être exploitées à des fins militaires défensives ou offensives. Les pompiers qui ne dorment presque plus, se précipitant en toutes heures sur les incendies, les effondrements déclenchés par les bombes, sur les lieux de détresse absolue... Être Ukrainien, c’est depuis le Moyen Âge, résister. S’opposer dans la grande tradition cosaque intrépide. À la Pologne, aux empires russe et ottoman, à l’URSS, à la Russie d’aujourd’hui.
L’Ukraine perd et perdra beaucoup, la Nation résistante gagnera la guerre et brisera l’ensorcellement lucifero-pitounien dont sont victimes les populations russes désinformées, affaiblies par des siècles de censure et de conditionnement.
Woland[3]
Il peut tout, démon, démiurge, Léviathan, Pygmalion monstrueux. Il est Le Diable et s’insinue dans les esprits, prend la parole de la bouche des personnes, les étourdit, les commande à leur insu. Son entreprise télévisuelle – en cours sur toutes les télévision du monde – consiste à brouiller les analyses, à ridiculiser, discréditer la parole des experts, à empêcher la bonne compréhension des buts de guerre de Pitoune avec lequel il a passé un pacte. L’ancien petit officier répandrait le chaos et la mort, en échange de quoi, il deviendrait le maître d’un monde qui s’effondrerait à sa disparition puisqu’à l’ancien espion cruel aucune promesse d’éternité n’avait été faite... Enfin on peut croire à ces sornettes ou pas...
Ce qui suit est effarant, la scène s’est produite sur la chaîne de télévision la plus regardée de la Francophonie, ce vaste espace mondial et civilisationnel qui le dispute (et l’emporte), en termes de création de richesses culturelles et artistiques, de puissance et de finesse des esprits de ceux qui s’y épanouissent, de pouvoirs d’influence mondiale, de fiertés d’appartenance, de force exemplaire..., à tous les grands empires de la planète existant ou ayant existé... (c’était couru, le narrateur caressé, enveloppé par un soudain courant d’air chaud, cède à l’influence maléfique...)
Cacophonie démoniaque
Le premier général
Monsieur le général retraité, jadis au-dessus de Kolwezi vous faisiez moins le malin, il a fallu vous pousser de l’avion tandis que vous pleuriez et appeliez votre mère... Vous ne connaissez rien à la psychologie de guerre ni n’êtes devenu plus aguerri dans l’analyse stratégique que dans le saut en parachute.
Le second général
Retraité vous-même ! Vous ignorez tout de la guerre sauf celle des soldats de plomb à laquelle vous jouiez mal sur les épais tapis des salons où vous léchiez les culs dont les propriétaires vous pistonnaient. Vous rendrez gorge après ces propos insultants, je vous jette mon gant et vous attend sur le pré à Longchamp, faites-moi connaître vos témoins, leur cosaque,... pardon leur casaque... votre jour et votre heure sur le champ ! Vous êtes une crapule anti-otanienne.
Le premier expert
Cherchez pas trop à comprendre, Pitoune est un diable d’homme et donc complètement imprévisible. Ce que j’en disais moi, c’était pour tenter de justifier le montant complètement immoral de mes honoraires...
Le second expert
Comment voulez-vous que les États s’entendent alors que sur le plateau, nous n’y parvenons pas ?
Le troisième expert
Ce que je comprends bien dans cette histoire, c’est la grande influence du Diable sur Pitoune, une nouvelle Sainte-Alliance, va-t-en-guerre celle-là, qui fait ce qu’elle veut et nous pourrit la vie.
La journaliste écrivaine
Un expert qui croit au diable. Non mais là, on va où ?! C’est décidé, je me mets à l’écriture de romans fantastiques, on se marre plus !
La journaliste vedette
Je ne peux pas lutter pour mettre de l’ordre contre la toute Puissance Irrationnelle... Pitoune est une marionnette, mais, ce Woland, quel mec !
La journaliste courageuse
Allô, Paris ? Qu’est-ce qui vous prend, diable, vous devenez fous ?
Le commando
Quel foutoir ? On nous avait dit qu’il y aurait une rôtissoire et du caviar, du boire et de l’alcool de poire, un samovar et du thé noir !? Y-a un lézard ! C’est quoi cet éteignoir ?
Les auteurs d’essais
Nous, on fait juste la promotion de nos livres...
L’historien
L’histoire nous enseigne que l’avenir n’a pas toujours raison !
Le quidam
En quoi ?
La résistance
Putain, y’a du boulot, on n’a pas fini de résister et pas seulement aux Russes !
Le satellite
Je ne vois plus rien dans cette épaisse fumée !
Woland
On s’amuse comme des fous !
Pitoune
T’as raison, inspirateur, mon amour ! Les Américains aussi !
Woland
Le jour où Dieu a inventé l’humanité, il a eu un sacré coup de génie... Ah, ah, ah... « Génie du mal », c’est la meilleure celle-là... Wha, Ha, Ha ! (éclat de rire)... Il ne doit pas faire le malin ! Le Malin... Gnac, Gnac, Gnac, (rire démoniaque).
Pitoune
Ménageons Dieu, j’ai encore grand besoin de lui.
Volodymyr Zelenski, entrouvre une porte, s’avance, digne, droit, dépité, déprimé et s’écrie :
Слава Україні ![4]
[1]Pitoune dit Billot de Bois, chef autocrate du Ressui (son repaire, sa tanière), grand pays imaginaire paneuropéo-eurasiste, qu’on appellera par souci de simplification, la Russie.
[2]Non à la guerre !
[3]Nom d’un personnage central et démoniaque dans le roman Le maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov
[4]Gloire à l’Ukraine !
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