Pierre Lieutaud - Prends garde à la rapidité des choses

 

Pierre Lieutaud jette un regard et quelques mots sur le monde de demain… celui « d’après ». Celui qui « devrait », mais qui n’est pas parti pour...

          

 

Prends garde à la rapidité des choses

 

La pandémie n’en finit pas. Elle semble sonner le glas du monde où nous vivons, comme si nous devions repartir de zéro, sur les ruines de nos vies. Clopin-clopant, en pilotage automatique, effleurant les obstacles, goûtant les joies du bout des lèvres, esquissant des choses jamais finies dans l’ambiance douceâtre et protectrice du monde qui va. Vers nulle part, mais la chose est admise, les vies étalonnées par cet espèce de néant, ce parcours d’escargot. 

Et pendant que le virus joue au ping-pong avec le vaccin, nous attendons, interloqués, déboussolés, un brin anéantis, que se lèvent les barrières et le soleil aussi. Qu’allons-nous devenir dans cette nouvelle époque qui tarde à pointer le bout du nez, mais qui arrivera bien un jour ? Après trois, quatre, cinq, six rappels du vaccin. 

Pandémie-miroir-aux-alouettes qui veut nous faire croire qu’après son retour au fin fond des marécages et des forêts profondes de Chine, un monde clair, lumineux, bleu azur, rouge plein soleil, blanc flocon, à la pureté angélique, sortira de l’horizon des temps à venir.

Erreur. Espoir déçu. Le monde qui vient est un autre. Avant la pandémie, il tournoyait déjà au-dessus de nous. Maintenant, il s’est posé. Bonjour, je suis le monde Algorithme, un employé du service public, comme un facteur ou un garde-champêtre si vous voulez, tout juste sorti de l’incubateur, frais comme un gardon, frétillant, plein d’espoir. À votre disposition, Mesdames, Messieurs, pour vous aider à vivre. Je suis la rapidité, l’instantanéité, je vais droit au but. Mes synthèses immédiates me donnent une fulgurance qui rend obsolète tout autre raisonnement… Je vais vite, toujours plus vite. Je raccourcis vos temps d’attente cérébraux, je bouscule tous les portillons qui entravent votre marche en avant. Tout dans votre vie est logique froide et mécanisation des corps et des âmes. L’instruction est apprentissage de réflexes pour une prédation plus grande. De quoi ? De tout. L’amour est une gymnastique, la famille un boulet inutile, rien ne dure, tout est possible…

Même si depuis tant de temps nous nous passons à côté, pressés de suivre la noria du monde, ce train en marche qu’on nous a obligé à prendre, ce transsibérien qui jamais n’atteindra le Pacifique des rêves promis, la  pandémie doit nous ouvrir tout grand les yeux. 

Nous avons dans la bouche un gout de cendres encore tièdes, quelques larmes hésitantes perlent de nos yeux quand passent au fond des vieux souvenirs enfouis des parfums d’enfance au gout de miel, de laitages, de brioches, de fraises et de cerises. Et si le numérique nous assiège, nous envahit, nous oblige, nous courberons la tête, mais nous resterons les mêmes. Avant que ne reviennent les jours où, à nouveau liés à la nature, nous prendrons le temps de vivre et d’aller, dans les prairies, les forêts, les torrents, les collines, admirer ce monde qui se tait et fait partie de nous…

  

  

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