Paule Tomi - Pas perdus dans la cour carrée

  

Dans l’enceinte du Palais Fesch, chacun trouve un nid pour y lover son humeur…  deux tableaux vivants, par Paule Tomi.

 

 

Pas perdus dans la cour carrée

 

1

J’ai bien fait de m’arrêter un moment sous la treille. Je peux enfin sentir les battements de mon cœur s’apaiser peu à peu. Ce matin, j’étais comme ivre. Maintenant je peux savourer les rayons du soleil matinal que filtrent les palmes des hauts dattiers élégants, mais aussi la douceur du rouge orangé des feuilles qui font comme un plafond majestueux. La ville s’éveille à peine, tout est tellement calme. Le silence accentue encore la majesté du lieu. J’aime la beauté de ce cadre classique dont les lignes rectilignes du bâtiment signent une élégante pureté. La cour carrée est marquée en son centre par le bronze du Cardinal. Son habit est détaillé jusque dans les moindres dentelles, introduisant une sensation de légèreté dans la force du métal. 

Le ciel est si bleu par-dessus le toit qui se devine à peine, surplombant la façade aux fenêtres symétriques. Sur la gauche, la Chapelle Palatine offre ses formes plus opulentes, avec la rondeur de son dôme, l’arrondi de ses ouvertures et ses vitraux colorés. Aujourd’hui, je n’ai pas besoin de pénétrer ses bâtiments pour en savourer toutes les splendeurs. Il me suffit d’être là. Je peux deviner, derrière la façade protectrice, le golfe, ses montagnes qui forment comme un écrin pour la mer. Elle est d’azur, lisse et étincelante. Des milliers d’étoiles lumineuses y scintillent, comme les éclats d’une promesse naissante.

 

2

Il fallait que je sorte de chez moi, mais je ne sais où aller et je suis lasse de marcher. Il est midi passé et les gens sont pressés de rentrer chez eux. Je ne veux plus les croiser. Je rentre par la grille ouverte qui mène à l’entrée du musée, pour m’abstraire un moment du va et vient de la rue. Un banc semble m’attendre pour m’y laisser tomber. Je suis comme hébétée. Un rayon de soleil vient me réchauffer l’épaule et cette douceur m’est souffrance. J’ai tellement aimé me promener dans les couloirs chargés de peinture et d’histoire de ce bâtiment. Aujourd’hui, je n’ai pas envie de la quiétude des corridors et des salles obscures, ni de faire face à ces portraits du temps passé. Les fenêtres aux étages sont symétriques. La répétition de leur forme rectangulaire évoque une prison.  Certains volets pleins sont fermés ; mais, même quand ce n’est pas le cas, aucune silhouette n’y apparait. En angle, et toujours en face de moi, la chapelle impériale, d’un gris très pale sous la brûlure du soleil. C’est le tombeau du Cardinal Fesch et aussi des parents de Napoléon. Tant de faste après la mort… 

Le soleil écrase tout. Les pierres de la cour carré renvoient la chaleur. Du haut de sa statue, l’homme de robe m’observe, dans sa tenue d’apparat. Il a l’air sévère et serre son étole d’hermine comme de peur de trop en dévoiler. Je me détourne, m’éloigne et me dérobe à son regard. 

  

  

Ce texte fait partie du compagnonnage mis en place entre Le Nouveau Décaméron 2022 et l’atelier d’écriture Racines de Ciel, animé par l’écrivaine Isabelle Miller, dans le cadre des activités littéraires du festival Racines de Ciel

Le thème choisi cette année était « Le musée imaginaire » articulé autour de plusieurs propositions successives.

La troisième proposition à laquelle le présent texte souscrit était : 

« La cour du Palais Fesch, vue par un homme heureux puis par une femme malheureuse. »  

    

 

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